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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 4)

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Tardieu, Charles: Le Cabinet de M. Jules van Praet, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.18610#0321

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LE CABINET DE M. JULES VAN PRAET. 279

son prix, à côté d'une splendide et coûteuse trouvaille une trivialité tapageuse qui trahit le
parvenu. Et comme ces fautes de tact nous ramènent à notre axiome : tant vaut la collection,
tant vaut le collectionneur.

Sans doute, autrefois, la partie était plus belle, mais encore fallait-il, pour la gagner,
certaines qualités qui ne sont pas le fait du premier venu. Et parmi ceux qui regrettent que le
malheur des temps et leur médiocrité trop peu dorée ne leur permettent pas de se donner
le luxe d'un Greuze ou d'un Watteau, le régal d'un Rousseau ou d'un Delacroix, combien en
est-il qui auraient devancé la mode, deviné la réhabilitation imminente d'une école injustement
délaissée, ou pressenti l'avenir d'un contemporain méconnu ou contesté?

Le cabinet célèbre dont nous voudrions essayer de donner une idée aux lecteurs de V Art a
précisément ce caractère de divination qui, rare de tout temps, ajoute tant de charme aux volup-
tés du collectionneur. Il y a dans Théophile Gautier une page exquise sur les nobles jouissances
du critique, lorsqu'il voit enfin la vogue tardive confirmer les prévisions de son enthousiasme, les
admirations les plus hardies de sa jeunesse. Ces maîtres, aujourd'hui en possession de la faveur
publique, j'ai combattu pour eux ! Ces chefs-d'œuvre que chacun se dispute, je les ai prônés,
devinés, vengés ! C'est là en effet la plus belle récompense des luttes de la critique, et heureux
ceux qui l'obtiennent avant l'heure du départ ! Des satisfactions analogues sont réservées à l'amateur
qui a l'instinct des revanches de l'avenir. Lui aussi il a deviné, il a eu confiance, il a donné le
bon exemple. Hier, que d'incrédules qui lui donnaient tort ! Aujourd'hui, tout le monde lui donne
raison.

Le cabinet de M. Jules Van Praet est essentiellement consacré à l'école moderne, à la peinture
contemporaine, mais les maîtres qui s'y trouvent représentés par quelques-uns de leurs plus
merveilleux chefs-d'œuvre ne sont, pour la plupart, sacrés que d'hier, et voilà quelque trente
ans que cette précieuse collection s'est formée sous l'impulsion d'un goût très sûr et très per-
sonnel, absolument indifférent aux influences extérieures.

Parmi ces chefs-d'œuvre, il en est plus d'un qui serait pour la génération actuelle une sorte
de révélation.

Voici par exemple un Decamps, le Christ insulté, qui faisait l'admiration de Gautier, et que
le duc de Morny enviait à M. Van Praet; une des toiles les plus importantes du maître, assurément,
grande composition conçue dans un parti pris rembranesque qui eût été un périlleux écueil pour
un talent moins original. Le souvenir de Rembrandt se reconnaît surtout au jeu des lumières et
des ombres, et il n'est pas jusqu'au costume oriental, dont sont affublés quelques-uns des insul-
teurs du Christ, qui ne pût être considéré comme un hommage du peintre français au maître
néerlandais, si l'on ne savait que l'Orient a fait sur Decamps une profonde impression. Dans les
proportions d'un tableau de genre, l'artiste a traité son sujet en peintre d'histoire, mais en se
dégageant, comme bien on pense, de tout poncif académique, et à plus forte raison en écartant
toutes les conventions qui sont du domaine de l'imagerie religieuse. Il semble que la scène soit d'une
actualité toute vivante, tant elle est dramatiquement comprise, tant est poignante la souffrance
morale du Christ, cruelle et humiliante l'ironie de la soldatesque qui le raille.

M. Van Praet se plaît à dire que s'il était obligé de renoncer à tous ses tableaux, sauf un
seul, il garderait son Christ de Decamps. Renversant l'hypothèse, nous dirions volontiers que si
nous les avions tous et qu'il nous fallût en sacrifier un, nous ne saurions trop lequel vouer à
l'excommunication.

Aurions-nous le cœur d'abandonner l'Homme à l'épée de M. Meissonier ? Le peintre à coup
sûr ne nous le pardonnerait pas, lui qui disait à M. Van Praet, après un examen attentif de ce
morceau déjà ancien : « Vous avez là, monsieur, un bien joli tableau. » Et c'est la vérité pure.
Presque un Terburg. Un Meissonier de la meilleure façon. Le personnage est supérieurement
campé; attitude, geste, expression de la physionomie, tout cela est significatif. 11 se battra
demain ce gentilhomme qui essaye sa meilleure lame, et il y pense sérieusement, non pas inquiet,
mais assez prudent pour mettre à l'épreuve la souplesse de l'acier. On ne sait pas ce qui peut
arriver. Il est bon de se garder à carreau. Les préoccupations d'un courage expérimenté qui ne
 
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