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L'ART.
maître Jacques, est employé à tout faire. Estimez-vous très
heureux si vous n'êtes ajourné que de vingt-quatre heures.
C'est généralement à huit heures du matin que le pauvre
diable pourra vous attendre, lui et ses clefs, dans le Cortile de
l'ancien couvent, Cortile fort élégant qui rappelle le style de
Michelozzo.
Vous franchissez enfin une première porte, vous pénétrez
dans une sorte de corridor et laissant à votre gauche une porte
récemment murée — celle qui conduisait de l'intérieur du cou-
vent directement au réfectoire, —vous entendez grincer de nou-
velles serrures rouillées et cette fois vous avez accès dans le
sanctuaire. Je dirais que vous êtes amplement dédommagé de
vos peines, si l'indignation ne vous dominait bientôt.
Le réfectoire a la forme d'un long rectangle. En face de
l'unique porte surmontée de deux délicieuses figures d'anges
sculptées par Agostino di Duccio, s'étend la muraille que recouvre
entièrement le chef-d'œuvre de Domenico Ghirlandaio, que le
maître a daté de 1480. — Il y a quatre siècles que cette mer-
veille échappe à la dévastation, et ce qui la menace aujour-
d'hui d'une perte certaine, c'est uniquement l'inqualifiable
incurie du nouveau propriétaire en train de la laisser détruire,
tout comme son inertie à jamais coupable est cause de ce crime
de lèse-humanité, l'anéantissement de la glorieuse fresque
d'Andréa del Sarto, de sa création maîtresse, la Madonna del
Sacco.
On a jeté feu et flammes à propos de l'atteinte que l'on son-
geait à porter, sous prétexte de restaurations, à Saint-Marc de
Venise, et l'on a eu mille fois raison. Mais comment expliquer
qu'en dehors de l'Art qui a crié au vandalisme et lancé l'ana-
thème, on soit de toutes parts resté absolument muet au sujet de
la Madonna del Sacco?
Est-ce que la Camorra maudite, l'infâme Camorra ourdie
contre Florence par tous les misérables gratte-papiers adminis-
tratifs de Rome, est-ce que cette vile, cette lâche Camorra si
courageusement dénoncée à maintes reprises dans le Journal des
Débats par M. Montferrier à qui nous empruntons notre épi-
graphe, est-ce que cette Camorra qu'on ne saurait trop stigma-
tiser, aurait réussi à organiser le silence dans la presse euro-
péenne au profit de ses misérables haines ? — Nous nous refusons
formellement à le croire; nous avons la confiance que notre voix
sera entendue, qu'une agitation sera organisée dans la presse du j
monde entier; nous espérons fermement que la Society for the
protection of ancient Buildings ne sera pas d'avis qu'en fait de
monuments le contenant seul a droit à sa vigilante sollicitude et
qu'elle n'a qu'à se désintéresser au sujet du contenu; nous ne
doutons pas qu'elle se décide à élever la voix, h jeter son indé-
pendante autorité dans la balance et qu'elle ne contribue puis-
samment à arracher bientôt le masque aux Tartuffes de la haute
bureaucratie romaine.
Tous autant que nous sommes, il y va de notre devoir de ne
pas permettre que la Cène du Ghirlandaio ait le sort de la
Madonna del Sacco. Le temps presse; jugez-en.
Le réfectoire à'Ognissanti qui a été inondé lors d'un des
débordements de l'Arno rendus aujourd'hui impossibles par les
importants travaux exécutés pendant que M. Ubaldino Peruzzi
| exer;ait les fonctions de Syndic de Florence, ce réfectoire aurait
L'ART.
maître Jacques, est employé à tout faire. Estimez-vous très
heureux si vous n'êtes ajourné que de vingt-quatre heures.
C'est généralement à huit heures du matin que le pauvre
diable pourra vous attendre, lui et ses clefs, dans le Cortile de
l'ancien couvent, Cortile fort élégant qui rappelle le style de
Michelozzo.
Vous franchissez enfin une première porte, vous pénétrez
dans une sorte de corridor et laissant à votre gauche une porte
récemment murée — celle qui conduisait de l'intérieur du cou-
vent directement au réfectoire, —vous entendez grincer de nou-
velles serrures rouillées et cette fois vous avez accès dans le
sanctuaire. Je dirais que vous êtes amplement dédommagé de
vos peines, si l'indignation ne vous dominait bientôt.
Le réfectoire a la forme d'un long rectangle. En face de
l'unique porte surmontée de deux délicieuses figures d'anges
sculptées par Agostino di Duccio, s'étend la muraille que recouvre
entièrement le chef-d'œuvre de Domenico Ghirlandaio, que le
maître a daté de 1480. — Il y a quatre siècles que cette mer-
veille échappe à la dévastation, et ce qui la menace aujour-
d'hui d'une perte certaine, c'est uniquement l'inqualifiable
incurie du nouveau propriétaire en train de la laisser détruire,
tout comme son inertie à jamais coupable est cause de ce crime
de lèse-humanité, l'anéantissement de la glorieuse fresque
d'Andréa del Sarto, de sa création maîtresse, la Madonna del
Sacco.
On a jeté feu et flammes à propos de l'atteinte que l'on son-
geait à porter, sous prétexte de restaurations, à Saint-Marc de
Venise, et l'on a eu mille fois raison. Mais comment expliquer
qu'en dehors de l'Art qui a crié au vandalisme et lancé l'ana-
thème, on soit de toutes parts resté absolument muet au sujet de
la Madonna del Sacco?
Est-ce que la Camorra maudite, l'infâme Camorra ourdie
contre Florence par tous les misérables gratte-papiers adminis-
tratifs de Rome, est-ce que cette vile, cette lâche Camorra si
courageusement dénoncée à maintes reprises dans le Journal des
Débats par M. Montferrier à qui nous empruntons notre épi-
graphe, est-ce que cette Camorra qu'on ne saurait trop stigma-
tiser, aurait réussi à organiser le silence dans la presse euro-
péenne au profit de ses misérables haines ? — Nous nous refusons
formellement à le croire; nous avons la confiance que notre voix
sera entendue, qu'une agitation sera organisée dans la presse du j
monde entier; nous espérons fermement que la Society for the
protection of ancient Buildings ne sera pas d'avis qu'en fait de
monuments le contenant seul a droit à sa vigilante sollicitude et
qu'elle n'a qu'à se désintéresser au sujet du contenu; nous ne
doutons pas qu'elle se décide à élever la voix, h jeter son indé-
pendante autorité dans la balance et qu'elle ne contribue puis-
samment à arracher bientôt le masque aux Tartuffes de la haute
bureaucratie romaine.
Tous autant que nous sommes, il y va de notre devoir de ne
pas permettre que la Cène du Ghirlandaio ait le sort de la
Madonna del Sacco. Le temps presse; jugez-en.
Le réfectoire à'Ognissanti qui a été inondé lors d'un des
débordements de l'Arno rendus aujourd'hui impossibles par les
importants travaux exécutés pendant que M. Ubaldino Peruzzi
| exer;ait les fonctions de Syndic de Florence, ce réfectoire aurait