ALFRED G. STEVENS. 1,3
asymétriques. Les bas-reliefs sont de véritables peintures transportées dans le bronze. On y voit
des tentatives impossibles, comme, par exemple, celle de produire des effets de feuillage et de
perspective; en revanche, l'artiste n'a attaché que peu de prix à l'unité du dessin et des
peintures (je me sers exprès de ce mot) qui constituent l'ensemble.
Les portes de M. Stevens sont le produit d'un sentiment tout opposé. Les lignes architectu-
rales sont mises en évidence, de façon à participer à l'effet général; une symétrie absolue
règne dans tous les panneaux, et y égalise jusqu'au nombre des figures qu'ils contiennent. Le
résultat est une unité d'intention et d'exécution aussi rare que satisfaisante. Nous éprouvons un
véritable plaisir à voir que l'auteur avait conçu un vaste plan d'ensemble, exprimé par un
dessin d'une puissance exceptionnelle. Chaque panneau nous apporte une notion propre, un
sentiment particulier; mais réunis, tous ne sont plus que les interprètes d'une idée directrice,
chacun exprimant, pour sa part, un des motifs nécessités par l'ensemble.
Lors de son départ pour Sheffield, Stevens n'avait fait que les dessins de ces portes. 11
pouvait parfaitement continuer son œuvre; on lui avait avancé une petite somme sur ce travail.
Plus d'une fois il songea à se retirer dans une des charmantes vallées qui environnent Sheffield,
pour y modeler, dans quelque ferme tranquille, les détails nécessaires et y faire procéder à la
coulée sous ses propres yeux, à l'usine de Green Lane. Ces intentions ne se traduisirent pas
en fait ; aussi avons-nous à déplorer la perte d'un chef-d'œuvre, par suite de la nonchalance
de l'artiste et du mauvais goût régnant à cette époque.
L'admiration qu'éprouvaient pour Alfred Stevens les élèves de Somerset House et, en
général, tous ceux qui connaissaient ses œuvres, fit offrir à cet artiste, en 1848 ou 1849, Par 'es
propriétaires de l'usine de Green Lane, la situation de dessinateur principal. MM. Hoole
et Robson fabriquaient dans leur usine des poêles, des garde-feu et autres articles en fer.
Ils eurent la bonne fortune ou, si Ton veut, le bon esprit de s'attacher le maître en lui
donnant une rétribution annuelle fixe. Le résultat ne se fit pas attendre : à l'Exposition
de 185:1, ces messieurs devinrent célèbres, grâce à l'envoi de quelques cheminées d'un dessin
exquis, qui leur assurèrent le premier rang dans la fabrication des articles de ce genre.
La plus belle des œuvres dessinées pour cette maison est peut-être le petit poêle en bronze
qui nous sert d'illustration. C'est un petit carré isolé, dont les quatre faces, toutes visibles, sont
parfaitement finies. Le sommet est formé par un dôme aplati tronqué; sur les côtés, des briques
de porcelaine sont encadrées de bronze, travaillé à jour. Tout le métal est en haut-relief ou à
jour. Sur le sommet du dôme devait être placée une figure féminine accroupie. L'absence de
cette figure nous est expliquée par l'anecdote suivante.
Lorsque le poêle fut achevé, M. Hoole écrivit à M. Stevens pour lui demander à quel prix
il se chargerait de couler cette figure. « Pour douze cent cinquante francs », répondit le sculpteur.
Cela parut au fondeur une somme absolument extravagante. Il exprima cette opinion. « Maintenant,
répondit Stevens, ce sera quinze cents francs. » Le fondeur se fâcha, et sa réponse se ressentit
de ces dispositions peu aimables. De lutte en lutte, le sculpteur finit par porter le prix à deux
mille cinq cents francs. Naturellement, les fondeurs ne voulurent pas payer une somme aussi
élevée; ils s'adressèrent à des modeleurs, qui, malgré tous leurs efforts, furent incapables de
mener à bien la tâche qu'on leur avait confiée. Enfin, le petit poêle fut présenté au public avec
la forme tronquée que nous lui voyons aujourd'hui.
Walter Armstrong.
(La suite prochainement.)
Tome XXIII.
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asymétriques. Les bas-reliefs sont de véritables peintures transportées dans le bronze. On y voit
des tentatives impossibles, comme, par exemple, celle de produire des effets de feuillage et de
perspective; en revanche, l'artiste n'a attaché que peu de prix à l'unité du dessin et des
peintures (je me sers exprès de ce mot) qui constituent l'ensemble.
Les portes de M. Stevens sont le produit d'un sentiment tout opposé. Les lignes architectu-
rales sont mises en évidence, de façon à participer à l'effet général; une symétrie absolue
règne dans tous les panneaux, et y égalise jusqu'au nombre des figures qu'ils contiennent. Le
résultat est une unité d'intention et d'exécution aussi rare que satisfaisante. Nous éprouvons un
véritable plaisir à voir que l'auteur avait conçu un vaste plan d'ensemble, exprimé par un
dessin d'une puissance exceptionnelle. Chaque panneau nous apporte une notion propre, un
sentiment particulier; mais réunis, tous ne sont plus que les interprètes d'une idée directrice,
chacun exprimant, pour sa part, un des motifs nécessités par l'ensemble.
Lors de son départ pour Sheffield, Stevens n'avait fait que les dessins de ces portes. 11
pouvait parfaitement continuer son œuvre; on lui avait avancé une petite somme sur ce travail.
Plus d'une fois il songea à se retirer dans une des charmantes vallées qui environnent Sheffield,
pour y modeler, dans quelque ferme tranquille, les détails nécessaires et y faire procéder à la
coulée sous ses propres yeux, à l'usine de Green Lane. Ces intentions ne se traduisirent pas
en fait ; aussi avons-nous à déplorer la perte d'un chef-d'œuvre, par suite de la nonchalance
de l'artiste et du mauvais goût régnant à cette époque.
L'admiration qu'éprouvaient pour Alfred Stevens les élèves de Somerset House et, en
général, tous ceux qui connaissaient ses œuvres, fit offrir à cet artiste, en 1848 ou 1849, Par 'es
propriétaires de l'usine de Green Lane, la situation de dessinateur principal. MM. Hoole
et Robson fabriquaient dans leur usine des poêles, des garde-feu et autres articles en fer.
Ils eurent la bonne fortune ou, si Ton veut, le bon esprit de s'attacher le maître en lui
donnant une rétribution annuelle fixe. Le résultat ne se fit pas attendre : à l'Exposition
de 185:1, ces messieurs devinrent célèbres, grâce à l'envoi de quelques cheminées d'un dessin
exquis, qui leur assurèrent le premier rang dans la fabrication des articles de ce genre.
La plus belle des œuvres dessinées pour cette maison est peut-être le petit poêle en bronze
qui nous sert d'illustration. C'est un petit carré isolé, dont les quatre faces, toutes visibles, sont
parfaitement finies. Le sommet est formé par un dôme aplati tronqué; sur les côtés, des briques
de porcelaine sont encadrées de bronze, travaillé à jour. Tout le métal est en haut-relief ou à
jour. Sur le sommet du dôme devait être placée une figure féminine accroupie. L'absence de
cette figure nous est expliquée par l'anecdote suivante.
Lorsque le poêle fut achevé, M. Hoole écrivit à M. Stevens pour lui demander à quel prix
il se chargerait de couler cette figure. « Pour douze cent cinquante francs », répondit le sculpteur.
Cela parut au fondeur une somme absolument extravagante. Il exprima cette opinion. « Maintenant,
répondit Stevens, ce sera quinze cents francs. » Le fondeur se fâcha, et sa réponse se ressentit
de ces dispositions peu aimables. De lutte en lutte, le sculpteur finit par porter le prix à deux
mille cinq cents francs. Naturellement, les fondeurs ne voulurent pas payer une somme aussi
élevée; ils s'adressèrent à des modeleurs, qui, malgré tous leurs efforts, furent incapables de
mener à bien la tâche qu'on leur avait confiée. Enfin, le petit poêle fut présenté au public avec
la forme tronquée que nous lui voyons aujourd'hui.
Walter Armstrong.
(La suite prochainement.)
Tome XXIII.
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