i62 L'A
l'imagination de nos pères dans le ge'nie bizarre. On y trouve
notamment un type qui rappelle un peu la Chimère antique. Les
époques barbares ont la ' conception des formes, étranges et
savent leur donner une apparence décorative, que l'imitation
plus rigoureuse des périodes civilisées atténue nécessairement.
Dès une haute antiquité, le fer avait été dans les Gaules
d'un emploi assez commun, et on s'en servait dans la plupart
des cas où les Romains employaient le bronze. L'art du forgeron
paraît aussi avoir eu dans l'époque carolingienne un certain
développement, mais comme les monuments qui sont parvenus
jusqu'à nous ne remontent pas au delà du xn° siècle, c'est à
cette époque seulement qu'on peut commencer l'histoire de la
serrurerie française. On n'avait pas alors les puissants .moyens
dont la mécanique dispose aujourd'hui et le forgeron devait tout
faire à la main. Ce qui frappe dans les ouvrages de cette époque,
c'est un goût exquis de l'ornementation uni à une incroyable
habileté dans la main d'œuvre.
« Au commencement du xiii0 siècle, dit M. Labarte, l'art de
forger le fer avait été porté à un très haut degré de perfection.
Les grilles composées de rubans de fer enroulés et décorés seu-
lement de quelques coups de poinçon parurent trop simples aux
habiles forgerons de ce temps. Ils imaginèrent de terminer les
brindilles de fer qui formaient les enroulements par des ornements
d'un bon style enlevés à fer chaud au moyen d'une étampe.
Souvent les brindilles de fer richement ornementées, au l'eu
d'être disposées entre les montants et les traverses qui forment
l'armature principale, sont appliquées sur cette armature. La
grille, en ce cas, n'est décorée que du côté extérieur. A côté des
grilles, il faut placer les pentures de porte que les forgerons du
xn° et du xme siècle exécutèrent avec une rare perfection. Que
les pentures soient simples ou riches, elles sont toujours d'un
goût remarquable. Dans les plus belles, les enroulements qui
consolident les madriers de bois dont se composent les portes
sont décorés d'animaux et de feuillages, et terminés par des
fleurons élégants. »
Les pentures des portes de Notre-Dame de Paris sont un
magnifique exemple de la serrurerie de cette époque. Une vieille
légende s'y rattache; les ferrures ont été exécutées par un serru-
rier appelé Biscornette, qui avait vendu son âme au diable pour
être aidé dans ce travail et surpasser ainsi tous ses confrères.
Mais le diable fut volé dans cette affaire comme dans toutes
celles du même genre qu'il a voulu entreprendre ; le pacte fut
forcément rompu, parce que le diable ne parvint pas à faire la
porte du milieu, attendu que c'est par cette porte que passe le
Saint-Sacrement, qui a toujours pour effet d'empêcher l'œuvre
du diable de subsister, de sorte qu'elle ne put être terminée.
L'art y a beaucoup perdu, car c'est pour cette raison que
les pentures du xm° siècle ne se trouvent que sur les portes qui
sont de chaque côté de l'entrée principale.
Le fer était également employé pour les coffrets ; nous avons
aussi de beaux spécimens des serrures monumentales et des
grandes clefs du moyen âge. Mais c'est surtout dans les grilles
que les serruriers déployaient tout le luxe de l'ornementation.
Il en existe d'assez nombreux échantillons, qui pour la plupart
appartiennent au xv° siècle. Le style ogival y prend les mêmes
allures que dans les monuments en pierre ou en bois; seulement
les colonnettes sont en général plus grêles.
Ainsi voyons-nous qu'au moyen âge, tous les métaux habi-
tuellement employés dans l'industrie ont donné lieu à des tra-
vaux d'un grand mérite, et dont le style ornemental suit toujours,
d'une manière plus ou moins rigoureuse, l'impulsion donnée par
les architectes aux monuments de la même époque.
« S'il est une matière impérieuse, dit M. Viollet-le-Duc f,
ce sont les métaux. Il n'est que deux manières de les employer.
La première consiste à les faire entrer en fusion et à les couler
dans un moule creux ; on obtient ainsi un objet concret, résistant,
RT.
auquel on peut donner des formes très variées, en évitant, autant
que faire se peut, les arêtes trop vives, les angles et les membres
rectilignes, qui ne viennent pas bien à la fonte. Mais ce procédé
donne des -objets d'un poids relativement considérable, et ne
peut guère convenir qu'exceptionnellement, si l'on met en
œuvre des métaux d'un prix très élevé. Le second procédé con-
siste à laminer les métaux par le martelage, et à les repousser,
en raison de leur propriété malléable, jusqu'à ce qu'on leur ait
donné le modelé convenable. Les deux procédés peuvent être
parfois employés simultanément dans la fabrication d'un même
objet, mais le métal repoussé n'ayant jamais l'aspect du métal
fondu, il est difficile d'obtenir un résultat complètement satis-
faisant par ce mélange des deux modes. Les parties fondues
peuvent être réunies par le moyen de la soudure, par des rivets,
des assemblages. Les orfèvres du moyen âge ont été très discrets
dans l'emploi de ces expédients, et, autant que possible, leurs
fontes sont faites d'un jet. Mais la soudure est particulièrement
propre à la confection des objets composés de pièces martelées,
étirées, repoussées, et ils ont porté très loin cette industrie, qui
exige une grande habileté et une expérience consommée. En
effet, lorsqu'il s'agit de souder des pièces minces et délicates de
métal, la chaleur modifie la forme de ces pièces et peut même
les fondre. D'ailleurs, ces orfèvres du moyen âge ne possédaient
pas les moyens qui nous sont connus aujourd'hui. Pour fondre,
ils n'avaient que le charbon et des soufflets qui remplaçaient
nos chalumeaux perfectionnés. Cette pauvreté de moyens n'était
pas un obstacle pour eux, puisque nous voyons une grande
quantité de pièces d'orfèvrerie des xn° et xmc siècles, et même
antérieures à cette époque, très adroitement réunies par le
moyen de la soudure. Le métal fondu pouvait être retouché par
la ciselure ou au burin ; aussi ces artisans employaient-ils ces
procédés qui, entre des mains habiles, enlèvent à la fonte l'aspect
mort et froid qu'elle conserve habituellement. Quant aux pièces
martelées, elles étaient également retouchées au burin, gravées,
et le repoussé acquérait ainsi de la vivacité et quelque chose de
précieux. Il est évident que ces procédés si simples et qui
demandent un outillage si peu important, prenaient leur valeur
de l'adresse et du talent de l'ouvrier qui les employait. La main
de l'homme, qu'aucun moyen mécanique ne surpasse, se sentait
partout sur ces pièces d'orfèvrerie, mais quand les procédés
matériels ont été très développés, leur exactitude, leur précision
même, leur inintelligence, ont remplacé peu à peu cet attrait qui
s'attache à tout ce que la main humaine façonne. Aussi ne
doit-on pas être surpris si l'on a tant de peine aujourd'hui, dans
l'orfèvrerie comme dans d'autres branches de l'industrie, à
obtenir des objets qui aient le charme des choses anciennes. Le
voisinage du moyen mécanique a déshabitué la main de l'ouvrier
de ce travail intelligent et personnel, et ses efforts tendent à
imiter la régularité sèche et froide de la machine. »
ANGLETERRE
On a retrouvé dans un grand nombre de sépultures anglo-
saxonnes des armes, des bracelets, des fibules, et des bijoux
d'or incrustés de grenat, qui montrent que, dans la période
mérovingienne, l'industrie de la Grande-Bretagne ne différait
pas essentiellement de la nôtre. Mais les pièces d'orfèvrerie reli-
gieuse sont d'une extrême rareté en Angleterre, et c'est en
Irlande qu'il faut aller pour trouver des pièces d'un caractère
bien spécial se rattachant à la première partie du moyen âge.
L'Irlande a eu de nombreux confesseurs dont les reliques pieu-
sement recueillies ont donné naissance à une orfèvrerie extrême-
ment curieuse. La plupart des saints irlandais étaient des soli-
taires, et leurs ermitages étaient ordinairement pourvus d'une
petite cloche, à l'aide de laquelle sans doute ils appelaient près
I. Dictionnaire du mobilier. Orfèvrerie.
l'imagination de nos pères dans le ge'nie bizarre. On y trouve
notamment un type qui rappelle un peu la Chimère antique. Les
époques barbares ont la ' conception des formes, étranges et
savent leur donner une apparence décorative, que l'imitation
plus rigoureuse des périodes civilisées atténue nécessairement.
Dès une haute antiquité, le fer avait été dans les Gaules
d'un emploi assez commun, et on s'en servait dans la plupart
des cas où les Romains employaient le bronze. L'art du forgeron
paraît aussi avoir eu dans l'époque carolingienne un certain
développement, mais comme les monuments qui sont parvenus
jusqu'à nous ne remontent pas au delà du xn° siècle, c'est à
cette époque seulement qu'on peut commencer l'histoire de la
serrurerie française. On n'avait pas alors les puissants .moyens
dont la mécanique dispose aujourd'hui et le forgeron devait tout
faire à la main. Ce qui frappe dans les ouvrages de cette époque,
c'est un goût exquis de l'ornementation uni à une incroyable
habileté dans la main d'œuvre.
« Au commencement du xiii0 siècle, dit M. Labarte, l'art de
forger le fer avait été porté à un très haut degré de perfection.
Les grilles composées de rubans de fer enroulés et décorés seu-
lement de quelques coups de poinçon parurent trop simples aux
habiles forgerons de ce temps. Ils imaginèrent de terminer les
brindilles de fer qui formaient les enroulements par des ornements
d'un bon style enlevés à fer chaud au moyen d'une étampe.
Souvent les brindilles de fer richement ornementées, au l'eu
d'être disposées entre les montants et les traverses qui forment
l'armature principale, sont appliquées sur cette armature. La
grille, en ce cas, n'est décorée que du côté extérieur. A côté des
grilles, il faut placer les pentures de porte que les forgerons du
xn° et du xme siècle exécutèrent avec une rare perfection. Que
les pentures soient simples ou riches, elles sont toujours d'un
goût remarquable. Dans les plus belles, les enroulements qui
consolident les madriers de bois dont se composent les portes
sont décorés d'animaux et de feuillages, et terminés par des
fleurons élégants. »
Les pentures des portes de Notre-Dame de Paris sont un
magnifique exemple de la serrurerie de cette époque. Une vieille
légende s'y rattache; les ferrures ont été exécutées par un serru-
rier appelé Biscornette, qui avait vendu son âme au diable pour
être aidé dans ce travail et surpasser ainsi tous ses confrères.
Mais le diable fut volé dans cette affaire comme dans toutes
celles du même genre qu'il a voulu entreprendre ; le pacte fut
forcément rompu, parce que le diable ne parvint pas à faire la
porte du milieu, attendu que c'est par cette porte que passe le
Saint-Sacrement, qui a toujours pour effet d'empêcher l'œuvre
du diable de subsister, de sorte qu'elle ne put être terminée.
L'art y a beaucoup perdu, car c'est pour cette raison que
les pentures du xm° siècle ne se trouvent que sur les portes qui
sont de chaque côté de l'entrée principale.
Le fer était également employé pour les coffrets ; nous avons
aussi de beaux spécimens des serrures monumentales et des
grandes clefs du moyen âge. Mais c'est surtout dans les grilles
que les serruriers déployaient tout le luxe de l'ornementation.
Il en existe d'assez nombreux échantillons, qui pour la plupart
appartiennent au xv° siècle. Le style ogival y prend les mêmes
allures que dans les monuments en pierre ou en bois; seulement
les colonnettes sont en général plus grêles.
Ainsi voyons-nous qu'au moyen âge, tous les métaux habi-
tuellement employés dans l'industrie ont donné lieu à des tra-
vaux d'un grand mérite, et dont le style ornemental suit toujours,
d'une manière plus ou moins rigoureuse, l'impulsion donnée par
les architectes aux monuments de la même époque.
« S'il est une matière impérieuse, dit M. Viollet-le-Duc f,
ce sont les métaux. Il n'est que deux manières de les employer.
La première consiste à les faire entrer en fusion et à les couler
dans un moule creux ; on obtient ainsi un objet concret, résistant,
RT.
auquel on peut donner des formes très variées, en évitant, autant
que faire se peut, les arêtes trop vives, les angles et les membres
rectilignes, qui ne viennent pas bien à la fonte. Mais ce procédé
donne des -objets d'un poids relativement considérable, et ne
peut guère convenir qu'exceptionnellement, si l'on met en
œuvre des métaux d'un prix très élevé. Le second procédé con-
siste à laminer les métaux par le martelage, et à les repousser,
en raison de leur propriété malléable, jusqu'à ce qu'on leur ait
donné le modelé convenable. Les deux procédés peuvent être
parfois employés simultanément dans la fabrication d'un même
objet, mais le métal repoussé n'ayant jamais l'aspect du métal
fondu, il est difficile d'obtenir un résultat complètement satis-
faisant par ce mélange des deux modes. Les parties fondues
peuvent être réunies par le moyen de la soudure, par des rivets,
des assemblages. Les orfèvres du moyen âge ont été très discrets
dans l'emploi de ces expédients, et, autant que possible, leurs
fontes sont faites d'un jet. Mais la soudure est particulièrement
propre à la confection des objets composés de pièces martelées,
étirées, repoussées, et ils ont porté très loin cette industrie, qui
exige une grande habileté et une expérience consommée. En
effet, lorsqu'il s'agit de souder des pièces minces et délicates de
métal, la chaleur modifie la forme de ces pièces et peut même
les fondre. D'ailleurs, ces orfèvres du moyen âge ne possédaient
pas les moyens qui nous sont connus aujourd'hui. Pour fondre,
ils n'avaient que le charbon et des soufflets qui remplaçaient
nos chalumeaux perfectionnés. Cette pauvreté de moyens n'était
pas un obstacle pour eux, puisque nous voyons une grande
quantité de pièces d'orfèvrerie des xn° et xmc siècles, et même
antérieures à cette époque, très adroitement réunies par le
moyen de la soudure. Le métal fondu pouvait être retouché par
la ciselure ou au burin ; aussi ces artisans employaient-ils ces
procédés qui, entre des mains habiles, enlèvent à la fonte l'aspect
mort et froid qu'elle conserve habituellement. Quant aux pièces
martelées, elles étaient également retouchées au burin, gravées,
et le repoussé acquérait ainsi de la vivacité et quelque chose de
précieux. Il est évident que ces procédés si simples et qui
demandent un outillage si peu important, prenaient leur valeur
de l'adresse et du talent de l'ouvrier qui les employait. La main
de l'homme, qu'aucun moyen mécanique ne surpasse, se sentait
partout sur ces pièces d'orfèvrerie, mais quand les procédés
matériels ont été très développés, leur exactitude, leur précision
même, leur inintelligence, ont remplacé peu à peu cet attrait qui
s'attache à tout ce que la main humaine façonne. Aussi ne
doit-on pas être surpris si l'on a tant de peine aujourd'hui, dans
l'orfèvrerie comme dans d'autres branches de l'industrie, à
obtenir des objets qui aient le charme des choses anciennes. Le
voisinage du moyen mécanique a déshabitué la main de l'ouvrier
de ce travail intelligent et personnel, et ses efforts tendent à
imiter la régularité sèche et froide de la machine. »
ANGLETERRE
On a retrouvé dans un grand nombre de sépultures anglo-
saxonnes des armes, des bracelets, des fibules, et des bijoux
d'or incrustés de grenat, qui montrent que, dans la période
mérovingienne, l'industrie de la Grande-Bretagne ne différait
pas essentiellement de la nôtre. Mais les pièces d'orfèvrerie reli-
gieuse sont d'une extrême rareté en Angleterre, et c'est en
Irlande qu'il faut aller pour trouver des pièces d'un caractère
bien spécial se rattachant à la première partie du moyen âge.
L'Irlande a eu de nombreux confesseurs dont les reliques pieu-
sement recueillies ont donné naissance à une orfèvrerie extrême-
ment curieuse. La plupart des saints irlandais étaient des soli-
taires, et leurs ermitages étaient ordinairement pourvus d'une
petite cloche, à l'aide de laquelle sans doute ils appelaient près
I. Dictionnaire du mobilier. Orfèvrerie.