Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Journal de la marbrerie et de l'art décoratif: bimensuel — 5.1908 (Nr. 101-124)

DOI issue:
Supplement au Nr. 111
DOI article:
La sculpture française en 1908
DOI Page / Citation link: 
https://doi.org/10.11588/diglit.17230#0090

DWork-Logo
Overview
loading ...
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
82

Or, je suis parfois navré en constatant
cette tendance, qui grandit sans cesse, de
produire des œuvres qui sont aussi éloignées
de l'art que la larve est loin du papillon. Si
ce n'est pas toujours le manque de talent,
c'est souvent le désir de produire beaucoup
qui fait que l'on cherche de plus en plus à
éviter la lutte qu'il faudrait soutenir contre
les difficultés sans nombre que l'on rencon-
trera dans l'étude d'une statue ou d'un
groupe.

Certes, il faut reconnaître que la bataille
est dure à gagner, mais nous dirons avec
Corneille :

A vaincre sans péril on triomphe sans gloire.

et ce que paraissent ignorer les artistes
dédaigneux des grandes luttes, c'est que la
voie où ils sont entrés n'a rien de triomphal
et que ce n'est pas au bout de cette route-
là qu'ils trouveront les lauriers dont ils sont
avides.

Il est plus simple, évidemment, de laisser à,
d'autres imaginations plus fécondes le soin
de compléter ce que l'ébauche aura suggéré,
mais il ne faut pas croire que le « bluff »
qu'on fera autour de productions dont le
nombre n'a d'autre équivalent que le volume,
il ne faut pas croire que ce soit là. un moyen
d'acquérir la réputation qui survitaux géné-
rations ou qui ouvre les portes à l'immor-
talité.

Je suis donc obligé de déclarer que beau-
coup d'artistes, peintres ou sculpteurs, ont
confondu l'étude du « naturel » avec le
« naturalisme » ; il ont cru que le « vrai »
n'existait que dans ce que cette généreuse
nature nous offre de plus laid, parce qu'ils
n'ont pas eu la patience d'y chercher autre
chose; l'originalité consiste aujourd'hui à
montrer toutes les plaies du monde, comme
si ce n'était déjà pas assez d'en être affligé,
sans être dans la pénible obligation d'en
retrouver constamment le tableau.

Aussi la gloire de bien des artistes actuels
va être tout entière revêtue des oripeaux des
malheureux, et si cette avalanche de misère
ne s'arrête bientôt, on verra les squares et
places publics, les salles de nos musées, et
même les halls de nos châteaux se trans-

former en de véritables « cours des mi-
racles».

Baudelaire disait un jour, dans un moment
d'enthousiasme :

Je suis belle, ô mortel ! comme un rêve de pierre.

Mais Baudelaire était un poète, mal-
gré les Fleurs du mal, qui sont peut-
être un lapsus calami, et on se demande ce
qu'il penserait aujourd'hui devant l'apologie
des haillons et des tares que font aujour-
d'hui le marbre, la pierre ou le bronze; il
serait surpris devoir ce que ces autres poètes,
les sculpteurs, ont fait de leur talent et il
regretterait d'avoir semé des graines qui ont
si bien fructifié.

Aujourd'hui, poussé par l'esprit de positi-
visme qui s'est emparé du public, on s'arrête
longtemps, .on admire, on s'extasie même,
on éprouve une joie immense en face d'une
œuvre pour laquelle un artiste s'est laissé
aller, s'est fourvoyé, devrais-je dire, en fai-
sant éclore sous son ébauchoir ces misères
sans forme et sans étude préalable.

C'est la nature, dit-on, et la nature a beau-
coup plus de vilains cotés que de beaux.
Peut-être! Mais c'est justement le talent de
l'artiste de rechercher ses beaux côtés et de
nous les présenter; son rêve doit s'envoler au
delà des contingences humaines afin d'y trou-
ver la réalisation qu'il essayera de traduire
pour les yeux profanes,et c'estjustementparce
que les beautés qu'il aura découvertes seront
plus rares qu'elles auront plus de valeur et
qu'on appréciera mieux ses efforts et son talent.

Comme il y a loin, grands dieux! des pro-
ductions hâtives d'aujourd'hui aux chefs-
d'œuvre des siècles passés ! Avec quel scru-
pule les travaux dont nous avons hérité
avaient-ils été conçus d'abord et exécutés
ensuite! Quel soin on ajîportait alors à châ-
tier, à « styliser » la production ! .Comme la
matière traitée était caressée avec amour et
comme on prenait soin d'élaguer toutes les
laideurs qui semblent, à notre époque,
former, au contraire, la base de l'art en
général et de la sculpture en particulier.

L'artiste en arrive même à méconnaître
la matière qu'il travaille: traitant un marbre
comme il aurait traité un bronze ou récipro-
 
Annotationen