LES
EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1878
COLLECTIONS DE MONNAIES ANCIENNES
AU TROCADÉRO
La numismatique est certainement une des sciences qui ont
rendu le plus de services h l'histoire de l'art. Les monnaies por-
tent souvent des dates ou renferment en elles-mêmes un élément
qui permet de les dater, un nom de roi ou de peuple. On s'ex-
plique ainsi le rôle qu'elles jouent entre les mains d'un anti-
quaire ou d'un artiste, quand il s'agit de déterminer par la com-
paraison l'âge et l'époque d'un monument. Elles sont les grands
auxiliaires de l'histoire, de la mythologie, de la géographie, et
souvent de la philologie. Aussi les nombreux services que leur
étude peut rendre ont-ils été de tout temps appréciés, et, depuis
la Renaissance jusqu'à nos jours, l'ardeur des numismatistes
ne s'est pas ralentie. La réunion de quelques collections
au Trocadéro nous donne une idée du zèle avec lequel les ama-
teurs les recueillent aujourd'hui; et quoiqu'il y ait encore bien
des vides à combler dans cet ensemble, c'est, au point de vue
général, une occasion unique d'étudier l'art ancien sur des monu-
ments authentiques, commodes à examiner, et dont quelques-uns
nous fournissent ce qu'il y a de plus précis et de plus exact sur
les tendances artistiques de plusieurs peuples.
La Grèce, qui occupe toujours le premier rang en pareille
matière, est représentée par trois collections, celles de MM. Pa-
ravey, Dutuit et Hirsch. Ces amateurs sont de ceux qui esti-
ment que les pièces antiques n'ont de valeur réelle qu'autant
qu'elles sont bien conservées, et ne s'attachent, par conséquent,
qu'à avoir des pièces de choix. Ils savent qu'une médaille rare ou
à fleur de coin fait plus d'honneur à une collection que mille
médailles communes ou en mauvais état. Le premier a réuni de
beaux exemplaires de monnaies frappées dans les anciennes
colonies grecques de l'Italie inférieure, dans la Thrace, la Macé-
doine, la Thessalie, l'Épire, sur les côtes d'Asie Mineure et en
Egypte, à l'époque ptolémaïque. A côté de la magnifique pièce
d'or de Tarente, au type d'Hercule, on remarquera toute une
série de ces petites monnaies d'argent si nombreuses, sur les-
quelles on voit le héros Taras accompagné d'attributs relatifs aux
jeux et aux productions du pays. Puis, voici des pièces de
Lucanie, d'Héraclée et de Métaponte, deux villes qui employaient
les mêmes artistes, des didrachmes du Bruttium, au type des
Dioscures, dont le culte était si populaire dans toute la Grande-
Grèce, une tète de Neptune en or d'une grande beauté, et le
monnayage sicilien avec les médaillons de Syracuse qui éclipsent
tous les autres par la splendeur de leur style et la finesse de leur
exécution. Un autre très-beau médaillon de Syracuse, placé seul
parmi des objets de la Renaissance, se voit dans une salle voi-
sine au milieu de la vitrine de M"8 G. Fillon. M. Paravey pos-
sède encore un superbe médaillon d'argent de Lysimaque, une
suite considérable de monnaies d'or des rois de Macédoine,
Philippe Ier, Philippe II, Alexandre III, un médaillon d'argent
de Persée, d'un grand style, une pièce d'or de l'Épire, une belle
pièce d'argent de Mithridate III, roi de Pont, et enfin une série
assez nombreuse de monnaies frappées sur les côtes d'Asie Mi-
neure, l'endroit du monde, après la Sicile, où l'on peut espérer
de rencontrer les pièces de plus belle fabrique. Signalons enfin
la monnaie de Datame, dynaste deCappadocc, frappée à Sinope,
et celle d'Absoar, tous deux satrapes héréditaires dépendant
directement du roi de Perse, une belle pièce en argent de
Ptolémée Soter, un magnifique médaillon de Carthage et
deux pièces d'or de la Cyrénaïque.
M. Hirsch a réuni une collection du même genre dans
Tome XVI
laquelle il n'a fait entrer aussi que des exemplaires bien choisis et
remarquables en général par leur conservation. Sa série en or de
la Macédoine est formée avec un goût parfait et présente un
véritable intérêt. Quant à ses pièces d'Ionie, elles sont toutes
dignes d'attirer l'attention au point de vue artistique ; leur choix
a été fait avec discernement et délicatesse. Dans la suite des
monnaies grecques d'Egypte il y a quatre pièces hors ligne.
Un autre collectionneur éminent dont la numismatique
n'absorbe pas toute l'active énergie et qui sait faire le plus noble
usage de sa fortune, M. Dutuit, a exposé un ensemble de mon-
naies grecques des plus intéressants. Là encore nous retrouvons
ce grand et merveilleux médaillon d'argent de Syracuse repré-
sentant une femme voilée et couronnée d'épis, avec la Victoire
dans un quadrige au revers, pièce imitée par Carthage dont les
rapports avec la Sicile étaient si fréquents. On sait que dans cette
dernière province l'or a été beaucoup plus employé que dans
la plupart des autres contrées; deux pièces de ce métal sont à
remarquer parmi les syracusaines de M. Dutuit : leur conser-
vation est irréprochable et l'une d'elles, celle de Hiéron II,
semble n'avoir jamais circulé tant elle est intacte et belle. Ces
cartons renferment aussi quelques monnaies archaïques d'A-
thènes, de Sélinonte, de Sybaris et d'Himère. Parmi les pièces
macédoniennes il faut citer un Philippe II, en or, fleur de coin,
et un médaillon en argent de Persée de toute beauté. Que dire
aussi de cette splendide médaille des Locriens dont la tète est
d'un style si vigoureux, et de l'admirable Arsinoé en or à l'aspect
calme et majestueux? Un Ptolémée III, en argent, d'une belle
expression, est à remarquer parmi les monnaies frappées par les
successeurs d'Alexandre, ainsi qu'une suite curieuse de pièces
des Séleucides. Il ne faut pas oublier dans ce trop court compte
rendu de signaler les pièces bactriennes d'Eucratide, Ménandre
et Kadphises, ainsi que quelques monnaies des rois parthes de
la dynastie des Arsacides ou de celle des Sassanides.
En ce qui concerne les pièces de ces derniers rois, elles ne
sont pas communes; néanmoins, M. Hoffmann est parvenu à en
former une collection très-remarquable. Elle est précédée de
quelques-unes de ces monnaies primitives frappées sur la côte
d'Asie par Crésus, roi de Lydie, et les satrapes de Cilicie et
de Phénicie. Quand on examine les tètes des Arsacides on
est porté, en voyant ces barbes frisées, ces chevelures, les
ornements qui les recouvrent, à y trouver comme un air de
famille avec les tètes des personnages sculptés sur les grands
bas-reliefs assyriens. Ce rapprochement est peut-être plus
frappant encore avec les premières tètes des Sassanides. On y
remarque, en effet, cette disposition des cheveux et de la barbe
en touffes bouclées, que les artistes de Babylone employaient
dans la représentation des figures humaines. C'est un écho bien
affaibli du grand art oriental antique. A partir du v" siècle l'art
des monnaies sassanides baisse considérablement ; sous Chos-
roës Ier, Hormisdas IV et Chosroës II, les types sont tout à fait
dégénérés. La dureté et l'incorrection des traits, les dimensions
exagérées de l'oeil permettent presque de les comparer alors aux
monnaies des rois barbares de l'Occident. M. Hoffmann a exposé
une quinzaine des pièces d'or des rois sassanides, ce qui est fort
difficile à réunir. On sait que leur monnayage d'or eut tout à
fait le caractère d'un défi aux prétentions impériales à une époque
où la suprématie de l'Empire était si généralement reconnue
qu'aucun État n'osait fabriquer de monnaie d'or.
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EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1878
COLLECTIONS DE MONNAIES ANCIENNES
AU TROCADÉRO
La numismatique est certainement une des sciences qui ont
rendu le plus de services h l'histoire de l'art. Les monnaies por-
tent souvent des dates ou renferment en elles-mêmes un élément
qui permet de les dater, un nom de roi ou de peuple. On s'ex-
plique ainsi le rôle qu'elles jouent entre les mains d'un anti-
quaire ou d'un artiste, quand il s'agit de déterminer par la com-
paraison l'âge et l'époque d'un monument. Elles sont les grands
auxiliaires de l'histoire, de la mythologie, de la géographie, et
souvent de la philologie. Aussi les nombreux services que leur
étude peut rendre ont-ils été de tout temps appréciés, et, depuis
la Renaissance jusqu'à nos jours, l'ardeur des numismatistes
ne s'est pas ralentie. La réunion de quelques collections
au Trocadéro nous donne une idée du zèle avec lequel les ama-
teurs les recueillent aujourd'hui; et quoiqu'il y ait encore bien
des vides à combler dans cet ensemble, c'est, au point de vue
général, une occasion unique d'étudier l'art ancien sur des monu-
ments authentiques, commodes à examiner, et dont quelques-uns
nous fournissent ce qu'il y a de plus précis et de plus exact sur
les tendances artistiques de plusieurs peuples.
La Grèce, qui occupe toujours le premier rang en pareille
matière, est représentée par trois collections, celles de MM. Pa-
ravey, Dutuit et Hirsch. Ces amateurs sont de ceux qui esti-
ment que les pièces antiques n'ont de valeur réelle qu'autant
qu'elles sont bien conservées, et ne s'attachent, par conséquent,
qu'à avoir des pièces de choix. Ils savent qu'une médaille rare ou
à fleur de coin fait plus d'honneur à une collection que mille
médailles communes ou en mauvais état. Le premier a réuni de
beaux exemplaires de monnaies frappées dans les anciennes
colonies grecques de l'Italie inférieure, dans la Thrace, la Macé-
doine, la Thessalie, l'Épire, sur les côtes d'Asie Mineure et en
Egypte, à l'époque ptolémaïque. A côté de la magnifique pièce
d'or de Tarente, au type d'Hercule, on remarquera toute une
série de ces petites monnaies d'argent si nombreuses, sur les-
quelles on voit le héros Taras accompagné d'attributs relatifs aux
jeux et aux productions du pays. Puis, voici des pièces de
Lucanie, d'Héraclée et de Métaponte, deux villes qui employaient
les mêmes artistes, des didrachmes du Bruttium, au type des
Dioscures, dont le culte était si populaire dans toute la Grande-
Grèce, une tète de Neptune en or d'une grande beauté, et le
monnayage sicilien avec les médaillons de Syracuse qui éclipsent
tous les autres par la splendeur de leur style et la finesse de leur
exécution. Un autre très-beau médaillon de Syracuse, placé seul
parmi des objets de la Renaissance, se voit dans une salle voi-
sine au milieu de la vitrine de M"8 G. Fillon. M. Paravey pos-
sède encore un superbe médaillon d'argent de Lysimaque, une
suite considérable de monnaies d'or des rois de Macédoine,
Philippe Ier, Philippe II, Alexandre III, un médaillon d'argent
de Persée, d'un grand style, une pièce d'or de l'Épire, une belle
pièce d'argent de Mithridate III, roi de Pont, et enfin une série
assez nombreuse de monnaies frappées sur les côtes d'Asie Mi-
neure, l'endroit du monde, après la Sicile, où l'on peut espérer
de rencontrer les pièces de plus belle fabrique. Signalons enfin
la monnaie de Datame, dynaste deCappadocc, frappée à Sinope,
et celle d'Absoar, tous deux satrapes héréditaires dépendant
directement du roi de Perse, une belle pièce en argent de
Ptolémée Soter, un magnifique médaillon de Carthage et
deux pièces d'or de la Cyrénaïque.
M. Hirsch a réuni une collection du même genre dans
Tome XVI
laquelle il n'a fait entrer aussi que des exemplaires bien choisis et
remarquables en général par leur conservation. Sa série en or de
la Macédoine est formée avec un goût parfait et présente un
véritable intérêt. Quant à ses pièces d'Ionie, elles sont toutes
dignes d'attirer l'attention au point de vue artistique ; leur choix
a été fait avec discernement et délicatesse. Dans la suite des
monnaies grecques d'Egypte il y a quatre pièces hors ligne.
Un autre collectionneur éminent dont la numismatique
n'absorbe pas toute l'active énergie et qui sait faire le plus noble
usage de sa fortune, M. Dutuit, a exposé un ensemble de mon-
naies grecques des plus intéressants. Là encore nous retrouvons
ce grand et merveilleux médaillon d'argent de Syracuse repré-
sentant une femme voilée et couronnée d'épis, avec la Victoire
dans un quadrige au revers, pièce imitée par Carthage dont les
rapports avec la Sicile étaient si fréquents. On sait que dans cette
dernière province l'or a été beaucoup plus employé que dans
la plupart des autres contrées; deux pièces de ce métal sont à
remarquer parmi les syracusaines de M. Dutuit : leur conser-
vation est irréprochable et l'une d'elles, celle de Hiéron II,
semble n'avoir jamais circulé tant elle est intacte et belle. Ces
cartons renferment aussi quelques monnaies archaïques d'A-
thènes, de Sélinonte, de Sybaris et d'Himère. Parmi les pièces
macédoniennes il faut citer un Philippe II, en or, fleur de coin,
et un médaillon en argent de Persée de toute beauté. Que dire
aussi de cette splendide médaille des Locriens dont la tète est
d'un style si vigoureux, et de l'admirable Arsinoé en or à l'aspect
calme et majestueux? Un Ptolémée III, en argent, d'une belle
expression, est à remarquer parmi les monnaies frappées par les
successeurs d'Alexandre, ainsi qu'une suite curieuse de pièces
des Séleucides. Il ne faut pas oublier dans ce trop court compte
rendu de signaler les pièces bactriennes d'Eucratide, Ménandre
et Kadphises, ainsi que quelques monnaies des rois parthes de
la dynastie des Arsacides ou de celle des Sassanides.
En ce qui concerne les pièces de ces derniers rois, elles ne
sont pas communes; néanmoins, M. Hoffmann est parvenu à en
former une collection très-remarquable. Elle est précédée de
quelques-unes de ces monnaies primitives frappées sur la côte
d'Asie par Crésus, roi de Lydie, et les satrapes de Cilicie et
de Phénicie. Quand on examine les tètes des Arsacides on
est porté, en voyant ces barbes frisées, ces chevelures, les
ornements qui les recouvrent, à y trouver comme un air de
famille avec les tètes des personnages sculptés sur les grands
bas-reliefs assyriens. Ce rapprochement est peut-être plus
frappant encore avec les premières tètes des Sassanides. On y
remarque, en effet, cette disposition des cheveux et de la barbe
en touffes bouclées, que les artistes de Babylone employaient
dans la représentation des figures humaines. C'est un écho bien
affaibli du grand art oriental antique. A partir du v" siècle l'art
des monnaies sassanides baisse considérablement ; sous Chos-
roës Ier, Hormisdas IV et Chosroës II, les types sont tout à fait
dégénérés. La dureté et l'incorrection des traits, les dimensions
exagérées de l'oeil permettent presque de les comparer alors aux
monnaies des rois barbares de l'Occident. M. Hoffmann a exposé
une quinzaine des pièces d'or des rois sassanides, ce qui est fort
difficile à réunir. On sait que leur monnayage d'or eut tout à
fait le caractère d'un défi aux prétentions impériales à une époque
où la suprématie de l'Empire était si généralement reconnue
qu'aucun État n'osait fabriquer de monnaie d'or.
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