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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 5.1879 (Teil 4)

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Baudot, A. de: Viollet-le-Duc
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https://doi.org/10.11588/diglit.17802#0129

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VIOLLET-LE-DUC. m

difficile de porter un jugement plus juste sur ces établissements, qui, malgré les efforts les plus
louables, ne peuvent répondre aux exigences modernes, et dont l'action ne se fait pas sentir
d'une façon efficace au point de vue de l'art.

Combien de questions intéressantes sur des sujets analogues Viollet-le-Duc n'a-t-il pas traitées
en dehors même de ses livres, combien d'appréciations n'a-t-il pas laissées qu'il serait utile de
connaître, de répandre et de classer jusqu'au jour où les éclaircissements qu'elles contiennent
deviendront indispensables! Quel travailleur infatigable, et combien encore il comptait produire
lorsque la mort est venue le surprendre d'une façon si inattendue ! Heureusement il venait de
terminer son dernier ouvrage, qui a pour titre modeste : Histoire d'un dessinateur, et dans
lequel il a traité à fond et avec une compétence exceptionnelle la grosse question de l'application
de l'art à l'industrie, question vitale pour notre pays, et pour laquelle il ne semble pas que
jusqu'à présent on ait pris la meilleure voie de régénération. Enfin, il avait eu le temps, avec
une précision surprenante, de jeter les bases du musée de sculpture comparée qu'il rêvait depuis
tant d'années et dont il conseillait avec tant d'à-propos la création, comme un des meilleurs
moyens d'instruire les artistes, de former leur goût, et de leur rendre la verve et l'initiative qui
font défaut depuis si longtemps, au lieu et place de la banalité qui s'affirme bravement à l'ombre
de l'enseignement officiel.

A. de Baudot.

TRANSCRIPTION DE L'AUTOGRAPHE DE VIOLLET-LE-DUC

Mon cher .Monsieur,

Les artistes ne sont pas bons pour diriger quoi que ce soit. Ils
ont bien de la peine à se diriger eux-mêmes.

La manufacture de Sèvres entre les mains d'un artiste tomberait
plus bas encore si c'est possible. Cet artiste voudrait imposer son
goût, la camaraderie s'en mêlerait, et on arriverait à quelque chose
de parfaitement nul ou ridicule.

En principe, la manufacture de Sèvres pas plus que celle des
Gobelins n'a de raison d'être. Ces établissements pouvaient avoir une
utilité au moment où le pouvoir jaloux de Louis XIV a supprimé les
corporations, et où il fallait mettre à la place du monopole qu'on
supprimait un monopole royal.

Il en est de cela ce qu'il en est des académies. Sous peine de voir
les beaux-arts et la fabrication des objets de luxe tomber dans la
barbarie, il fallait suppléer par une institution royale à l'institution
républicaine qu'on supprimait. Mais à cette heure cela ne signifie
rien. L'industrie privée, par la libre concurrence, s'est émancipée et
elle produit en raison des besoins et des goûts du public.

Aujourd'hui des manufactures privées nous font des tapisseries
de Beauvais qui ne diffèrent de celles de la manufacture de l'État,
qu'en ce que leurs produits coûtent six fois moins cher — sans exa-
gération.— La porcelaine est fabriquée à Limoges— quand on le
veut — presque aussi bien qu'à Sèvres, et même les produits de ces
établissements privés ont une valeur originale que la maison de
Sèvres n'obtient pas.

Les éléments existent, que le goût du public s'élève, la fabrica-
tion s'élèvera, c'est son intérêt. C'est donc l'éducation du public qu'il
faut faire en cela comme en bien d'autres choses. L'inconvénient
principal, à mon avis, de ces établissements soutenus par l'État, est
de donner un brevet de perfection à des objets d'un ordre souvent
très inférieur. Il ne doit pas plus y avoir un art de l'État, qu'une
religion de l'État. Le public — surtout en France, est disposé à croire
que tout ce qui a l'apostille de l'État est irréprochable. C'est un
malheur. Ce n'est pas au public à recevoir les modèles du goût; c'est
à lui à les imposer. Il faut donc lui donner les éléments propres à
lormer ce goût; pas autre chose. Donnez-lui des musées faits pour
l'étude et non pour amuser des oisifs : donnez-lui de bonnes écoles,
et quand il aura appris à voir et à discerner, l'industrie sera bien
obligée de faire ce qui lui plaira.

Toutes les tentatives faites depuis dix ans pour relever l'art céra-
mique ont été faites en dehors de Sèvres. Cet art a évidemment fait
des eflorts et des progrès sensibles; Sèvres n'y est pour rien. A quoi
donc sert cet établissement? A nourrir un certain nombre de médio-
crités et à fabnquer a des prix fabuleux des objets qui partout, dans
une vente, sont laissés à un prix inférieur à celui de la fabrication.
Donc le prestige même de l'établissement ne se maintient pas dans
l'esprit du public.

On nommera toutes les commissions qu'on voudra, on mettra à
la tête de la manufacture de Sèvres et de celle des Gobelins un artiste

d'une grande valeur, cela ne changera pas le principe qui aujourd'hui
n'est plus d'accord avec nos habitudes.

L'Etat se fait fabricant de porcelaines ou de tapis — dites-moi;
cela n'est-il pas parfaitement ridicule quand tout le monde peut
fabriquer des tapis et des porcelaines? Si encore ces établissements
étaient faits pour essayer les nouveaux procédés et tenter, au moyen
des ressources du budget, ce que de simples particuliers ne peuvent
tenter? Ce serait supportable. Mais non; loin de là; ces manufactures
tiennent à maintenir intacts tous les anciens moyens, à servir d'asile
à la routine; et parce qu'il en est ainsi on veut croire qu'ils possèdent
une supériorité?

N'est-ce pas absurde! On pouvait conserver ces établissements sous
une monarchie parce que de ces usines sortaient des objets très chers
que les souverains de France pouvaient offrir à leurs confrères.

Cela pouvait être laid — officiellement c'était ce qu'on avait de
mieux à donner. Mais espérons que nous n'aurons plus de monarques
qui feraient des cadeaux. Si la République en veut faire à ses voisins,
rien ne sera plus conforme à son esprit que de s'adresser à l'industrie
privée. Voilà un véritable stimulant pour elle (l'industrie).

Quant à la céramique appliquée aux édifices, les Anglais nous ont
devancés et ils vendent leurs produits partout. A sa suite nous sommes
venus. — Est-ce Sèvres qui a pris l'initiative? Non, ce sont des indus-
triels et déjà ils fournissent de bons produits. Sèvres a prétendu un
jour faire des vitraux! Elle en a fait de détestables à tous les points
de vue, comme art et comme fabrication.

L'industrie privée l'a promptement dépassée et Sèvres a fermé
ses ateliers. Cet exemple seul prouve que Sèvres ne peut rien pro-
duire, rien faire progresser et qu'elle n'est que le refuge d'une fabri-
cation routinière, dispendieuse et contestable au point de vue du
goût.

Vous voudriez que Sèvres laissât la bibeloterie pour faire du
grand art. Sèvres est impuissante par son organisation même, depuis
le directeur jusqu'au chauffeur; tous n'ont qu'un but unique : faire
aujourd'hui ce qu'on a fait hier, et s'ils perdaient ce but un instant
de vue, tous n'auraient plus qu'à s'en aller, car l'industrie privée
seule a les mobiles qui permettent de (s'écarter?) du convenu à ses
risques et périls.

Comment voulez-vous qu'un directeur ou même un chef d'atelier
prennent sur eux de perdre 20 ou 50 journées, de la matière et du
temps, — c'est-à-dire une vingtaine de mille francs pour essayer quoi
que ce soit?

Il faut donner un produit conformément à la tradition, non autre
chose; et la responsabilité de chacun ne permet pas d'aller à l'aventure.

Donc, à mon sens il n'y a qu'une conclusion Delenda est, comme
de bien d'autres choses.

La céramique appliquée à l'architecture se tirera d'affaire toute
seule et s'en tire déjà avant que Sèvres se doute de la chose.

Tout à vous,

VlOLLET-LE-DtiC,

68, rue Condorcet, et non 33.
 
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