FRANÇOISE
Voici le paragraphe du roman auquel la belle Francesca fait
allusion :
« De quoi me ferai-je prier, fait-elle, plus le veuilt-je que
vous. Lors tous trois se retirent plus et font semblant de con-
seiller. Le prince voit que le chevalier n'en ose plus faire, si le
prend par le menton et le baise devant Gallehaut assez longue-
ment. » Et le vers « Galeottofit il libre.. » s'explique aisément:
en effet, dans le roman de Lancelot du Lac, c'est bien Gallehaut
qui pousse la reine dans les bras du chevalier, c'est lui qui, en
ajoutant que toutes les prouesses accomplies par le chevalier
n'avaient d'autre but que de plaire à la reine dont il était pas-
sionnément amoureux, se fait le complaisant — tranchons le
mot, l'entremetteur de cet amour, en exigeant qu'en récom-
DE R1M1N1. 113
pense d'aussi brillants services la reine donne un baiser à son
chevalier.
Or, le serviteur complaisant qui pousse Francesca dans les
bras de Paolo, c'est le roman de Lancelot du Lac dont, penchés
l'un sur l'autre, ils lisent ensemble le plus dangereux passage.
Donc, le livre et celui qui récrivit furent pour eux un autre
Gallehaut.
Il est intéressant pour nous de constater que vers 1 ?oo nos
vieux romans de chevalerie étaient déjà célèbres en Italie, où on
les lisait en provençal, en français et en latin. Que les deux
amants fussent vraiment occupés à le lire au moment où Gian-
ciotto les a surpris, personne n'en peut répondre ; mais le fait
seul que Dante ait placé le livre dans leurs mains suffit à attester
I.C ■ VlALE D E I PoETI ( DANS la Pi N ETA DE RavENNK.
Dessin de Mary l.abbé.
l'immense retentissement qu'avaient eu, au-delà des Alpes, les
premières œuvres de notre littérature nationale.
1 out cependant ne peut pas être inventé dans ce prélude, et
la encore on est fondé à dire que quelque récit recueilli, quelque
tradition solidement établie ont dû servir de base au poète.
Les lèvres s'unissent, et le rideau tombe sur le vers :
" Ce jour-là nous ne lûmes pas plus avant... »>
Vers si simple, si retenu, si chaste ; au moment même où la
situation va probablement cesser de l'être. On n'unit pas plus
de grâce à plus de fragilité ; mais cette réserve ne fait pas le
compte de ceux qui aiment à aller au fond des choses, et nom-
bre de chroniqueurs et de commentateurs nous invitent à croire
que ce n'est pas à ce moment précis, mais un peu plus tard
seulement que Gianciotto a heurté violemment à l'huis du Gat-
tolo où s'est passée la scène.
Tome XIX.
Prenons donc un à un chacun des textes qui peuvent nous
éclairer sur cette question de nuances.
Personnellement, pour bien des raisons que nous avons
exposées, nous persistons à regarder le commentaire de Roccace
comme le grand document sur le sujet, mais nous avons dit
déjà que ce témoignage est contesté, non seulement par quelques
commentateurs italiens, mais aussi par des historiens français et
par quelques archivistes contemporains. Pour prendre le fait à
l'origine, on nie d'abord qu'il y ait eu inimitié et lutte à cette
époque entre les Malatesta et les Polenta ; mais ceci n'est pas
une circonstance importante; le fait de l'union des deux familles
peut avoir eu pour cause l'alliance offensive et défensive qui en
découlerait naturellement, tout aussi bien que la reconnaissance
de Guido Polenta envers Malatesta da Verucchio pour l'avoir
aidé àchasser les Traversari de Ravenne. Et il importe peu que le
mariage soit une cause d'alliance ou le résultat de cette dernière.
1 )
Voici le paragraphe du roman auquel la belle Francesca fait
allusion :
« De quoi me ferai-je prier, fait-elle, plus le veuilt-je que
vous. Lors tous trois se retirent plus et font semblant de con-
seiller. Le prince voit que le chevalier n'en ose plus faire, si le
prend par le menton et le baise devant Gallehaut assez longue-
ment. » Et le vers « Galeottofit il libre.. » s'explique aisément:
en effet, dans le roman de Lancelot du Lac, c'est bien Gallehaut
qui pousse la reine dans les bras du chevalier, c'est lui qui, en
ajoutant que toutes les prouesses accomplies par le chevalier
n'avaient d'autre but que de plaire à la reine dont il était pas-
sionnément amoureux, se fait le complaisant — tranchons le
mot, l'entremetteur de cet amour, en exigeant qu'en récom-
DE R1M1N1. 113
pense d'aussi brillants services la reine donne un baiser à son
chevalier.
Or, le serviteur complaisant qui pousse Francesca dans les
bras de Paolo, c'est le roman de Lancelot du Lac dont, penchés
l'un sur l'autre, ils lisent ensemble le plus dangereux passage.
Donc, le livre et celui qui récrivit furent pour eux un autre
Gallehaut.
Il est intéressant pour nous de constater que vers 1 ?oo nos
vieux romans de chevalerie étaient déjà célèbres en Italie, où on
les lisait en provençal, en français et en latin. Que les deux
amants fussent vraiment occupés à le lire au moment où Gian-
ciotto les a surpris, personne n'en peut répondre ; mais le fait
seul que Dante ait placé le livre dans leurs mains suffit à attester
I.C ■ VlALE D E I PoETI ( DANS la Pi N ETA DE RavENNK.
Dessin de Mary l.abbé.
l'immense retentissement qu'avaient eu, au-delà des Alpes, les
premières œuvres de notre littérature nationale.
1 out cependant ne peut pas être inventé dans ce prélude, et
la encore on est fondé à dire que quelque récit recueilli, quelque
tradition solidement établie ont dû servir de base au poète.
Les lèvres s'unissent, et le rideau tombe sur le vers :
" Ce jour-là nous ne lûmes pas plus avant... »>
Vers si simple, si retenu, si chaste ; au moment même où la
situation va probablement cesser de l'être. On n'unit pas plus
de grâce à plus de fragilité ; mais cette réserve ne fait pas le
compte de ceux qui aiment à aller au fond des choses, et nom-
bre de chroniqueurs et de commentateurs nous invitent à croire
que ce n'est pas à ce moment précis, mais un peu plus tard
seulement que Gianciotto a heurté violemment à l'huis du Gat-
tolo où s'est passée la scène.
Tome XIX.
Prenons donc un à un chacun des textes qui peuvent nous
éclairer sur cette question de nuances.
Personnellement, pour bien des raisons que nous avons
exposées, nous persistons à regarder le commentaire de Roccace
comme le grand document sur le sujet, mais nous avons dit
déjà que ce témoignage est contesté, non seulement par quelques
commentateurs italiens, mais aussi par des historiens français et
par quelques archivistes contemporains. Pour prendre le fait à
l'origine, on nie d'abord qu'il y ait eu inimitié et lutte à cette
époque entre les Malatesta et les Polenta ; mais ceci n'est pas
une circonstance importante; le fait de l'union des deux familles
peut avoir eu pour cause l'alliance offensive et défensive qui en
découlerait naturellement, tout aussi bien que la reconnaissance
de Guido Polenta envers Malatesta da Verucchio pour l'avoir
aidé àchasser les Traversari de Ravenne. Et il importe peu que le
mariage soit une cause d'alliance ou le résultat de cette dernière.
1 )