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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 5.1879 (Teil 4)

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CL

David d'Angers, sa vie, son œuvre, ses écrits et ses contempo-
rains, par Henri Jouin. — 2 vol. in-40 de 602-584 pages.
Pion, Paris, 1878.

Parmi ceux des grands sculpteurs de notre temps, le nom de
David est le plus populaire. Cette popularité', qui suit assez rare-
ment la sculpture, n'a pas seulement sa cause dans la forte per-
sonnalité de l'artiste et dans sa laborieuse fécondité'. Sans
doute la vie puissante répandue par David sur ses ouvrages était
faite pour frapper les yeux et attirer les sympathies du public.
Mais ce qui doit surtout fixer sur lui l'attention, c'est le carac-
tère moderne, héroïque et patriotique de son inspiration ; c'est
une aspiration généreuse, un effort constant vers la grandeur,
qui, même quand ses forces le trahissent et le laissent loin du
but, excitent encore l'intérêt et le respect.

David avait de son art l'idée la plus élevée. La sculpture
ne devait, selon lui, « représenter que de grandes actions » ;
elle était un « moyen de consacrer les hautes pensées, celles-là
seules qui peuvent servir au progrès de l'humanité ». C'est ainsi
qu'il s'exprime dans des fragments recueillis par son biographe;
on voit que la sculpture était pour lui une sorte d'apostolat.
David avait conçu le dessein de faire de son œuvre une vaste
épopée nationale dans laquelle il eût représenté tour à tour les
grandes figures de notre histoire. Son fameux fronton du Pan-
théon, au centre duquel apparaît, dans sa fière beauté, la figure
de la patrie française, est un résumé de sa pensée ; c'est aussi le
chef-d'œuvre de son génie.

Quoi qu'on en ait dit, il n'est pas inutile, pour exceller dans
l'art d'avoir des sentiments élevés et des convictions généreuses.
Plus on sera un homme, plus on aura de chance d'être un grand
artiste. La sculpture surtout, l'art public par excellence, a pour
mission d'exciter les nobles instincts, les hautes ambitions; c'est
ainsi que la concevait David, et cette conception a fait de lui ce
que nous avons vu. David n'avait peut-être pas pour l'art une
vocation bien spéciale, et on se l'imagine aisément tournant
vers un autre but ses puissantes facultés ; mais si ses ouvrages ne
témoignent pas toujours du goût le plus pur, ils respirent du
moins le plus noble et le plus viril enthousiasme ; s'il est parfois
infidèle au culte du beau, c'est pour celui du grand.

David était, d'ailleurs, un artiste très réfléchi et qui mûris-
sait lentement ses œuvres. Ses défaillances mêmes sont instruc-
tives ; elles témoignent d'un génie actif et profond, qui a pu se
tromper ou faiblir dans la réalisation de ses idées, mais qui, dans
toutes ses entreprises, a toujours tendu de toutes ses forces vers
le but le plus haut.

Le livre de M. Jouin fait bien connaître David d'Angers.
Non seulement son talent, mais son esprit et son caractère y
apparaissent clairement exposés et analysés par un critique stu-
dieux, réfléchi et de tout point compétent. Il serait à désirer que
tous nos grands artistes pussent trouver de pareils biographes.
L'ouvrage se compose de deux volumes et de deux parties. Dans
la première partie, M. Jouin a suivi son héros pas à pas dans sa
carrière ; il raconte tous les incidents de sa vie, et nous montre
le développement de son talent dans la série de ses ouvrages.
Dans la seconde, nous avons des écrits inédits de David lui-
même, des fragments d'esthétique et d'histoire de l'art, des por-
traits d'artistes, des lettres, etc. Papiers de famille, manuscrits,
passages d'écrits contemporains, où il est question de David.
M. Jouin a tout connu, tout lu, tout recueilli, David est là tout
entier. Deux portraits du maître, l'un par Ingres et l'autre par
Hébert, et vingt-trois planches d'après les principaux de ses
ouvrages, complètent cette belle publication, véritable monument

élevé à la mémoire de David par le plus consciencieux des his-
toriens.

Il est admis qu'un biographe a le droit d'exagérer un peu la
louange ; nous ne reprocherons pas à M. Jouin d'avoir usé de
ce droit en parlant de David. Nous lui reprocherons plutôt de
n'avoir pas fait assez ressortir dans David le rapport entre l'in-
dépendance du caractère et la fierté du talent. Le livre de
M. Jouin est, d'ailleurs, écrit avec soin ; on voit qu'il n'a pas
voulu seulement faire œuvre d'érudition et de critique, mais de
littérature. Surtout il a voulu être complet et faire ce qu'on
appelle un livre définitif. Nous croyons que personne, en effet,
ne sera tenté de reprendre la laborieuse entreprise si conscien-
cieusement accomplie.

La partie la plus curieuse de la publication est, sans doute,
celle qui renferme les écrits de David. Il y a toujours à ap-
prendre dans les idées qu'exprime sur son art un artiste tel que
David, surtout quand il les écrit pour lui seul et sans préoccupa-
tion de publicité. On sent dans ses réflexions et ses jugements, à
travers l'enflure et la déclamation, un esprit vigoureux et origi-
nal, accoutumé à se replier sur lui-même et à se formuler ses
observations et ses pensées, les résultats de son expérience et de
son travail intérieur. Les appréciations qu'il a faites des artistes,
ses contemporains et ses rivaux, sont particulièrement intéres-
santes. On ne s'étonne pas de le voir un peu sévère pour Pra-
dier, dont il admirait le grand talent, mais qui lui semblait don-
ner trop souvent à ses œuvres un caractère licencieux indigne
de l'art; mais on est surpris de le voir traiter avec peu de respect
un homme tel que Rude, dont les tendances élevées et géné-
reuses devaient lui être sympathiques.

David d'Angers a été en rapport avec la plupart des hommes
illustres de son temps. Il a été l'ami des plus grands poètes con-
temporains. Gœthe, Chateaubriand, Lamartine, Mkkiewicz,
ont posé devant lui. Son buste de Gœthe est célèbre. Celui de
Chateaubriand n'est pas moins beau ; cette tète colossale a quel-
que chose d'imposant qui ne se laisse pas oublier. Je me souviens
que Mickiewicz n'osait se regarder dans l'œuvre de David, de
peur, disait-il, d'en concevoir trop d'orgueil. Dans ces portraits,
et dans ceux de Cuvier, d'Arago, David a déployé une puis-
sance incontestable; il a su conserver au génie son caractère et
sa grandeur dans une apparition immortelle.

Les poètes ont rendu à David ses présents. Sainte-Beuve
lui a consacré une de ses plus jolies poésies, Sur une statue d'en-
fant, avec cette épitaphe : Divini opus Alcimedontis. Victor
Hugo, qui appelle David « le père des colosses », le représente
en de beaux vers :

Songeant à la patrie, aux tombeaux solennels.
Aux cités à remplir d'exemples éternels.

Il est bon d'avoir pour amis les amis de la Muse. David a
mérité, d'ailleurs, ces éloges par le caractère élevé et patriotique
de son inspiration.

On trouvera dans le livre de M. Jouin une foule de détails
curieux, non seulement sur David lui-même, mais sur ses amis
et sur celles de nos illustrations contemporaines dont il a re-
produit les traits dans ses médaillons. David comprenait tout,
s'intéressait à tout ; il était en plein dans le mouvement de son
temps ; il en respirait l'esprit par tous les pores. C'est ce qui fait
sa supériorité sur ceux de ses rivaux qui, mieux doués peut-être
pour l'art, n'ont pas eu sa vigueur et sa largeur d'intelligence,
sa puissance de sympathie, et n'ont pas reflété comme lui, dans
leur œuvre, les idées et les sentiments de leur siècle et de leur
pays.

L. DE RONCHAUD.
 
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