2qo L'A UT.
statues étaient véritablement aussi affreuses qu'ils le prétendaient, si leur caractère austère ne
s'harmonisait pas mieux que la sculpture moderne avec la très vieille architecture de l'édifice, et si
enfin ils les avaient au moins conservées. Mais ces demandes sembleraient constituer un reproche
à l'adresse des dignes magistrats, et c'est surtout au goût dominant de l'époque que le reproche
pourrait plus justement s'adresser.
On avait alors, en effet, la manie de tout agrandir, de tout restaurer, de tout embellir, sans
se préoccuper en aucune façon d'approprier ces prétendus embellissements au style du monument
à restaurer. On dirait vraiment qu'il n'était jamais venu à l'esprit des vieux maîtres l'idée
d'adapter leur style au caractère dominant de l'édifice auquel ils travaillaient, persuadés qu'ils
étaient sans doute que tout ce qui avait été fait dans les siècles précédents était œuvre
« barbare ». C'est de nos jours seulement qu'on a compris la nécessité d'harmoniser, dans une
même construction, ce qui reste de l'œuvre originale avec les perfectionnements nouveaux.
Pour en revenir aux deux statues de Saint-Jean, il est probable que le Sansovino se mit sans
retard à la tâche, mais ce qui est certain, c'est que le 31 janvier IJ04, rien n'était encore terminé.
On lui proposa, à cette date, de lui donner immédiatement une somme de quatre-vingts florins,
cinquante autres devant lui être comptés, si, dans un délai de dix mois, il avait parachevé ses
statues.
Le traité fut accepté. Néanmoins Vasari nous apprend qu'avant d'avoir mené à bien son
œuvre Andréa fut en quelque sorte forcé de la laisser, chargé qu'il fut d'autres travaux pour la
cathédrale de Gènes.
De telle sorte que les pauvres statues demeurèrent assez longtemps abandonnées dans les
ateliers de Saint-Jean. Elles furent ensuite achevées par le Pérugin Vincenzo Danti, et placées
sur la porte qui fait face à la cathédrale.
Maintenant, j'estime que, dans quelque état que Sansovino ait laissé ces statues, on doit de
grands éloges à Danti pour avoir su les terminer sans leur rien enlever de leur primitive beauté.
Et certes le mérite n'était pas mince, si l'on songe qu'au temps où vivait le sculpteur pérugin
l'art était tombé en décadence et avait notablement perdu de cette simplicité savante dont
témoigne le ciseau de Sansovino.
Au siècle dernier, on a ajouté aux deux figures du Christ et de saint Jean un ange sculpté par
Vincenzo Spinazzi. La sculpture est mauvaise, ce qui n'a rien d'étonnant eu égard à l'époque où
elle fut exécutée; elle est mal placée, beaucoup trop éloignée du centre, comme si elle se sentait
gênée par le voisinage d'une œuvre qui lui est tellement supérieure.
Bien qu'il y ait fort à louer dans les statues dont je viens de parler, les Consuls de ï art des
marchands furent encore mieux inspirés lorsqu'ils confièrent à Giovan Francesco Rustici, sculpteur
et architecte florentin (10 décembre i)'o6), les trois statues de bronze hautes de quatre coudées,
destinées à être placées au-dessus de la porte regardant l'ancien Chapitre, et devant représenter,
comme celles qu'elles étaient appelées à remplacer, saint Jean prêchant entre un Pharisien et un
Lévite.
Rustici était noble, sa fortune lui permettait de vivre honorablement, et il cherchait dans
l'art bien plutôt la satisfaction de ses goûts et l'occasion d'acquérir de la réputation, que le moyen
de gagner de l'argent. Grâce à Laurent de Médicis qui l'avait connu fort jeune et l'avait pris en
affection, d'esprit vif d'ailleurs et d'un caractère élevé, il avait reçu des leçons d'Andréa del
Verrocchio. Là il avait rencontré Léonard de Vinci, avec lequel il se lia intimement et qu'il ne
quitta point lorsque le maître se rendit à Venise. 11 lui témoignait, nous dit Vasari, la plus
affectueuse soumission, à laquelle Léonard de Vinci répondait par une vive amitié, au point qu'il
ne faisait rien sans l'assentiment de Rustici.
Je ne saurais préciser à quel point les œuvres de Rustici profitèrent de cette parfaite harmonie
de sentiment; ce qui est certain, c'est que le goût naturel de notre sculpteur fut puissamment
aidé par les conseils, d'aucuns môme prétendent par la main de Léonard.
Je dois ajouter ici que Giovan Francesco, pendant qu'il travaillait aux statues dont il venait
de recevoir la commande, ne laissait approcher personne, et sans égard pour qui que ce fût,
statues étaient véritablement aussi affreuses qu'ils le prétendaient, si leur caractère austère ne
s'harmonisait pas mieux que la sculpture moderne avec la très vieille architecture de l'édifice, et si
enfin ils les avaient au moins conservées. Mais ces demandes sembleraient constituer un reproche
à l'adresse des dignes magistrats, et c'est surtout au goût dominant de l'époque que le reproche
pourrait plus justement s'adresser.
On avait alors, en effet, la manie de tout agrandir, de tout restaurer, de tout embellir, sans
se préoccuper en aucune façon d'approprier ces prétendus embellissements au style du monument
à restaurer. On dirait vraiment qu'il n'était jamais venu à l'esprit des vieux maîtres l'idée
d'adapter leur style au caractère dominant de l'édifice auquel ils travaillaient, persuadés qu'ils
étaient sans doute que tout ce qui avait été fait dans les siècles précédents était œuvre
« barbare ». C'est de nos jours seulement qu'on a compris la nécessité d'harmoniser, dans une
même construction, ce qui reste de l'œuvre originale avec les perfectionnements nouveaux.
Pour en revenir aux deux statues de Saint-Jean, il est probable que le Sansovino se mit sans
retard à la tâche, mais ce qui est certain, c'est que le 31 janvier IJ04, rien n'était encore terminé.
On lui proposa, à cette date, de lui donner immédiatement une somme de quatre-vingts florins,
cinquante autres devant lui être comptés, si, dans un délai de dix mois, il avait parachevé ses
statues.
Le traité fut accepté. Néanmoins Vasari nous apprend qu'avant d'avoir mené à bien son
œuvre Andréa fut en quelque sorte forcé de la laisser, chargé qu'il fut d'autres travaux pour la
cathédrale de Gènes.
De telle sorte que les pauvres statues demeurèrent assez longtemps abandonnées dans les
ateliers de Saint-Jean. Elles furent ensuite achevées par le Pérugin Vincenzo Danti, et placées
sur la porte qui fait face à la cathédrale.
Maintenant, j'estime que, dans quelque état que Sansovino ait laissé ces statues, on doit de
grands éloges à Danti pour avoir su les terminer sans leur rien enlever de leur primitive beauté.
Et certes le mérite n'était pas mince, si l'on songe qu'au temps où vivait le sculpteur pérugin
l'art était tombé en décadence et avait notablement perdu de cette simplicité savante dont
témoigne le ciseau de Sansovino.
Au siècle dernier, on a ajouté aux deux figures du Christ et de saint Jean un ange sculpté par
Vincenzo Spinazzi. La sculpture est mauvaise, ce qui n'a rien d'étonnant eu égard à l'époque où
elle fut exécutée; elle est mal placée, beaucoup trop éloignée du centre, comme si elle se sentait
gênée par le voisinage d'une œuvre qui lui est tellement supérieure.
Bien qu'il y ait fort à louer dans les statues dont je viens de parler, les Consuls de ï art des
marchands furent encore mieux inspirés lorsqu'ils confièrent à Giovan Francesco Rustici, sculpteur
et architecte florentin (10 décembre i)'o6), les trois statues de bronze hautes de quatre coudées,
destinées à être placées au-dessus de la porte regardant l'ancien Chapitre, et devant représenter,
comme celles qu'elles étaient appelées à remplacer, saint Jean prêchant entre un Pharisien et un
Lévite.
Rustici était noble, sa fortune lui permettait de vivre honorablement, et il cherchait dans
l'art bien plutôt la satisfaction de ses goûts et l'occasion d'acquérir de la réputation, que le moyen
de gagner de l'argent. Grâce à Laurent de Médicis qui l'avait connu fort jeune et l'avait pris en
affection, d'esprit vif d'ailleurs et d'un caractère élevé, il avait reçu des leçons d'Andréa del
Verrocchio. Là il avait rencontré Léonard de Vinci, avec lequel il se lia intimement et qu'il ne
quitta point lorsque le maître se rendit à Venise. 11 lui témoignait, nous dit Vasari, la plus
affectueuse soumission, à laquelle Léonard de Vinci répondait par une vive amitié, au point qu'il
ne faisait rien sans l'assentiment de Rustici.
Je ne saurais préciser à quel point les œuvres de Rustici profitèrent de cette parfaite harmonie
de sentiment; ce qui est certain, c'est que le goût naturel de notre sculpteur fut puissamment
aidé par les conseils, d'aucuns môme prétendent par la main de Léonard.
Je dois ajouter ici que Giovan Francesco, pendant qu'il travaillait aux statues dont il venait
de recevoir la commande, ne laissait approcher personne, et sans égard pour qui que ce fût,