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place devant un tambour incliné et tient longtemps levé le bâton
qui doit frapper. Subitement, elle l'abaisse et produit un son
épouvantable. Fière de l'effet obtenu, elle redouble d'activité;
une machine à piler les minerais n'arrive pas à être plus désa-
gréable et plus bruyante. Enthousiasmée, elle chante en pous-
sant des cris de chat écrasé. Le
Sa-missen s'anime et lance les
notes les plus déchirantes, tandis
que le petit tambour aboie de
son mieux. On s'aperçoit que le
morceau est terminé, parce que
le bruit cesse subitement.
Voici maintenant pour les
chants liturgiques du culte de
Bouddha.
Le prêtre officiant com-
mence un récit monotone, avec
quelques inflexions de voix qui
montent en traînant, comme si
l'intonation tournait dans la
qui donnent à cette illustration un ! gorge. Puis les bonzes reprennent
en chœur, chacun dans son ton. dXnseuse mpona.se.
Cette sorte de mugissement Dessin de Félix Regamey.
chromatique et rythmé, pro-
duit par de nombreuses voix d'hommes, rappelle les grandes
harmonies de la nature. Tantôt on reconnaît la plénitude et la
CC VIII
Promenades japonaises. — Tokio-Nikko. Tome II. Un volume
in-4" de 288 pages : texte par Emile Guimet; dessins par
Félix Regamey. — Paris, G. Charpentier, 1880.
Nous avons, dans l'examen du
premier volume, raconté comment
M. Emile Guimet a été amené à visiter
les contrées de l'Orient et nous avons
rendu justice aux mérites du style
rapide et facile des récits qu'il intitule :
Promenades japonaises. Nous avons
également insisté sur l'appréciation des
dessins dont M. Félix Regamey, le
compagnon de voyage de M. Guimet.
a semé ces récits, dessins authentiques
pris sur place avec une conscience, un
talent et un sentiment du japonisme
ragoût tout particulier.
Danseuse japonaise. _ r .
Pour cette 101s, nous nous atta-
Dcssin de relix Regamey.
cherons spécialement aux renseigne-
ments que nous donne l'auteur sur l'art au Japon, et nous nous
contenterons autant que possible de citer les termes mêmes du
livre, tout en abré- vigueur du bruit de la
géant, de manière à /Ç , ■ mer, tantôt le chant
faire entrer plusieurs
chapitres dans les li-
mites de cet article.
Nos voyageurs
dînent au Restaurant
de la lune et des fleurs.
On introduit trois mu-
siciennes, qui se met-
tent à genoux en face
d'eux et s'efforcent
d'accorder leurs instru-
ments. L'une joue du
Sa-missen, longue et
mince guitare, ornée
de peau de serpent,
dont les sons rudes et
courts n'ont rien de
musical. Une joueuse
de Sa-missen qui se
respecte joue toujours
faux. Si elle chante,
plaintif et doux du vent
dans les grands pins,
tantôt le murmure
agité et puissant d'un
peuple assemblé. Ce
n'est pas une prière,
c'est un bruit d'êtres,,
un concert d'âmes, une
harmonie venue des
mondes extra- hu-
mains. Chose curieuse !
aucune dissonance ne
blesse l'oreille. Par ce
frôlement de notes
voisines, il se forme
des harmoniques qui
renforcent la sonorité
et donnent les vibra-
tions des grosses clo-
ches. C'est grandiose
et mystique; c'est
elle chante d'accord Sakia-Mouni et ses adorateurs. comme un océan qui
avec l'instrument, Fac-similé d'un dessin de Kiosaï, peintre japonais', par Félix Regamey. adore; ce bruit ému
c'est-à-dire faux ou du et palpitant doit faire
moins dans une tonalité insaisissable pour des oreilles euro-
péennes et dont les intervalles paraissent toujours trop petits.
Seraient-ce là les fameux quarts de ton de la musique grecque 1 ?
Une autre musicienne joue d'un petit tambour qu'elle tient
de la main gauche sur son épaule et qu'elle frappe de la main
tressaillir l'âme de tous les bouddhas. C'est un chaos de notes
qu'on ne pourrait ni écrire ni harmoniser et qui ne laisse pas
de produire une vive impression.
Retournons au Restaurant de la lune et des /leurs. Quand
la musique a cessé, arrive une danseuse. L'orchestre accorde de
droite. Les cordons de soie qui tendent les peaux du tambour ; nouveau ses instruments ; la danseuse se lève et prend des poses,
sont réunis dans la main gauche qui les serre et les tend à j C'est une danse dramatique qu'elle exécute. On retrouve dans
chaque coup frappé, de sorte que le son jappe et crie comme un ! ses attitudes les allures contournées des vieux dessins japonais,
hurlement de phoque en colère. Une troisième jeune fille se ! Dans la pantomime, les traits du visage restent impassibles ;
1. Page 284 : « Pendant la halte, un concert. Deux femmes nous régalent d'une espèce de marche assez bien rythmée et vraiment très juste.
v On nous fait observer que ces femmes sont de la campagne et n'ont aucun talent. C'est sans doute pour cela qu'elles ne jouent pas faux. »
Tome XXIII. 18
place devant un tambour incliné et tient longtemps levé le bâton
qui doit frapper. Subitement, elle l'abaisse et produit un son
épouvantable. Fière de l'effet obtenu, elle redouble d'activité;
une machine à piler les minerais n'arrive pas à être plus désa-
gréable et plus bruyante. Enthousiasmée, elle chante en pous-
sant des cris de chat écrasé. Le
Sa-missen s'anime et lance les
notes les plus déchirantes, tandis
que le petit tambour aboie de
son mieux. On s'aperçoit que le
morceau est terminé, parce que
le bruit cesse subitement.
Voici maintenant pour les
chants liturgiques du culte de
Bouddha.
Le prêtre officiant com-
mence un récit monotone, avec
quelques inflexions de voix qui
montent en traînant, comme si
l'intonation tournait dans la
qui donnent à cette illustration un ! gorge. Puis les bonzes reprennent
en chœur, chacun dans son ton. dXnseuse mpona.se.
Cette sorte de mugissement Dessin de Félix Regamey.
chromatique et rythmé, pro-
duit par de nombreuses voix d'hommes, rappelle les grandes
harmonies de la nature. Tantôt on reconnaît la plénitude et la
CC VIII
Promenades japonaises. — Tokio-Nikko. Tome II. Un volume
in-4" de 288 pages : texte par Emile Guimet; dessins par
Félix Regamey. — Paris, G. Charpentier, 1880.
Nous avons, dans l'examen du
premier volume, raconté comment
M. Emile Guimet a été amené à visiter
les contrées de l'Orient et nous avons
rendu justice aux mérites du style
rapide et facile des récits qu'il intitule :
Promenades japonaises. Nous avons
également insisté sur l'appréciation des
dessins dont M. Félix Regamey, le
compagnon de voyage de M. Guimet.
a semé ces récits, dessins authentiques
pris sur place avec une conscience, un
talent et un sentiment du japonisme
ragoût tout particulier.
Danseuse japonaise. _ r .
Pour cette 101s, nous nous atta-
Dcssin de relix Regamey.
cherons spécialement aux renseigne-
ments que nous donne l'auteur sur l'art au Japon, et nous nous
contenterons autant que possible de citer les termes mêmes du
livre, tout en abré- vigueur du bruit de la
géant, de manière à /Ç , ■ mer, tantôt le chant
faire entrer plusieurs
chapitres dans les li-
mites de cet article.
Nos voyageurs
dînent au Restaurant
de la lune et des fleurs.
On introduit trois mu-
siciennes, qui se met-
tent à genoux en face
d'eux et s'efforcent
d'accorder leurs instru-
ments. L'une joue du
Sa-missen, longue et
mince guitare, ornée
de peau de serpent,
dont les sons rudes et
courts n'ont rien de
musical. Une joueuse
de Sa-missen qui se
respecte joue toujours
faux. Si elle chante,
plaintif et doux du vent
dans les grands pins,
tantôt le murmure
agité et puissant d'un
peuple assemblé. Ce
n'est pas une prière,
c'est un bruit d'êtres,,
un concert d'âmes, une
harmonie venue des
mondes extra- hu-
mains. Chose curieuse !
aucune dissonance ne
blesse l'oreille. Par ce
frôlement de notes
voisines, il se forme
des harmoniques qui
renforcent la sonorité
et donnent les vibra-
tions des grosses clo-
ches. C'est grandiose
et mystique; c'est
elle chante d'accord Sakia-Mouni et ses adorateurs. comme un océan qui
avec l'instrument, Fac-similé d'un dessin de Kiosaï, peintre japonais', par Félix Regamey. adore; ce bruit ému
c'est-à-dire faux ou du et palpitant doit faire
moins dans une tonalité insaisissable pour des oreilles euro-
péennes et dont les intervalles paraissent toujours trop petits.
Seraient-ce là les fameux quarts de ton de la musique grecque 1 ?
Une autre musicienne joue d'un petit tambour qu'elle tient
de la main gauche sur son épaule et qu'elle frappe de la main
tressaillir l'âme de tous les bouddhas. C'est un chaos de notes
qu'on ne pourrait ni écrire ni harmoniser et qui ne laisse pas
de produire une vive impression.
Retournons au Restaurant de la lune et des /leurs. Quand
la musique a cessé, arrive une danseuse. L'orchestre accorde de
droite. Les cordons de soie qui tendent les peaux du tambour ; nouveau ses instruments ; la danseuse se lève et prend des poses,
sont réunis dans la main gauche qui les serre et les tend à j C'est une danse dramatique qu'elle exécute. On retrouve dans
chaque coup frappé, de sorte que le son jappe et crie comme un ! ses attitudes les allures contournées des vieux dessins japonais,
hurlement de phoque en colère. Une troisième jeune fille se ! Dans la pantomime, les traits du visage restent impassibles ;
1. Page 284 : « Pendant la halte, un concert. Deux femmes nous régalent d'une espèce de marche assez bien rythmée et vraiment très juste.
v On nous fait observer que ces femmes sont de la campagne et n'ont aucun talent. C'est sans doute pour cela qu'elles ne jouent pas faux. »
Tome XXIII. 18