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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 3.1877 (Teil 4)

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Guiffrey, Jules: Lettres inédites d'Eugène Delacroix, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.16907#0026

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LETTRES INÉDITES D'EUGÈNE DELACROIX

(suite 1 )

J'ignore le nom du destinataire de la lettre suivante, aussi
bien que celui de l'artiste pour laquelle Delacroix sollicite le pas-
sage gratuit de France en Algérie sur un bâtiment de l'Etat.
Malgré les persécutions qui continuaient à s'acharner sur lui,
l'artiste jouissait déjà d'un réel prestige et d'une certaine in-
fluence, aussi n'est-il pas étonnant qu'on ait eu recours à sa re-
commandation pour appuyer une requête de cette nature.

Quant aux détails sur sa santé, que Delacroix donne à son
correspondant, on en trouve d'identiques dans bien des lettres
qui nous sont parvenues. Comme l'a dit un de ses biographes
qui l'ont le mieux connu, Delacroix n'a eu qu'une maladie;
mais elle a duré toute sa vie. La délicatesse de sa gorge exigeait
des soins incessants dont des excès de travail lui faisaient conti-
nuellement perdre tout le bénéfice. Aussi, pour résister au mal,
te peintre avait-il l'habitude d'avoir constamment un cache-nez
enroulé autour de son cou, môme dans son atelier. Peut-être
cette précaution excessive avait-elle contribué à augmenter la
délicatesse de l'organe qu'il aurait fallu fortifier.

VI

« Monsieur2, excusez mon indiscrétion si je vous écris pour
la demande que je prends la liberté de vous faire ,au lieu d'aller
moi-même en causer avec vous. Depuis le commencement de
l'hiver ma santé a été très-mauvaise, mais depuis un mois environ
j'ai été fixé chez moi et, le plus souvent, au lit par une inflam-
mation de la gorge, à laquelle une sortie inconsidérée, il y a
quelques jours, a failli faire reprendre son intensité. Vous me
pardonnerez donc, j'espère, de vous expliquer ici de quoi il s'agit.

« Serait-il bien difficile d'obtenir le passage sur un bâti-
ment de l'Etat pour une dame, artiste de profession et paysa-
giste distinguée, que ses relations attirent à Alger et qui désire-
rait en même temps y faire des études pour son art? J'ai pensé
que vous pourriez peut-être me guider de vos lumières et de
votre bienveillant appui dans cette petite affaire, à condition,
toutefois, qu'elle ne demandera de votre part aucune démarche
trop étrangère à vos relations habituelles, car je serais au déses-
poir de vous causer le moindre ennui à ce sujet.

« Pardonnez-moi encore une fois, Monsieur, et recevez de
toute manière les assurances de ma bien haute considération et
de mon dévouement bien sincère.

« Eue Delacroix.
« Rue des Marais-Saint-Germain, n° 7.

« Ce 16 mars 1839. »

Les lettres suivantes, écrites à un des plus anciens amis de
l'artiste, à l'érudit et regretté conservateur des peintures du
Louvre, M. F. Villot, rappellent l'époque à laquelle Eugène De-
lacroix devint un des commensaux habituels de George Sand.
Depuis quelque temps déjà il avait pris l'habitude d'aller se
reposer pendant l'été au milieu de la société choisie de Nohant.
Ces relations remontaient à plusieurs années, comme on peut le
voir dans la notice biographique de M. Piron, quand fut écrite la
lettre suivante. Parmi les détails intimes qu'elle renferme sur la
vie que mène l'artiste au château de Nohant en 1842, il en est
un qui mérite d'être remarqué. E. Delacroix entreprend un
tableau de sainte Anne pour l'église du village. Il ne peut être

question que de l'église de Nohant. Or, parmi les peintures de
Delacroix conservées dans des églises, peintures dont M. Moreau
a donné le catalogue, on ne voit pas figurer cette Sainte Anne;
son existence paraît avoir été ignorée jusqu'ici de tous les bio-
graphes. Il serait facile de constater si le tableau se trouve encore
dans l'église de Nohant. Une œuvre d'Eugène Delacroix vaut
bien la peine qu'on fasse cette recherche.

VII

« 14 juin.

« Mon cher ami3, ma paresse est très-grande pour écrire,
comme vous savez, et je ne sçais pourquoi elle a redoublé depuis
que je suis ici; non pas que mes journées soient tellement rem-
plies que je n'en puisse trouver le moment ; mais une sorte de
langueur qui vous prend avec ces chaleurs abominables fait de
moi le plus mou et le moins écriveur des hommes. Quoique je
sois dans la situation la plus douce sous tous les rapports et
d'esprit et de corps, car je me porte beaucoup mieux, je n'ai pu
m'empècher de penser au travail. Chose bizarre : ce travail est
fatigant et cependant l'espèce d'activité qu'il donne à l'esprit
est nécessaire au corps lui-même. J'ai eu beau prendre la pas-
sion du billard, dont je reçois des leçons tous les jours, j'ai beau
avoir de bonnes conversations sur tous les sujets qui me plai-
sent, de la musique que je prends au vol et par bouffées, j'ai
éprouvé le besoin de faire quelque chose. J'ai entrepris une
sainte Anne pour la paroisse et je l'ai déjà mise en train. J'espère
que l'achèvement de cette petite peinture ne me retiendra pas
au delà du temps que je me suis fixé pour rester ici. Chose
bizarre: j'ai fui Paris pour ne pas travailler, et je me remets à
travailler ici. Il y a pourtant cette différence qu'ici c'est à bâtons
rompus, et que j'ai de l'ombre pour me reposer et me promener
comme on n'en trouve pas à Paris. Écrivez-moi longuement ce
que vous faites et comment vous êtes. Je vois avec plaisir ce
séjour à la campagne pour votre santé, et avec un certain cha-
grin pour moi. Je vous verrai moins souvent. Nous aurons
moins de dîners en tête à tête et de promenades romantiques
sous les marronniers des Tuileries. Pierret m'écrit que la chaleur
est affreuse à Paris. Fuyez donc et allez chercher le frais. Je
plains vraiment ce pauvre ami qui est enchaîné à sa cruelle
besogne ; obligé de passer les jours de l'été dans de puantes pa-
perasses et occupé des plus rebutantes affaires ; et à quoi cela
le mène-t-il ? Si vous le voyez avant que je lui réponde, remer-
ciez-le bien de l'envoi qu'il m'a fait des couleurs et autres objets
que je lui avais demandés pour ma sainte Anne.

« Vous savez combien je suis peu coleur. Vous ne sauriez
croire ce qu'il m'a fallu de peine et d'ennui pour m'organiser une
toile à peindre. Il a fallu la clouer et déclouer 5 ou 6 fois, et enfin
je suis obligé de peindre dessus sans l'imprimer. L'ébauche servira
d'impression ; et néanmoins je suis bien aise de l'avoir entrepris.

« Conservez-vous, mon cher ami ; conservons surtout l'ami-
tié. Dieu que c'est un dépôt fragile ; que peu de chose peut ternir
ce miroir où deux têtes se réfléchissent ensemble; qu'il faut peu
de chose pour troubler et rendre terne l'une des deux images!
Jusqu'ici je vous vois pur et net. Faisons durer cela et puissiez-
vous me voir de même ! »

A la quatrième page, Delacroix qui n'a pas eu la place de
signer à la troisième, donne son adresse tout en haut du papier :

1. Voir l'Art,')" année, tome III, page 331.

2. Lettre communiquée par M. B. Fillon.

3. Adresse : « Monsieur Viiiot, — rue de la Ferme-des-Mathurins, 26. — Paris. » (Cachet de poste portant la date de 1842?) — Cette lettre et la suivante
appartiennent actuellement.

Tome XI. '
 
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