LE COMMERCE DES OBJETS D'ART. 129
adjugée. Le livre qu'on mit sur table (put up) immédiatement après, fut un catalogue de livres
français, par Lacroix du Maine, un petit in-folio couvert de vieux parchemin, huit livres ; quand
je vis cela, je les laissai s'arranger entre eux comme il leur plut. » Quant aux ventes privées,
l'édit de 1686 interdit aux particuliers de disposer de Lurs bibliothèques « par vente ou autre-
ment », sans avoir obtenu la permission spéciale du Lieutenant de Police et sans que la biblio-
thèque ait été visitée par les syndics de la librairie ; encore faut-il que la vente soit faite par un
libraire ou un imprimeur, qui devront se faire représenter le certificat de visite des syndics, « sous
peine d'une amende de y 00 livres, avec interdiction pendant six mois1». La visite des syndics
avait pour objet de saisir les pamphlets politiques et les livres prohibés.
La police exerçait la même surveillance sur les ventes de médailles. En 1696, Pontchartrain
écrit à M. de la Reynie « d'envoyer un homme à la vente de l'abbé Bizot, lorsqu'on vendroit les
médailles insolentes de ce cabinet..... affin de voir toutes celles qui sont mauvaises, de quelque
métail que ce soit, et de les faire mettre à part. L'intention de Sa Majesté est qu'en vostre
présence celles qu'il jugera devoir estre supprimées soient mises dans un sacq cacheté ; par ce
moyen, il ne s'en détourneroit aucune, et j'auroy soin de les envoyer à la monnoye et d'en faire
payer le prix aux créanciers2. »
A la même époque, les catalogues sont beaucoup plus répandus en Hollande, mais la vente
y est libre. Le Hollandais nous avait devancés dans l'organisation commerciale de la curiosité.
Né collectionneur et marchand, il aimait passionnément les tableaux de son école, les livres de
ses imprimeurs, les laques et les porcelaines que ses navires lui apportaient de l'extrême
Orient, ses faïences et ses tulipes; il les payait fort cher, en formait des collections considérables
et, la hausse une fois faite, revendait à bénéfice en gros ou en détail. Ce nouveau mouvement
d'affaires exigeant une organisation commerciale, on fut amené à traiter la curiosité comme les
autres marchandises; la vente publique fut réglementée d'une manière pratique, uniforme, et,
pour commencer, on lui donna un domicile fixe, une Bourse centrale et unique ; à Amsterdam,
cette Bourse se tenait au Vieux Heer Logement. Pour couper court aux prétentions des corps de
métiers, un commissaire officiel fut nommé par les bourgmestres ; il s'appelait Vendu-meester ou
Afslager, et se bornait à présider et à prononcer l'adjudication, le courtier faisant l'estimation.
« Au milieu d'une cour est élevé une espèce de bureau, sur lequel cet officier se place, ayant à
ses cotez les courtiers, et devant lui une table avec un bassin de cuivre, et une baguette pour
frapper dessus lorsqu'il veut imposer le silence, ou qu'il veut adjuger les lots aux derniers
enchérisseurs..... Lorsqu'après diverses enchères il s'apperçoit que personne n'enchérit plus, il
frappe un coup sur le bassin pour adjuger le lot3 ». On n'a rien trouvé de mieux depuis deux
siècles. Du courtier nous avons fait l'expert, du vendu-meester le commissaire-priseur nommé
comme lui par l'État et remplissant les mêmes fonctions ; la Bourse de la curiosité s'appelle
l'hôtel Drouot, et la baguette frappant sur le bassin est le prototype du marteau d'ivoire4.
Il restait à trouver le marchand de curiosités ; c'est la dernière création du xvn° siècle.
Plusieurs corps d'état se partageaient alors, comme autrefois, la clientèle du curieux. En
première ligne venaient le peintre, le sculpteur, le graveur et Torfévre, qui vendaient seuls et
directement leurs ouvrages, soit à l'atelier, soit en boutique, soit au champ de foire. Charles
Hérault, peintre du roi et conseiller de l'Académie, dressait périodiquement son étalage à la foire
Saint-Germain5, et Sauvai, à ce propos, s'émerveille «de l'infinité de tableaux entassés et placés
les uns sur les autres dans les loges des peintres" ».
La « jouaillerie » et la bijouterie, la vente des « tableaux, estampes, figures de bronze, de
marbre, de bois, candélabres, girandoles, pendules, cabinets, tables », ouvrages de laque et de
1. Savary des Brûlons, Dictionnaire du commerce, au mot : Livres. ■ .
2. Jal, Dictionnaire, Médailles.
}. Dictionnaire du commerce, au mot Vendu-meester.
4. Le marteau était déjà employé dans les ventes anglaises en 1755, à l'imitation de la baguette hollandaise. Livre-Journal de Lazare
Duvaux, par L. Courajod, I, p- CXLiv.
5. G. Brice, éd. 1698, II, 245-
6. Sauval, I, 66 5.
Tome XI. 17
adjugée. Le livre qu'on mit sur table (put up) immédiatement après, fut un catalogue de livres
français, par Lacroix du Maine, un petit in-folio couvert de vieux parchemin, huit livres ; quand
je vis cela, je les laissai s'arranger entre eux comme il leur plut. » Quant aux ventes privées,
l'édit de 1686 interdit aux particuliers de disposer de Lurs bibliothèques « par vente ou autre-
ment », sans avoir obtenu la permission spéciale du Lieutenant de Police et sans que la biblio-
thèque ait été visitée par les syndics de la librairie ; encore faut-il que la vente soit faite par un
libraire ou un imprimeur, qui devront se faire représenter le certificat de visite des syndics, « sous
peine d'une amende de y 00 livres, avec interdiction pendant six mois1». La visite des syndics
avait pour objet de saisir les pamphlets politiques et les livres prohibés.
La police exerçait la même surveillance sur les ventes de médailles. En 1696, Pontchartrain
écrit à M. de la Reynie « d'envoyer un homme à la vente de l'abbé Bizot, lorsqu'on vendroit les
médailles insolentes de ce cabinet..... affin de voir toutes celles qui sont mauvaises, de quelque
métail que ce soit, et de les faire mettre à part. L'intention de Sa Majesté est qu'en vostre
présence celles qu'il jugera devoir estre supprimées soient mises dans un sacq cacheté ; par ce
moyen, il ne s'en détourneroit aucune, et j'auroy soin de les envoyer à la monnoye et d'en faire
payer le prix aux créanciers2. »
A la même époque, les catalogues sont beaucoup plus répandus en Hollande, mais la vente
y est libre. Le Hollandais nous avait devancés dans l'organisation commerciale de la curiosité.
Né collectionneur et marchand, il aimait passionnément les tableaux de son école, les livres de
ses imprimeurs, les laques et les porcelaines que ses navires lui apportaient de l'extrême
Orient, ses faïences et ses tulipes; il les payait fort cher, en formait des collections considérables
et, la hausse une fois faite, revendait à bénéfice en gros ou en détail. Ce nouveau mouvement
d'affaires exigeant une organisation commerciale, on fut amené à traiter la curiosité comme les
autres marchandises; la vente publique fut réglementée d'une manière pratique, uniforme, et,
pour commencer, on lui donna un domicile fixe, une Bourse centrale et unique ; à Amsterdam,
cette Bourse se tenait au Vieux Heer Logement. Pour couper court aux prétentions des corps de
métiers, un commissaire officiel fut nommé par les bourgmestres ; il s'appelait Vendu-meester ou
Afslager, et se bornait à présider et à prononcer l'adjudication, le courtier faisant l'estimation.
« Au milieu d'une cour est élevé une espèce de bureau, sur lequel cet officier se place, ayant à
ses cotez les courtiers, et devant lui une table avec un bassin de cuivre, et une baguette pour
frapper dessus lorsqu'il veut imposer le silence, ou qu'il veut adjuger les lots aux derniers
enchérisseurs..... Lorsqu'après diverses enchères il s'apperçoit que personne n'enchérit plus, il
frappe un coup sur le bassin pour adjuger le lot3 ». On n'a rien trouvé de mieux depuis deux
siècles. Du courtier nous avons fait l'expert, du vendu-meester le commissaire-priseur nommé
comme lui par l'État et remplissant les mêmes fonctions ; la Bourse de la curiosité s'appelle
l'hôtel Drouot, et la baguette frappant sur le bassin est le prototype du marteau d'ivoire4.
Il restait à trouver le marchand de curiosités ; c'est la dernière création du xvn° siècle.
Plusieurs corps d'état se partageaient alors, comme autrefois, la clientèle du curieux. En
première ligne venaient le peintre, le sculpteur, le graveur et Torfévre, qui vendaient seuls et
directement leurs ouvrages, soit à l'atelier, soit en boutique, soit au champ de foire. Charles
Hérault, peintre du roi et conseiller de l'Académie, dressait périodiquement son étalage à la foire
Saint-Germain5, et Sauvai, à ce propos, s'émerveille «de l'infinité de tableaux entassés et placés
les uns sur les autres dans les loges des peintres" ».
La « jouaillerie » et la bijouterie, la vente des « tableaux, estampes, figures de bronze, de
marbre, de bois, candélabres, girandoles, pendules, cabinets, tables », ouvrages de laque et de
1. Savary des Brûlons, Dictionnaire du commerce, au mot : Livres. ■ .
2. Jal, Dictionnaire, Médailles.
}. Dictionnaire du commerce, au mot Vendu-meester.
4. Le marteau était déjà employé dans les ventes anglaises en 1755, à l'imitation de la baguette hollandaise. Livre-Journal de Lazare
Duvaux, par L. Courajod, I, p- CXLiv.
5. G. Brice, éd. 1698, II, 245-
6. Sauval, I, 66 5.
Tome XI. 17