L'ART DU BOIS. 287
tables, aulmaires, » ctc; d'employer du bois « où il ait aubel (aubier), ne qui soit vert moulu »,
sous peine d'amende et de saisie par les gardes du métier; en outre, la pièce devait être « depeciée
devant l'huys d'icelluy qui ladite œuvre aura faite '. » Le bois choisi minutieusement,
« couppé et débité quatre et cinq ans ou plus devant que de le mettre en œuvre » 2, conservé
dans des lieux humides, quelquefois même exposé à l'action de la fumée ;i, arrivait donc entre
les mains de l'ouvrier avec un premier ton qu'il devait à sa qualité, à son âge et aux procédés
employés pour sa conservation. Une fois mis en œuvre, il était soumis à de nouvelles prépara-
tions destinées à le revêtir d'une nuance artificielle, chaude et transparente. Ces belles patines,
sombres ou claires, fauves ou blondes, qui font les délices de nos raffinés, sont dues tout d'abord
aux huiles et aux vernis primitifs, le temps a fait le reste4. Chaque maître avait son secret
pour la préparation des teintes et des vernis, « les menuisiers les tiennent entre eux de telle excel-
lence, que l'un frère ne le veut point dire à l'autre 0 ». L'huile de lin jouait aussi un grand rôle
dans la coloration du bois : « Le meuble de bois que vous avez frotté de lie d'huyle et que vous
aurez poly, aura une merveilleusement belle et gentille couleur, » dit Mizault"; « quand les
tables ont bu l'huile de lin, la splendeur et la couleur est adjoustée, non caduque, mais durable
à jamais 7 ». Bien mieux, le brou de noix lui-même, cette panacée chère aux modernes pour
vieillir le bois, le faire passer pour ancien et le vendre plus cher, le brou de noix était connu de
nos pères : « Si vous faites bouillir dans un chauderon, dit Charles Estienne les escorces du
noyer, lorsqu'elles sont cheutes de l'arbre pour être escloses d'elles-mêmes, et de cette eau frottez
quelque bois que ce soit ; il deviendra de couleur de noyer, mesme en deviendra plus beau. »
IV
Le Recueil de M. Giraud est fait avec soin, les matériaux triés sur le volet, les planches excel-
lentes ; elles sortent des mains de M. Dujardin, c'est tout dire. Nous venons de feuilleter les
principales, celles qui représentent des meubles; il faudrait encore regarder les bronzes, les anti-
ques, l'orfèvrerie, les marbres, la statuette en ivoire de M. Chalandon, une des perles de ce
précieux cabinet, une armure de cheval, travail italien d'une qualité exceptionnelle, et un beau
bassin de Jehan Limosin. Soit dit en passant, l'armure et l'émail figuraient au xvm" siècle dans
le cabinet du président de Migieux; vendus aux plus mauvais jours de la Révolution, acquis par
un brocanteur, revendus au prix de la ferraille à M. Comarmont, ils appartiennent au musée de
Lyon. Voici des faïences italiennes et persanes, les objets de serrurerie de M. Chabrières, le
délicat par excellence qui recherche le beau sous toutes les formes, les velours de MM. Tassinari
et Chatel, le magnifique devant d'autel espagnol de la collection Aynard, etc. Toutes ces planches
sont bien prises, bien venues, faciles à lire, d'une fidélité irréprochable ; la dimension du format,
le fini des héliogravures, permettent d'étudier chaque objet dans ses moindres détails. N'oublions
pas l'élégant cartouche dessiné en tète du volume par M. Bardey, de l'École des beaux-arts de
Lyon ; dès l'abord on reconnaît un compatriote de Sébastien Gryphc et de Macé Bonhomme. Car
tout est lyonnais dans ce beau livre, l'auteur, l'éditeur, la matière, les caractères, les vignettes
et les clichés. L'effort fait honneur à la province et Paris n'eût pas mieux réussi; c'est de la
bonne décentralisation, — qu'on nous pardonne ce gros mot, nous n'en avons pas l'habitude.
Le Recueil de l'Exposition lyonnaise a sa place marquée dans ces Bibliothèques des Beaux-
Arts proposées naguère par M. Henry Havard et que chaque département devrait organiser au
plus vite. Il fait suite aux Collections célèbres de M. Lièvre, au Catalogue de MM. Basilewski
et Darcel, au grand travail de M. Dupont-Auberville sur YOrnement des tissus, aux belles
1. Statuts des Huchiers de Rouen, 1416.
2. Phil. de l'Orme, Art de bâtir à petit; frais.
j. Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, art. Menuiserie.
4. On retrouve encore les traces des vernis d'origine qui ont résisté aux lavages et aux grattages des ménagères.
j. Les seerets du seigneur Alexis Piémontois, p. 255.
<>. Les seerets de J. J. Wccker.
7. Cardan, 220, A.
8. Maison Rustique, 1189 ; voir aussi Savary des Brûlons, Dictionnaire du commerce, au mot Noix. Aujourd'hui le brou de noix se fabrique
avec de la potasse, de la terre d'ombre et du bistre ou autres substances analogues.
tables, aulmaires, » ctc; d'employer du bois « où il ait aubel (aubier), ne qui soit vert moulu »,
sous peine d'amende et de saisie par les gardes du métier; en outre, la pièce devait être « depeciée
devant l'huys d'icelluy qui ladite œuvre aura faite '. » Le bois choisi minutieusement,
« couppé et débité quatre et cinq ans ou plus devant que de le mettre en œuvre » 2, conservé
dans des lieux humides, quelquefois même exposé à l'action de la fumée ;i, arrivait donc entre
les mains de l'ouvrier avec un premier ton qu'il devait à sa qualité, à son âge et aux procédés
employés pour sa conservation. Une fois mis en œuvre, il était soumis à de nouvelles prépara-
tions destinées à le revêtir d'une nuance artificielle, chaude et transparente. Ces belles patines,
sombres ou claires, fauves ou blondes, qui font les délices de nos raffinés, sont dues tout d'abord
aux huiles et aux vernis primitifs, le temps a fait le reste4. Chaque maître avait son secret
pour la préparation des teintes et des vernis, « les menuisiers les tiennent entre eux de telle excel-
lence, que l'un frère ne le veut point dire à l'autre 0 ». L'huile de lin jouait aussi un grand rôle
dans la coloration du bois : « Le meuble de bois que vous avez frotté de lie d'huyle et que vous
aurez poly, aura une merveilleusement belle et gentille couleur, » dit Mizault"; « quand les
tables ont bu l'huile de lin, la splendeur et la couleur est adjoustée, non caduque, mais durable
à jamais 7 ». Bien mieux, le brou de noix lui-même, cette panacée chère aux modernes pour
vieillir le bois, le faire passer pour ancien et le vendre plus cher, le brou de noix était connu de
nos pères : « Si vous faites bouillir dans un chauderon, dit Charles Estienne les escorces du
noyer, lorsqu'elles sont cheutes de l'arbre pour être escloses d'elles-mêmes, et de cette eau frottez
quelque bois que ce soit ; il deviendra de couleur de noyer, mesme en deviendra plus beau. »
IV
Le Recueil de M. Giraud est fait avec soin, les matériaux triés sur le volet, les planches excel-
lentes ; elles sortent des mains de M. Dujardin, c'est tout dire. Nous venons de feuilleter les
principales, celles qui représentent des meubles; il faudrait encore regarder les bronzes, les anti-
ques, l'orfèvrerie, les marbres, la statuette en ivoire de M. Chalandon, une des perles de ce
précieux cabinet, une armure de cheval, travail italien d'une qualité exceptionnelle, et un beau
bassin de Jehan Limosin. Soit dit en passant, l'armure et l'émail figuraient au xvm" siècle dans
le cabinet du président de Migieux; vendus aux plus mauvais jours de la Révolution, acquis par
un brocanteur, revendus au prix de la ferraille à M. Comarmont, ils appartiennent au musée de
Lyon. Voici des faïences italiennes et persanes, les objets de serrurerie de M. Chabrières, le
délicat par excellence qui recherche le beau sous toutes les formes, les velours de MM. Tassinari
et Chatel, le magnifique devant d'autel espagnol de la collection Aynard, etc. Toutes ces planches
sont bien prises, bien venues, faciles à lire, d'une fidélité irréprochable ; la dimension du format,
le fini des héliogravures, permettent d'étudier chaque objet dans ses moindres détails. N'oublions
pas l'élégant cartouche dessiné en tète du volume par M. Bardey, de l'École des beaux-arts de
Lyon ; dès l'abord on reconnaît un compatriote de Sébastien Gryphc et de Macé Bonhomme. Car
tout est lyonnais dans ce beau livre, l'auteur, l'éditeur, la matière, les caractères, les vignettes
et les clichés. L'effort fait honneur à la province et Paris n'eût pas mieux réussi; c'est de la
bonne décentralisation, — qu'on nous pardonne ce gros mot, nous n'en avons pas l'habitude.
Le Recueil de l'Exposition lyonnaise a sa place marquée dans ces Bibliothèques des Beaux-
Arts proposées naguère par M. Henry Havard et que chaque département devrait organiser au
plus vite. Il fait suite aux Collections célèbres de M. Lièvre, au Catalogue de MM. Basilewski
et Darcel, au grand travail de M. Dupont-Auberville sur YOrnement des tissus, aux belles
1. Statuts des Huchiers de Rouen, 1416.
2. Phil. de l'Orme, Art de bâtir à petit; frais.
j. Viollet-le-Duc, Dictionnaire d'architecture, art. Menuiserie.
4. On retrouve encore les traces des vernis d'origine qui ont résisté aux lavages et aux grattages des ménagères.
j. Les seerets du seigneur Alexis Piémontois, p. 255.
<>. Les seerets de J. J. Wccker.
7. Cardan, 220, A.
8. Maison Rustique, 1189 ; voir aussi Savary des Brûlons, Dictionnaire du commerce, au mot Noix. Aujourd'hui le brou de noix se fabrique
avec de la potasse, de la terre d'ombre et du bistre ou autres substances analogues.