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La chronique des arts et de la curiosité — 1868

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Nr. 7 (16 Février)
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https://doi.org/10.11588/diglit.26660#0035
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\ 868.

N° 7.

BUREAUX: 55, RUE YIVIENNE.

IG FEVRIER.

DE LA CURIOSITÉ

PARAISSANT LE DIMANCHE MATIN.

ARTS


Comptes rendus et Annonces des Ventes publiques
de Tableaux, Dessins, Estampes, Bronzes, Ivoires, Médailles,
Livres rares, Autographes, Émaux, Porcelaines, Armes
et autres objets de curiosité.

ABONNEMENTS :

PARIS ET D É P A KT E ME X T S

Six mois, 8 fr. — Un an, 15 fr.
Étranger, le port en sus.

Correspondances étrangères. — Nouvelles des Galeries
publiques, des Ateliers. — Bibliographie des Livres, Articles
de Revues et Estampes, publiés en France et à l’Étranger.
Revue, des Arts industriels.


1

LE BUSTE DU BENIVIENI.

Nombre d’amateurs et d’artistes des mieux
informés se refusent à croire le buste du Beni-
vieni une œuvre moderne. Les signatures placées
au bas des certificats paraissent les avoir peu
touchés, les Italiens ayant si souvent abusé de
ce genre de preuves. Parmi les écrits en faveur
de l’ancienneté du buste, on a remarqué l’ar-
ticle publié dernièrement dans la Pairie, par
M. Lequesne, artiste distingué. A des preuves
morales il joint des preuves matérielles qui
donnent à son travail un intérêt assez grand
pour que nous croyions devoir le reproduire :

Plusieurs journaux ont publié une correspondance
italienne dans laquelle on attaque l’authenticité d'un
buste en terre cuite, acheté par la direction des
musées impériaux à la vente de M. de Nolivos,
et aujourd’hui exposé dans une des salles de la Renais-
sance, au Louvre.

D’après cette correspondance, le buste ne serait pas
du xvic siècle, mais bien l’ouvrage d’un artiste
encore vivant. Il aurait été commandé, il y a quelques
années, par un M. Freppa, de Florence, marchand de
fausses antiquités, à un M. Bastianini, et ce dernier
aurait tout uniment modelé et reproduit les traits d’un
ouvrier de la manufacture des. tabacs, qu’il aurait
affublé d’un costume ancien; les ouvriers l’attestent,
et M. Freppa le jure.

Tous ces faits sont controuvés, et, au nom de l’art
dont je m’honore d’ètre un des adeptes, je viens vous
prier de donner place dans votre journal aux réflexions
que ces faits m’ont suggérées et à l'exposé des preuves
de leur fausseté.

D’abord, peut-on ajouter foi a l’affirmation de
M. Freppa ?

Quant aux ouvriers de la manufacture, il eût été
de bon goût de ne pas les mêler dans une question
d’art. Ils peuvent bien affirmer que M. Bastianini a
modelé le buste de l’un d’entre eux, rien de mieux;
mais qu’ils attestent que c’est celui qui est actuelle-
ment au Louvre, cela passe la permission. Et quand,
par impossible, un des ouvriers ressemblerait au
buste, qu est-ce que cela prouverait? Est-ce que les
florentins dà présent ne sont pas les fds de ceux
d autrefois ? Est-ce que l’on ne rencontre pas tous les
jouis dans les lues de la Rome moderne les portraits
vivants de Lucius Verus, de Trajan et d’autres per-
sonnages de la Rome antique? Et à propos de cette
prétendue ressemblance, il s’est passé un fait qui, à lui
seul, caractérise toute l’affaire : l’administration, qui
aime les positions nettes, a demandé une photographie

de l’ouvrier, et il s’est trouvé que ce malheureux,
qui, au dire des journaux, se promenait tous les jours
au soleil de Longarno, était mort depuis deux ans.
A-t-il jamais vécu? Mais laissons cela, et arrivons au
côté sérieux de la question.

Pour exécuter un buste en terre cuite, il y a deux
procédés. Le premier consiste à monter la terre avec
le plus de vide possible à l’intérieur, à la travailler à
la main et à l’ébauchoir : cela s’appelle modeler. Le
second procédé, le plus usité, le plus rationnel, et
celui dont se servaient les anciens, consiste à faire un
premier modèle en plâtre, sur lequel on fait un moule
à bon creux (autrement dit à pièces mobiles) dans
lequel on pousse une terre que l’on retouche après
coup. Cela s’appelle estamper.

Si la terre glaise esf de toutes matières celle qui se
prête le mieux aux manœuvres des faussaires, c’est
aussi celle qui reflète le mieux le secret de la fabrica-
tion. En examinant avec attention le buste du Louvre,
on reconnaît, sans en pouvoir douter, qu’il a été estam-
pé. Toute personne peut s’en convaincre par soi-
même, et voir au Louvre les nombreuses indications
-qui l’attestent. On aperçoit sur les deux épaules, et
aboutissant derrière le cou, la raie formée par les
pièces du moule; dans les cheveux, on reconnaît les
parties graissées pour donner de la dépouille. Dans
une mèche placée au côté gauche, la terre a été mal
liée, un petit morceau est tombé, et sur la partie qui
reste on voit encore imprimées les raies de la peau
du doigt qui a poussé la terre ; enfin, dans l’intérieur,
il suffit d’un coup d’œil pour reconnaître le procédé
de l’estampage.

Si ce buste a été estampé, M. Bastianini ne l’a pas
modelé; et qu’on ne vienne pas dire que je joue sur
les mots. Si M. Bastianini l’avait estampé, il aurait le
modèle et le moule, et il aurait bien soin de le procla-
mer à haute voix. A cette preuve sans réplique vien-
nent se joindre des considérations d’une appréciation
plus délicate : d’abord la qualité de la terre, différente
de celle que l’on emploie actuellement en Italie, en-
suite son état poreux; en vieillissant, la constitution
de la terre se modifie, elle perd sa partie grasse et
devient poreuse; enfin la patine, qui n’a pas été faite
à la fumée de tabac, mais qui est incontestablement
l’œuvre du temps, et d’autres.

On peut donc affirmer, sans démenti possible, que
M. Bastianini n’est pas l’auteur du buste du Louvre.

A défaut de ces preuves, que j’appellerai brutales
et matérielles, il y en aurait d’autres d’un ordre plus
élevé. Par un enchaînement qu’on ne saurait nier,
tous les artistes d’une même époque, bien que maî-
tres de leur liberté individuelle, gravitent malgré eux
dans une même sphère d’attraction; toutes leurs œu-

vres sont sœurs et empreintes d’un cachet tellemen
frappant,que les antiquaires les classent sans se trom-
per.

Les artistes peuvent si peu se soustraire à cet en-
traînement, que depuis des siècles on étudie et on
cherche à imiter l’antique; cela a produit Michel-
Ange, JeanGoujon, Puget, etc., les plus grandes et les
plus hautes personnifications de l’art de la statuaire
en leur temps; mais l’on ne saurait voir en eux des
continuations de Phidias, ce cachet artistique suit les
temps et change comme eux. Ainsi ce que l’on a fait
ne se refait plus.

Le buste du Louvre est un des spécimens les plus
caractérisés de l’art du xvic siècle; nul ne pourrait le
faire aujourd’hui, pas plus M. Bastianini qu’un autre,
et l’administration l’a si bien compris, qu’elle a mis
tout de suite AI. Bastianini au pied du mur : « Si vous
avez fait ce buste, lui a-t-on dit, faites-nous-en un
pareil, nous vous le payerons au poids de l’or.» Pour
répondre à ce défi, qu’a-t-on objecté? AI. Freppa a
répondu : « AI. Bastianini n’est pas un artiste propre-
ment dit, c’est un habile pasticheur qui, par hasard,
a fait un chef-d'œuvre. »

Ce sont là de grands mots dont la plus simple ré-
flexion fait justice. Quand un artiste exéculeun tableau,
une statue où l’idée et l’arrangement l’emportent sur
la forme, il se peut que l’inspiration ne vienne pas tou-
jours avec le même bonheur; mais dans un buste réa-
liste, où la représentation fidèle et servile de la nature
domine tout, l’exécution l’emporte.

Ce que votre main a fait hier, elle le fera demain.
Que AI. Bastianini fasse donc un second chef-d’œuvre,
la chose en vaut certes la peine; douze mille francs un
buste; n’est-ce pas là un beau denier?

Alalheureusement le buste du Louvre n’aura pas de
frère; il porte en lui-même un caractère de sponta-
néité et de liberté qui ne saurait être imité par un co-
piste de nos jours, et il fait et fera toujours l’honneur
de notre galerie nationale.

Reste une dernière question. Quel est l’auteur de ce
chef-d’œuvre? Je laisse à de plus doctes le soin d’élu-
cider ce problème.

En fin de compte, quel a été le but des journalistes
de Florence en imaginant une pareille comédie? ou
plutôt, pour emprunter un mot à l’une des nôtres, qui
trompe-t-on ici ? J’avoue que je ne sais que penser.

Est-ce une réclame pour AL Bastianini? à quoi
peut-elle lui servir? Est-ce une mystification? qui
donc espère-t-on abuser? Est-ce une mauvaise pensée?
A qui donc veut-on nuire? et ne sait-on pas que le
serpent use ses dents sur la lime?

E. Lequesne, statuaire.
 
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