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La chronique des arts et de la curiosité — 1868

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Nr. 32 (9 Août)
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https://doi.org/10.11588/diglit.26660#0163
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1868.

Ne 32.

BUREAUX: 55, RUE VIVIENNE.

9 AOUT.

L A

CHRONIQUE DES

ET

DE LA CURIOSITÉ

PARAISSANT LE DIMANCHE MATIN.

ARTS

Comptes rendus et Annonces des Ventes publiques

ABONNEMENTS :

Correspondances étrangères. — Nouvelles des Galeries

de Tableaux, Dessins, Estampes, Bronzes, Ivoires, Médailles,

PARIS ET DÉPARTEMENTS

publiques, des Ateliers. — Bibliographie des Livres, Articles

Livres rares, Autographes, Émaux, Porcelaines, Armes

Six mois, 8 fr. — Un an, 15 fr.

de Revues et Estampes, publiés en France et à l’Étranger.

et autres objets de curiosité.

Étranger, le port en sus.

Revue des Arts industriels.

NOUVEAUX LUNDIS

PAR M. SAINTE-BEUVE, I)E L’ACADÉMIE FRANÇAISE 1.

Dans cette nouvelle série, publiée préalable-
ment en feuilletons dans le Constitutionel, de
1861 à 1867, mais revue, complétée par des
notes explicatives et justificatives, il n’y a point
d’étude qui soit consacrée spécialement à un ar-
tiste. La Chronique semble donc perdre ses droits
sur ce volume. Mais le lecteur attentif s’aper-
çoit vite que M. Sainte-Beuve, pendant ces an-
nées, a accordé dans ses propres études à la cri-
tique d’art une part plus large que par le passé.
Au moins paraît-il s’être préoccupé plus vive-
ment du rôle que joue l’Art dans l’histoire de
l’esprit humain.

A ce contact, son érudition si variée et son sens
critique si perçant se sont parés d’un attrait
nouveau. Les rapports qui unissent la poésie et
la peinture, par exemple, deviennent plus frap-
pants depuis qu’il les formule en de judicieuses
comparaisons d’œuvres et de noms. A propos
d’une magnifique pièce de vers de M. Su!W
Prudhomme, il dit : « Chenavard ou Puvis de
Chavannes n’ont pas de crayons plus nobles dans
la série de leurs graves esquisses. » A propos de
Saint-Simon, dont les hautaines et superlatives
médisances ont été trop légèrement qualifiées de
commérages, il s écriera : « Oui, les commérages
de Saint-Simon, mais comme qui dirait les bar-
bouillages de Rembrandt ou de Rubens! » Cela
est absolument juste, éloquent même, comme
le cri de quelqu’un qui prend parti dans la ques-
tion, qui a souffert lorsque l’on revenait avec
insistance devant lui sur « l’inachevé » des ta-
bleaux de Corot ou sur la « grossièreté » des
types de J.-F. Millet.

Ce ne sont là que des traits. Mais ils laissent
pressentir des préoccupations nouvelles à la vue
d’horizons nouveaux. J’aurais pu en détacher
bien d autres, tel celui où, après avoir cité, dans
un livre de M. de locqueville, une description
très-émouvante mais d’un ton un peu pâle,
M. Sainte-Beuve ajoute: « L'artiste, après avoir
lu, désire quelque chose : l’homme est satisfait. »

1. Michel Lévy frères, éditeurs. T. X de la 2e série.

Mais il ne faut pas tomber dans le subtil, et il
est bon de réserver des surprises au lecteur qui,
comme je l’ai fait, lira ce nouveau volume à tête
reposée.

L’étude la plus caractéristique, au point de vue
que nous avons signalé, est celle que M. Sainte-
Beuve a consacrée au livre de nos amis, MM. de
Goncourt, Idées et sensations 1. M. Sainte-Beuve,
qui les aime personnellement beaucoup et qui
estime leur talent, a fait, avec une indépendance
parfaite, la part de leur tempérament et de leur
éducation. Il les blâme, sur un ton tout à fait pa-
ternel, de leur mépris cavalier pour l’Antiquité;
il leur apprend qu’en se cantonnant tout d’abord
dans le xviii® siècle, « ils ont commencé le dîner
par le dessert » ; il leur montre dans leur propre
œuvre les points où l’abus du tbn et de la touche
peut tromper sur la qualité du dessin.

Ces pages sont empreintes d’une sympathie
marquée et d’une curiosité tout à fait digne d’un
critique aussi impartial, pour la tentative jeune
et passionnée de MM. de Goncourt, en tant que
dramaturges et romanciers. Qui de nous ne pres-
sent un nouveau monde? Comment ne pas s’in-
téresser aux efforts essayés pour nous en ouvrir la
route? Tendons la main aux braves et bardis
pionniers. Il n’y a pas que l’intérieur de l’Afri-
que qui ait ses fleuves, ses lacs et ses oasis in-
connus !

Mais où je me sépare de M. Sainte-Beuve, c’est
lorsqu’il reproche à MM. de Goncourt de s’être
insurgés contre une phrase vraiment malencon-
treuse de d’Alembert : <c Malheur aux produc-
tions de l’art dont toute la beauté n’est que pour
les artistes. » Oui, c’est là moins un paradoxe de
géomètre que la pensée d’un encyclopédiste ver-
tueux qui aurait voulu tout accorder, pour le
plus grand bonheur de la société française. L’Art
est absolument indépendant, dans son essence,
de toutes les considérations de jugement social.
Il l’est au même titre que la Science, ce que
M. Sainte-Beuve ne me refusera certainement
pas. Ce qui est bien est bien en soi, en dehors de
toute concession. Il n’est point « nécessaire
qu’une production d’art déplaise de parti pris
aux bourgeois, » mais il n’y a aucune nécessité,
et il y a d’énormes dangers à ce qu’elle aille à

1. Paris. Librairie internationale. 186G. 1 vol. in-8°.

mi-chemin de leur satisfaction. Ce qui est beau
est beau, et même est infiniment plus absolu
que la Science qui ne marche que dans le rela-
tif de certaines lois générales d’une insondable
obscurité. Rien n’a pu ébranler de leur piédes-
tal les chefs-d’œuvre des grands moments de
l’art assyrien, de l’art égyptien, de l’art grec, de
l’art gothique français. Ces chefs-d’œuvre ne sont
que l’expression matérialisée des idées, des sen-
sations, des jugements, des passions de ces
temps; c’est, si l’on veut, l’essence subtile des
plus hautes personnalités d’alors, mais ce n’était
certainement point la moyenne des jugements
des « bourgeois » . Qu’est devenue la haute
science de ces mêmes époques?

Je suis bien hostile aux privilèges des aristocra-
ties, mais les élites ont toute ma sympathie parce
que, ne se séparant point du peuple, elles ne'
font que marcher en avant comme les éclai-
reurs en tête d’une armée. Les « connaisseurs »,
ainsi que dit M. Sainte-Beuve, tâtent le terrain à
leurs risques et périls, et, dans l’espèce, c’est eux
qui, en butte aux brutalités, aux ironies des
bourgeois, se sont groupés autour du drapeau
du romantisme et ont singulièrement confirmé
la stratégie des généraux et les charges à fond
des combattants.

L’incident est vidé. M. Sainte-Beuve est un
« connaisseur » et des plus délicats. Quoiqu’il
avoue, comme un grand faible, « qu’il aime ce
qui lui est agréable, ».il a été boire à des sources
dont les approches sont moins faciles qu’il ne
le laisserait supposer. 11 a son opinion faite sur
Léonard de Vinci et sur Raphaël. Encore un pas
il sentira que le siècle de Léon X n’a pas tout
dit; qu’auparavant les écoles du nord de l’Italie
avaient donné des fleurs aux tons plus vibrants,
des fruits à la saveur plus raffinée. Un pas en-
core, il saura, lui qui a tant lu, tant comparé,
tant médité, que les arts de l’Occident peuvent,
comme sa littérature, amener une certaine sa-
tiété sans que l’on se déclare pour cela un ico-
noclaste. De même que l’Inde nous a révélé des
drames sacrés sans rivaux, les peuples de l’ex-
trême Orient, du Japon, par exemple, devront
un jour nous apporter les surprises d’une es-
thétique toute particulière, et il est déjà bien
amusant de voyager et de s’attarder parmi les
arts décoratifs de ces « Barbares ».
 
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