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La chronique des arts et de la curiosité — 1868

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Nr. 37 (13 Septembre)
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1868. — N9 37.

BUREAUX: 55, RUE YIVIENNE.

13 SEPTEMBRE.

LA

DES ARTS

DE LA CURIOSITE

PARAISSANT LE DIMANCHE MATIN.


Comptes rendus et Annonces des Ventes publiques
de Tableaux, Dessins, Estampes, Bronzes, Ivoires, Médailles,
Livres rares, Autographes, Emaux, Porcelaines, Armes
et autres objets de curiosité.

ABONNEMENTS :

PARIS ET DÉPARTEMENTS

Six mois, 8 fr. — Un an, 15 fr.
Étranger, le port en sus.

Correspondances étrangères. — Nouvelles des Galeries
publiques, des Ateliers. — Bibliographie des Livres, Articles
de Revues et Estampes, publiés en France et à l’Étranger.
Revue des Arts industriels.





LES PORTRAITS DE CHARLES MÉRYON.

En 1 850, au sortir de chez le graveur Blérv,
Charles Méryon occupait, rue Saint-Étienne-du-
Mont, un appariement dont les pièces basses et
en enfilade rappelaient la disposition des cabines
dans un vaisseau. Il travaillait alors à cette série
d’eaux-fortes dont l’ensemble a pour titre «Paris»1
et qui forme le recueil poétique, mystérieux et
profondément vrai des portraits des rues et des
monuments de cette grande ville que nous avons
vue changer de vêtement, mais non pas d’âme. Il
avait obtenu à grand’peine du ministère de l’inté-
rieur l’autorisation d’avoir chez lui une presse. A
mesure qu’un cuivre était dessiné et mordu, lui
ou son ami Auguste Delâtre tirait, sur un papier
vergé d’un ton verdâtre, ces vigoureuses épreuves
d’essai que les amateurs poursuivent aujourd’hui
si ardemment. Aux livraisons du Paris qu’il of-
frait à ses amis, il joignait de petites pièces de
vers, gravées aussi par lui sur cuivre, et qui
commentaient le sens caché qu’il avait prétendu
donner à certaines de ses œuvres, la Morgue, le
Pont-au-Change, la Grosse Tour du palais de
justice, etc.

Méryon n’était point précisément tranquille
d’esprit. C’était tout au moins pour ceux qui le
fréquentaient « un original ». Ses camarades de
bord, pendant qu’il était dans la marine, avaient
été témoins de bien des faits trahissant une sen-
sibilité maladive ou une volonté singulièrement
tenace. L’un d’eux m’a raconté cet épisode, qui
tient du Robinson et le dépasse, puisque ici le sa-
lut de la vie n’était point en jeu.

C’était pendant le voyage de circumnaviga-
tion que fit Méryon sur la corvette le Rhin. Le
navire était en station dans la baie d’Akaroa,
presqu’île de Banks, Nouvelle-Zélande. Le capi-
taine de vaisseau A. Bérard (mort contre-amiral
en â 852) empêchait, par excès de rigueur disci-
plinaire, les aspirants de descendre à terre dans
le canot du commandant. Ceux-ci étaient vexés
d être forcés de se servir du canot de l’équipage.
Méryon annonça qu il construirait lui-même un
canot. II obtint la permission d’être déposé à
terre pour un temps. Il choisit dans la forêt, à

1 • Nous avons donné un catalogue de ce qui existait alors
de 1 œuvre de. Charles Méryon dans les numéros de la
Gazette des lor et 15 juin 1863.

peu de distance de la mer, un if de plus de quatre
mètres de tour. Il demanda seulement au com-
mandant que cet arbre énorme et dur fût abattu
par les charpentiers du bord. Puis, lorsque l’arbre
fut coupé, le compas et le crayon à la main,
ensuite maniant la scie et la hache, Méryon, frêle
et chétif, s’acharna à dessiner, à dégrossir, à
évider, à raboter, à parer, à gréer une pirogue
de cinq mètres de longueur! Il couchait sous une
petite tente, à peine défendu contre les attaques
des bêtes féroces. 11 vivait des provisions que ses
camarades, frappés d’admiration pour cette force
surhumaine,lui apportaient du navire. Ses mains,
incapables de manier longtemps de lourds ins-
truments, s’étaient dénudées jusqu’à l’os : il les
enduisait de chandelle, les entortillait de « dra-
peaux », exactement comme Bernard Palissy,
cet autre entêté de génie, et il travaillait sans
relâche. Cela dura trois mois. Lorsque l’embar-
cation fut lancée, elle était si fine et si navigante,
que le commandant Bérard se sentit touché jus-
qu’aux larmes, et il ordonna que lorsqu’on re-
viendrait en France, elle serait déposée dans un
arsenal.

C’est à ce prix que les aspirants de la corvette
le Rhin eurent leur pirogue à eux.

Plus tard des actes d’une autre nature, des
épanchements amers, inquiétèrent ses amis et leur
firent prévoir qu’il quitterait quelque jour la ma-
rine.

Lorsque Méryon fut rentré dans la vie civile,
il eut quelques années de tranquillité relative.
C’est dans ces années-là que Bracquemond grava
d’après lui le portrait où Méryon, en redingote
boutonnée, est assis sur une chaise, un bras ap-
puyé au dossier; la physionomie est sérieuse;
les yeux ont un regard perçant, inquiet comme
celui d’un fauve qui s’aperçoit qu’on l’observe.
Le cuivre de cette eau-forte, tirée à quelques
rares épreuves d’essai, a été détruit par Méryon
lui-même. — L’autre portrait de profil, simulant
un médaillon sculpté dans la pierre, est joint à
quelques livraisons du Paris. II est moins res-
semblant. On lit ces quatre vers, qui sont, je
crois, de Méryon lui-même, dans la marge infé-
rieure des épreuves ;

Messire Bracquemond

A peint en cette image

Le sombre Méryon

Au grotesque Visage.

Un jour Bracquemond se rendit chez lui pen-
dant qu’il était absent. Pour se distraire, il des-
sina sur le mur un moineau s’élançant sur une
mouche. Puis il partit.

Quelques jours après, Delâtre, voyant Méryon
absolument sombre, lui demanda s’il avait à se
plaindre de quelqu’un. « Que me demandez-
vous là? lui répondit-il brusquement. Si cela
vous intéresse, lisez sur ce mur l’image de ma
destinée. Je ne puis pas plus éviter les malheurs
qui vont fondre sur moi que cette mouche n’évi-
tera le bec de ce pierrot ! »

Depuis ce jour, ses plaintes contre le sort,
contre les hommes, contre sa famille, prirent un
caractère de violence inapaisable. Les divaga-
tions s’en mêlèrent. Phénomène singulier! la
volonté de l’artiste resta inattaquée alors que
celle de l’individu Bottait farouche ou puérile.

Pendant ces années douloureuses, Méryon exé-
cuta ses chefs-d’œuvre, Y Abside de Notre-Dame, la
Morgue, la Rue des Mauvais-Garçons, la Pompe
Notre-Dame, Y Adresse de Rochoux, etc.

Plus tard Méryon habita, en haut du faubourg-
Saint-Jacques, un petit pavillon qui appartenait à
la mère du graveur L. Gaucherel. Le jour il la-
bourait dans tous les sens son petit jardin, non
pour le planter ou le semer, mais poury découvrir
des cadavres mystérieusement enterrés. Ses nuits
étaient terribles. Cet homme si doux, si inoffen-
sif, voyait son lit se transformer en une embar-
cation luttant contre la tempête sur un océan
dont les vagues étaient du sang! Là encore ce-
pendant il travaillait, et, quoiqu’il fût affecté, —
il le savait ou au moins le soupçonnait,' ainsi
que j’ai pu m’en convaincre, — d’une maladie
de la vue qui fait prendre, par exemple, le rouge
pour le vert ; il y a peint un pastel d’un effet
surprenant ; c’est un navire qui s’avance, toutes
voiles dehors, fendant la cime moutonnante des
vagues, chassant, oiseau rapide et colossal, les
goélands aux ailes en faucille. Le bleu de l’Océan
est extraordinaire. C’est à la fois fantastique et
minutieusement réel. C’est la Corvette-fantôme!

Après ce séjour, qui lui procura à la fin un
peu de repos, Méryon obtint, par l’entremise de
M. Niel, bibliothécaire du ministère de l’inté-
rieur, une commande du duc d’Aremberg. Il
alla s’installer tout près de Bruxelles, dans un
château où il jouissait d’une liberté parfaite. 11 y
 
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