BENVENUTO CELLINI. ioj
travail, fit entrer le jeune artiste dans sa boutique et lui donna de l'occupation. Il le chargea
d'exécuter un magnifique coffret destiné à un cardinal. « Je l'enrichis de si beaux petits masques
de mon invention, dit-il, que mon maître allait le montrer à tous ses confrères, en se vantant
de ce qu'un si admirable morceau était sorti de sa boutique. » Ce coffret pouvait en même
temps servir de salière.
Ce fut le premier argent que Cellini gagna à Rome : il en envoya, dit-il, une partie à son
père et garda l'autre pour subvenir à ses besoins. Il fit encore différents bijoux, puis, éprouvant
le besoin de revoir son pays et sa famille, il retourna à Florence ; mais il n'y fit pas un long
séjour, car, à la suite d'une querelle dans laquelle il avait joué du couteau, il se vit attaqué
devant les tribunaux, et menacé d'une condamnation très-grave. Il parvint encore à s'enfuir de
Florence, déguisé en moine, et revint à Rome au moment où Clément VII venait de monter sur
le trône pontifical. Il reprit aussitôt le cours de son travail et se livra à ses études habituelles.
Il allait souvent dessiner, soit à la chapelle de Michel-Ange, soit au palais d'Agostino Chigi,
d'après les peintures de Raphaël. Un jour qu'il était dans ce palais, la belle-sœur de Chigi, le
voyant ainsi dessiner, lui demanda s'il était peintre ou
sculpteur. Sur sa réponse qu'il était orfèvre, elle lui
demanda une monture pour ses diamants.
Charmé d'avoir cette commande, Cellini retourna à la
boutique et raconta à son patron ce qui s'était passé.
Celui-ci, au lieu de l'encourager, lui dit qu'il n'y avait
aucun profit à faire ces petits bijoux, et que, quand on
le pouvait, il valait beaucoup mieux faire de grands vases
d'argent, comme lui-même en faisait un en ce moment.
Cependant, quand arriva l'heure du payement, il se trouva
que Cellini reçut pour son petit bijou le double de ce Camee antique rèparé par Bftrruota Cell.ni
que son maître avait reçu pour son grand vase. Le patron, (Galerie des offices à Florence.)
, w • t . Fac-similé d'un dessin de Niccola Sanesi.
voyant cela, s ecna avec indignation que, puisqu il en
était ainsi, il renonçait à faire désormais du grand art, et allait, lui aussi, se mettre à faire des
petits bijoux, d'autant que cela était, disait-il, beaucoup plus facile.
Cellini fut un peu piqué de cette manière de voir, qui semblait rabaisser son mérite; aussi
il accepta avec empressement l'offre qui lui fut faite d'exécuter une grande aiguière pour l'évêque
de Salamanque. Celui-ci fut ravi du travail de l'orfèvre; mais comme il n'avait pas été terminé
assez vite à son gré, il fit dire à Cellini qu'il lui ferait attendre le payement autant que lui-
même avait attendu son vase. Cellini, qui ne pouvait rien contre un évêque, fut obligé de dévorer
son dépit; mais un accident qui survint ne tarda pas à le remettre en possession du vase.
Ce vase, que l'évêque montrait à tout le monde, était pourvu d'une anse mobile, qui se brisa
sous la main d'un maladroit. On fit demander à l'orfèvre si ce malheur était réparable ; il répondit
aussitôt que rien n'était plus facile, et que ce serait l'affaire de quelques heures. Il le répara, en
effet, avec une grande célérité; mais quand l'évêque voulut faire reprendre son vase, Cellini
répondit qu'il ne le rendrait que quand il serait payé. Outré de cette impertinence, l'évêque, qui
attendait justement ce soir-là des gentilshommes auxquels il voulait montrer son vase, ordonna à
ses valets de se rendre en nombre chez Cellini, de reprendre le vase de force, et de bâtonner
l'orfévre si celui-ci faisait mine de s'y opposer. Cellini avait l'habitude, quand il travaillait, d'avoir
toujours une escopette à ses côtés. Quand il vit arriver toute cette bande, il se douta bien de
ce qui se tramait contre lui, et, s'avançant tout armé vers les valets de l'évêque, il leur déclara
que le premier qui mettrait le pied chez lui pouvait se considérer comme un homme mort, et
qu'il en serait ainsi des suivants s'ils avaient la fantaisie de vouloir le suivre. Voyant la troupe
un peu décontenancée par son attitude, il fit semblant à son tour de vouloir fondre sur ces gens,
qui prirent aussitôt la fuite.
Tout cela ne faisait pas l'affaire de l'évêque, qui voulait avoir son vase le jour même pour
le montrer à ses amis. Voyant que son procédé n'avait pas réussi, il envoya dire à Cellini que
travail, fit entrer le jeune artiste dans sa boutique et lui donna de l'occupation. Il le chargea
d'exécuter un magnifique coffret destiné à un cardinal. « Je l'enrichis de si beaux petits masques
de mon invention, dit-il, que mon maître allait le montrer à tous ses confrères, en se vantant
de ce qu'un si admirable morceau était sorti de sa boutique. » Ce coffret pouvait en même
temps servir de salière.
Ce fut le premier argent que Cellini gagna à Rome : il en envoya, dit-il, une partie à son
père et garda l'autre pour subvenir à ses besoins. Il fit encore différents bijoux, puis, éprouvant
le besoin de revoir son pays et sa famille, il retourna à Florence ; mais il n'y fit pas un long
séjour, car, à la suite d'une querelle dans laquelle il avait joué du couteau, il se vit attaqué
devant les tribunaux, et menacé d'une condamnation très-grave. Il parvint encore à s'enfuir de
Florence, déguisé en moine, et revint à Rome au moment où Clément VII venait de monter sur
le trône pontifical. Il reprit aussitôt le cours de son travail et se livra à ses études habituelles.
Il allait souvent dessiner, soit à la chapelle de Michel-Ange, soit au palais d'Agostino Chigi,
d'après les peintures de Raphaël. Un jour qu'il était dans ce palais, la belle-sœur de Chigi, le
voyant ainsi dessiner, lui demanda s'il était peintre ou
sculpteur. Sur sa réponse qu'il était orfèvre, elle lui
demanda une monture pour ses diamants.
Charmé d'avoir cette commande, Cellini retourna à la
boutique et raconta à son patron ce qui s'était passé.
Celui-ci, au lieu de l'encourager, lui dit qu'il n'y avait
aucun profit à faire ces petits bijoux, et que, quand on
le pouvait, il valait beaucoup mieux faire de grands vases
d'argent, comme lui-même en faisait un en ce moment.
Cependant, quand arriva l'heure du payement, il se trouva
que Cellini reçut pour son petit bijou le double de ce Camee antique rèparé par Bftrruota Cell.ni
que son maître avait reçu pour son grand vase. Le patron, (Galerie des offices à Florence.)
, w • t . Fac-similé d'un dessin de Niccola Sanesi.
voyant cela, s ecna avec indignation que, puisqu il en
était ainsi, il renonçait à faire désormais du grand art, et allait, lui aussi, se mettre à faire des
petits bijoux, d'autant que cela était, disait-il, beaucoup plus facile.
Cellini fut un peu piqué de cette manière de voir, qui semblait rabaisser son mérite; aussi
il accepta avec empressement l'offre qui lui fut faite d'exécuter une grande aiguière pour l'évêque
de Salamanque. Celui-ci fut ravi du travail de l'orfèvre; mais comme il n'avait pas été terminé
assez vite à son gré, il fit dire à Cellini qu'il lui ferait attendre le payement autant que lui-
même avait attendu son vase. Cellini, qui ne pouvait rien contre un évêque, fut obligé de dévorer
son dépit; mais un accident qui survint ne tarda pas à le remettre en possession du vase.
Ce vase, que l'évêque montrait à tout le monde, était pourvu d'une anse mobile, qui se brisa
sous la main d'un maladroit. On fit demander à l'orfèvre si ce malheur était réparable ; il répondit
aussitôt que rien n'était plus facile, et que ce serait l'affaire de quelques heures. Il le répara, en
effet, avec une grande célérité; mais quand l'évêque voulut faire reprendre son vase, Cellini
répondit qu'il ne le rendrait que quand il serait payé. Outré de cette impertinence, l'évêque, qui
attendait justement ce soir-là des gentilshommes auxquels il voulait montrer son vase, ordonna à
ses valets de se rendre en nombre chez Cellini, de reprendre le vase de force, et de bâtonner
l'orfévre si celui-ci faisait mine de s'y opposer. Cellini avait l'habitude, quand il travaillait, d'avoir
toujours une escopette à ses côtés. Quand il vit arriver toute cette bande, il se douta bien de
ce qui se tramait contre lui, et, s'avançant tout armé vers les valets de l'évêque, il leur déclara
que le premier qui mettrait le pied chez lui pouvait se considérer comme un homme mort, et
qu'il en serait ainsi des suivants s'ils avaient la fantaisie de vouloir le suivre. Voyant la troupe
un peu décontenancée par son attitude, il fit semblant à son tour de vouloir fondre sur ces gens,
qui prirent aussitôt la fuite.
Tout cela ne faisait pas l'affaire de l'évêque, qui voulait avoir son vase le jour même pour
le montrer à ses amis. Voyant que son procédé n'avait pas réussi, il envoya dire à Cellini que