30 L'ART.
rigueur administrative d'un caractère purement politique, il ne pouvait pourtant pas renoncer à
l'honneur de se présenter au grand concours ouvert cette année entre les artistes de toutes les
nations. La renommée qu'il s'est acquise lui interdisait une abstention qui eût passé pour une
abdication. Écarté des expositions officielles, il a eu recours à l'initiative privée. C'était son droit.
De là diverses expositions militaires, dont la plus importante est celle qui est ouverte rue Chaptal,
dans la galerie Goupil. Notre revue, à laquelle rien de ce qui est art n'est étranger, ne saurait
se désintéresser de ces expositions qui nous
fournissent l'occasion d'apprécier dans son
ensemble l'état actuel de la peinture militaire
française.
I.
La peinture militaire a été longtemps
une forme picturale de l'ode, consécration
officielle d'une grande personnalité, apothéose
d'un homme de guerre, puissant monarque
ou capitaine illustre, quelquefois l'un et l'autre
en même temps. Dans cette espèce de gran-
dissement héroïque d'une individualité domi-
nante, tout l'intérêt du drame barbare de la
guerre se porte sur un seul être, le chef,
chef de peuple ou chef d'armée. On le place
d'ordinaire sur une éminence, entouré d'un
état-major pompeux, donnant ses ordres, ou
suivant de loin les péripéties de la lutte, et
l'on se borne à indiquer vaguement les my-
riades de créatures inconnues, de héros
anonymes qui se font tuer pour lui et pour
la patrie. Ces braves qui essuient le feu de
l'ennemi sans reculer d'une semelle, on les
recule au fond de la toile où ils servent de
repoussoir au personnage qu'il s'agit de glo-
rifier, le plus souvent par ordre. Tous les
maîtres pourtant ne se sont pas soumis à
t cette pression d'en haut, et parmi ceux qui
^9. ont réussi à s'y soustraire nous citerons
v Velasquez peignant, dans son tableau dit
En reconnaissance.
Dessin d'Edouard Détaille d'après une des figures de son tableau. « deS lanCeS »» 1<X Reddition de Brédd.
Nous ne dirons rien des batailles de Le
Brun, un maître décorateur mais un piètre peintre dont le lyrisme vaut celui de son contemporain
Boileau dans l'ode sur la prise de Namur.
Van der Meulen fut en quelque sorte l'historiographe des guerres de son temps. Neveu de
Le Brun, protégé de Colbert, il raconte l'Entrée de Louis XIV dans une ville conquise, le Siège
d'Oudenarde, la Défaite de Bruges, le Siège de Maestricht, une Marche d'armée, une Bataille au
passage d'un pont, le Passage du Rhin, et vingt autres épisodes qu'il détaille sur la toile avec
une habileté singulière ; mais il semble bien moins peindre un tableau qu'un document pour le
dépôt de la guerre.
Les faits de guerre de la Révolution et du premier empire ne pouvaient manquer de donner
une vive impulsion à la peinture militaire. C'est la grande époque de cet art, mais c'est alors
aussi que l'on constate surtout, — dans la peinture comme dans la réalité, — cette absorption
de l'armée et de la nation elle-même par le chef. C'est alors que David imagine son Bonaparte
rigueur administrative d'un caractère purement politique, il ne pouvait pourtant pas renoncer à
l'honneur de se présenter au grand concours ouvert cette année entre les artistes de toutes les
nations. La renommée qu'il s'est acquise lui interdisait une abstention qui eût passé pour une
abdication. Écarté des expositions officielles, il a eu recours à l'initiative privée. C'était son droit.
De là diverses expositions militaires, dont la plus importante est celle qui est ouverte rue Chaptal,
dans la galerie Goupil. Notre revue, à laquelle rien de ce qui est art n'est étranger, ne saurait
se désintéresser de ces expositions qui nous
fournissent l'occasion d'apprécier dans son
ensemble l'état actuel de la peinture militaire
française.
I.
La peinture militaire a été longtemps
une forme picturale de l'ode, consécration
officielle d'une grande personnalité, apothéose
d'un homme de guerre, puissant monarque
ou capitaine illustre, quelquefois l'un et l'autre
en même temps. Dans cette espèce de gran-
dissement héroïque d'une individualité domi-
nante, tout l'intérêt du drame barbare de la
guerre se porte sur un seul être, le chef,
chef de peuple ou chef d'armée. On le place
d'ordinaire sur une éminence, entouré d'un
état-major pompeux, donnant ses ordres, ou
suivant de loin les péripéties de la lutte, et
l'on se borne à indiquer vaguement les my-
riades de créatures inconnues, de héros
anonymes qui se font tuer pour lui et pour
la patrie. Ces braves qui essuient le feu de
l'ennemi sans reculer d'une semelle, on les
recule au fond de la toile où ils servent de
repoussoir au personnage qu'il s'agit de glo-
rifier, le plus souvent par ordre. Tous les
maîtres pourtant ne se sont pas soumis à
t cette pression d'en haut, et parmi ceux qui
^9. ont réussi à s'y soustraire nous citerons
v Velasquez peignant, dans son tableau dit
En reconnaissance.
Dessin d'Edouard Détaille d'après une des figures de son tableau. « deS lanCeS »» 1<X Reddition de Brédd.
Nous ne dirons rien des batailles de Le
Brun, un maître décorateur mais un piètre peintre dont le lyrisme vaut celui de son contemporain
Boileau dans l'ode sur la prise de Namur.
Van der Meulen fut en quelque sorte l'historiographe des guerres de son temps. Neveu de
Le Brun, protégé de Colbert, il raconte l'Entrée de Louis XIV dans une ville conquise, le Siège
d'Oudenarde, la Défaite de Bruges, le Siège de Maestricht, une Marche d'armée, une Bataille au
passage d'un pont, le Passage du Rhin, et vingt autres épisodes qu'il détaille sur la toile avec
une habileté singulière ; mais il semble bien moins peindre un tableau qu'un document pour le
dépôt de la guerre.
Les faits de guerre de la Révolution et du premier empire ne pouvaient manquer de donner
une vive impulsion à la peinture militaire. C'est la grande époque de cet art, mais c'est alors
aussi que l'on constate surtout, — dans la peinture comme dans la réalité, — cette absorption
de l'armée et de la nation elle-même par le chef. C'est alors que David imagine son Bonaparte