64 L'ART.
de la République; il n'y avait plus de main ni d'outil capables de rompre ce lien. Aussi, dès ce
moment les situations changèrent. Marie-Antoinette avait jusque-là imposé ses volontés et ses
caprices, à dater de ce jour son rôle devient passif ; elle allait avoir à se défendre, et la lutte
devait être encore plus périlleuse par suite de l'indécision et de l'irrésolution inhérentes à la
nature du roi. Il se fit donc alors une transformation complète en elle; elle retomba sur elle-
même, elle vit le sol se dérober sous ses pas, et se sentit seule pour inspirer à Louis XVI les
décisions à prendre dans les graves événements qui se succédèrent, amenant chaque jour de
nouvelles épreuves.
Pour terrasser la Révolution, en admettant que ce fût possible, il aurait fallu un talent
d'élite, un génie indomptable, car il ne suffit pas, pour gouverner les peuples, de posséder les
qualités banales du vulgaire, il faut savoir prévoir et diriger; Marie-Antoinette n'avait ni le talent
ni le génie, qui ne sont généralement pas l'apanage de la femme ; aussi remarque-t-on dans ses
portraits, dessinés pendant cette troisième période de son existence, un affaissement très-marqué
de toute sa personne. Alors qu'elle était la souveraine triomphante, elle portait la tête haute et
agrandissait sa coiffure, c'était la femme supérieure qui dépassait toutes les autres ; maintenant
que la Révolution mugissait, la reine se faisait petite et abaissait ses coiffures : adieu les beaux
costumes de cour et les toilettes excentriques. La robe de la gravure en couleur de Levachez,
de 1792, est tout simplement celle de toutes les femmes de Paris? Rien dans la mise ne décèle
la reine de France.
Cette image reflète bien les impressions du moment : il n'est question aux Tuileries que des
projets de fuite du roi ; on médite de s'échapper de Paris, de courir à l'étranger, de se réfugier
à l'armée des émigrés; ces plans sont caressés par le roi, par la reine, par leurs tantes, par les
frères du roi, tous rêvent la fuite, c'est un affolement, et pour que les projets réussissent, il faut
avoir la mise, la coiffure, les façons de la première Française venue.
Cette pauvre femme avait l'âme brisée; elle avait vu du sang à Paris après la prise de la
Bastille, du sang à Versailles les 5 et 6 octobre quand la populace avait massacré les gardes
du corps à la porte de sa chambre; ces souvenirs ne pouvaient manquer de la poursuivre comme
un cauchemar et de la dégoûter des grandeurs. Toute femme à sa place en aurait eu
l'imagination frappée, et ce n'est pas sans raison que Macret, Schinker, Roger et les autres gra-
veurs du temps nous montrent cet accablement moral de la reine dans l'inclinaison de la tète, et
dans la pose nonchalante et pour ainsi dire affaissée des bras.
Sans conseils, délaissée par tous, au point de comparer à Caïn le comte de Provence qui
l'avait abandonnée pour fuir à l'étranger, cette infortunée reine ne savait sur qui s'appuyer ; elle
était parvenue à quitter Paris sous le nom de baronne de Korf, avec le roi et ses enfants ; arrêtée
à Varenncs et ramenée à Paris, après avoir subi tout le long du chemin des aménités de tout
genre, il n'est pas étonnant qu'elle ait nourri des projets plus fantastiques encore, tel que celui
de se réfugier au milieu de l'armée des émigrés qui menaçait la France. Tout concourait alors
à perdre la monarchie, et c'est de la main de ses amis que partirent les .coups les plus terribles,
car le défi impuissant porte à la Révolution, par l'armée des émigrés, fut fatal à Louis XVI. Ces
Français apportant chez eux la guerre civile, au nom du roi, accentuaient encore davantage
l'impopularité de la famille royale, et faisaient endosser à Louis XVI la responsabilité d'un acte
dont la complicité devait plus tard être punie par l'application de la peine capitale.
La superbe estampe en couleur de Curtis représente bien la reine, à l'apogée de sa beauté,
au moment où elle ne brillait déjà plus par sa grâce vive et enjouée, mais où elle fascinait la
vue par le développement de ses chairs pleines et carminées ; l'artiste a choisi, pour la dessiner,
l'époque de sa vie où la femme jette ses derniers feux avant de sentir le déclin prochain de ses
charmes. Un œil observateur y retrouve même les traits presque effacés de son enfance, et le
type autrichien qui caractérisait la physionomie de la jeune fille.
Au retour de Varennes, les cheveux de la reine avaient blanchi presque complètement,
elle n'avait que trente-six ans. C'est la femme qui a souffert pour ses enfants, pour son
mari. La douceur imprimée à sa physionomie par ses cheveux blanchissants tempère la
de la République; il n'y avait plus de main ni d'outil capables de rompre ce lien. Aussi, dès ce
moment les situations changèrent. Marie-Antoinette avait jusque-là imposé ses volontés et ses
caprices, à dater de ce jour son rôle devient passif ; elle allait avoir à se défendre, et la lutte
devait être encore plus périlleuse par suite de l'indécision et de l'irrésolution inhérentes à la
nature du roi. Il se fit donc alors une transformation complète en elle; elle retomba sur elle-
même, elle vit le sol se dérober sous ses pas, et se sentit seule pour inspirer à Louis XVI les
décisions à prendre dans les graves événements qui se succédèrent, amenant chaque jour de
nouvelles épreuves.
Pour terrasser la Révolution, en admettant que ce fût possible, il aurait fallu un talent
d'élite, un génie indomptable, car il ne suffit pas, pour gouverner les peuples, de posséder les
qualités banales du vulgaire, il faut savoir prévoir et diriger; Marie-Antoinette n'avait ni le talent
ni le génie, qui ne sont généralement pas l'apanage de la femme ; aussi remarque-t-on dans ses
portraits, dessinés pendant cette troisième période de son existence, un affaissement très-marqué
de toute sa personne. Alors qu'elle était la souveraine triomphante, elle portait la tête haute et
agrandissait sa coiffure, c'était la femme supérieure qui dépassait toutes les autres ; maintenant
que la Révolution mugissait, la reine se faisait petite et abaissait ses coiffures : adieu les beaux
costumes de cour et les toilettes excentriques. La robe de la gravure en couleur de Levachez,
de 1792, est tout simplement celle de toutes les femmes de Paris? Rien dans la mise ne décèle
la reine de France.
Cette image reflète bien les impressions du moment : il n'est question aux Tuileries que des
projets de fuite du roi ; on médite de s'échapper de Paris, de courir à l'étranger, de se réfugier
à l'armée des émigrés; ces plans sont caressés par le roi, par la reine, par leurs tantes, par les
frères du roi, tous rêvent la fuite, c'est un affolement, et pour que les projets réussissent, il faut
avoir la mise, la coiffure, les façons de la première Française venue.
Cette pauvre femme avait l'âme brisée; elle avait vu du sang à Paris après la prise de la
Bastille, du sang à Versailles les 5 et 6 octobre quand la populace avait massacré les gardes
du corps à la porte de sa chambre; ces souvenirs ne pouvaient manquer de la poursuivre comme
un cauchemar et de la dégoûter des grandeurs. Toute femme à sa place en aurait eu
l'imagination frappée, et ce n'est pas sans raison que Macret, Schinker, Roger et les autres gra-
veurs du temps nous montrent cet accablement moral de la reine dans l'inclinaison de la tète, et
dans la pose nonchalante et pour ainsi dire affaissée des bras.
Sans conseils, délaissée par tous, au point de comparer à Caïn le comte de Provence qui
l'avait abandonnée pour fuir à l'étranger, cette infortunée reine ne savait sur qui s'appuyer ; elle
était parvenue à quitter Paris sous le nom de baronne de Korf, avec le roi et ses enfants ; arrêtée
à Varenncs et ramenée à Paris, après avoir subi tout le long du chemin des aménités de tout
genre, il n'est pas étonnant qu'elle ait nourri des projets plus fantastiques encore, tel que celui
de se réfugier au milieu de l'armée des émigrés qui menaçait la France. Tout concourait alors
à perdre la monarchie, et c'est de la main de ses amis que partirent les .coups les plus terribles,
car le défi impuissant porte à la Révolution, par l'armée des émigrés, fut fatal à Louis XVI. Ces
Français apportant chez eux la guerre civile, au nom du roi, accentuaient encore davantage
l'impopularité de la famille royale, et faisaient endosser à Louis XVI la responsabilité d'un acte
dont la complicité devait plus tard être punie par l'application de la peine capitale.
La superbe estampe en couleur de Curtis représente bien la reine, à l'apogée de sa beauté,
au moment où elle ne brillait déjà plus par sa grâce vive et enjouée, mais où elle fascinait la
vue par le développement de ses chairs pleines et carminées ; l'artiste a choisi, pour la dessiner,
l'époque de sa vie où la femme jette ses derniers feux avant de sentir le déclin prochain de ses
charmes. Un œil observateur y retrouve même les traits presque effacés de son enfance, et le
type autrichien qui caractérisait la physionomie de la jeune fille.
Au retour de Varennes, les cheveux de la reine avaient blanchi presque complètement,
elle n'avait que trente-six ans. C'est la femme qui a souffert pour ses enfants, pour son
mari. La douceur imprimée à sa physionomie par ses cheveux blanchissants tempère la