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L'ART.
galeries d'exposition, latéralement, s'étendant sur ce large terrain appartenant à la ville de Paris,
et dominant le cours de la Seine entre Chaillot et Passy. Il est évident que ce programme réu-
nissait des conditions diverses et qui devaient avoir pour conséquence l'adoption au moins de deux
échelles différentes.
On met toujours en avant les Grecs; mais les Grecs — j'entends les Grecs des beaux temps
de l'Attique — n'ont jamais élevé que des édifices ayant un caractère d'unité absolue, c'est-à-dire
faits pour remplir un programme d'une parfaite unité. Ces édifices étaient, relativement aux
nôtres, très-petits, car il ne s'agissait pas, comme chez nous, de recevoir de très-nombreuses
assemblées dans des espaces couverts : toutes les réunions populaires, à Athènes, ayant lieu en
plein air. Il ne leur était donc pas difficile de donner à ces édifices une unité d'échelle; et cepen-
dant nous voyons que pour un de ces monuments d'Athènes, l'Erechthéium, composition qui
comporte trois programmes différents, l'architecte grec ne s'est soucié ni de la symétrie ni d'une
échelle commune. « Une des qualités essentielles des arts chez les Grecs, ai-je dit ailleurs, c'est
la clarté, c'est-à-dire, en ne parlant que de l'architecture, l'expression réelle de l'usage, des
besoins et des moyens d'exécution. La clarté, cette qualité compagne inséparable du goût, nous
la trouvons répandue, non-seulement dans la structure des édifices grecs, toujours simple, facile, à
comprendre, sans équivoques ni mensonges, mais encore dans les détails de la sculpture ou de la
peinture monumentales, qui semblent prêter leur concours à l'architecture pour en faire mieux
saisir les formes et non les dissimuler '. »
Les Grecs, dont personne, je le suppose, ne contestera le goût en matière d'art, se sont donc,
quand le programme l'imposait, affranchis de ces questions d'unité absolue d'échelle. Quant aux
Romains qui, peu sensibles aux délicatesses de l'art grec, soumettaient leurs édifices à de grandes
dispositions, et qui, comme nous déjà, admettaient des programmes étendus et compliqués, ils ne
se sont pas fait faute d'adopter des échelles très-différentes dans leurs vastes édifices. Il suffit,
pour s'en convaincre, d'examiner leurs thermes, leurs palais et même leurs temples entourés de
dépendances plus ou moins étendues.
Mais cette liberté, dérivée du simple bon sens, a été mise en oubli depuis le xvne siècle,
pendant lequel surtout on a eu là prétention d'imiter l'architecture des Romains. On s'est peu
soucié depuis lors de faire concorder l'échelle d'un édifice avec les services qu'il contient,
et par conséquent de varier cette échelle en raison de la diversité de ces services ; on a
voulu quand même adopter l'échelle unique pour toutes ces parties d'un même édifice, de telle
sorte que s'il contenait, par exemple, une grande salle et des pièces propres à l'habitation,
ou des galeries, il ne fût pas possible, à l'extérieur, de reconnaître la place occupée par chacun
de ces services différents.
Ainsi, les yeux du public se sont habitués à considérer cette uniformité d'ordonnance archi-
tectonique comme la suprême expression de l'art; je dirai que le public n'en admet guère d'autre,
et il faut que ces préjugés se soient bien ancrés dans les esprits pour que des personnes éclairées
et qui raisonnent juste sur toute matière, ne prennent pas la peine de raisonner sur celle-ci, ne
consultant que ce qu'elles appellent leur goût ou leur sentiment, lequel, ainsi que je l'ai dit, n'est
autre chose que la conséquence d'une habitude contractée devant de mauvais exemples.
Eug.-Emm. Viollet-le-Duc.
{La suite prochainement.)
i. Entretiens sur l'architecture ; 2< entretien.
L'ART.
galeries d'exposition, latéralement, s'étendant sur ce large terrain appartenant à la ville de Paris,
et dominant le cours de la Seine entre Chaillot et Passy. Il est évident que ce programme réu-
nissait des conditions diverses et qui devaient avoir pour conséquence l'adoption au moins de deux
échelles différentes.
On met toujours en avant les Grecs; mais les Grecs — j'entends les Grecs des beaux temps
de l'Attique — n'ont jamais élevé que des édifices ayant un caractère d'unité absolue, c'est-à-dire
faits pour remplir un programme d'une parfaite unité. Ces édifices étaient, relativement aux
nôtres, très-petits, car il ne s'agissait pas, comme chez nous, de recevoir de très-nombreuses
assemblées dans des espaces couverts : toutes les réunions populaires, à Athènes, ayant lieu en
plein air. Il ne leur était donc pas difficile de donner à ces édifices une unité d'échelle; et cepen-
dant nous voyons que pour un de ces monuments d'Athènes, l'Erechthéium, composition qui
comporte trois programmes différents, l'architecte grec ne s'est soucié ni de la symétrie ni d'une
échelle commune. « Une des qualités essentielles des arts chez les Grecs, ai-je dit ailleurs, c'est
la clarté, c'est-à-dire, en ne parlant que de l'architecture, l'expression réelle de l'usage, des
besoins et des moyens d'exécution. La clarté, cette qualité compagne inséparable du goût, nous
la trouvons répandue, non-seulement dans la structure des édifices grecs, toujours simple, facile, à
comprendre, sans équivoques ni mensonges, mais encore dans les détails de la sculpture ou de la
peinture monumentales, qui semblent prêter leur concours à l'architecture pour en faire mieux
saisir les formes et non les dissimuler '. »
Les Grecs, dont personne, je le suppose, ne contestera le goût en matière d'art, se sont donc,
quand le programme l'imposait, affranchis de ces questions d'unité absolue d'échelle. Quant aux
Romains qui, peu sensibles aux délicatesses de l'art grec, soumettaient leurs édifices à de grandes
dispositions, et qui, comme nous déjà, admettaient des programmes étendus et compliqués, ils ne
se sont pas fait faute d'adopter des échelles très-différentes dans leurs vastes édifices. Il suffit,
pour s'en convaincre, d'examiner leurs thermes, leurs palais et même leurs temples entourés de
dépendances plus ou moins étendues.
Mais cette liberté, dérivée du simple bon sens, a été mise en oubli depuis le xvne siècle,
pendant lequel surtout on a eu là prétention d'imiter l'architecture des Romains. On s'est peu
soucié depuis lors de faire concorder l'échelle d'un édifice avec les services qu'il contient,
et par conséquent de varier cette échelle en raison de la diversité de ces services ; on a
voulu quand même adopter l'échelle unique pour toutes ces parties d'un même édifice, de telle
sorte que s'il contenait, par exemple, une grande salle et des pièces propres à l'habitation,
ou des galeries, il ne fût pas possible, à l'extérieur, de reconnaître la place occupée par chacun
de ces services différents.
Ainsi, les yeux du public se sont habitués à considérer cette uniformité d'ordonnance archi-
tectonique comme la suprême expression de l'art; je dirai que le public n'en admet guère d'autre,
et il faut que ces préjugés se soient bien ancrés dans les esprits pour que des personnes éclairées
et qui raisonnent juste sur toute matière, ne prennent pas la peine de raisonner sur celle-ci, ne
consultant que ce qu'elles appellent leur goût ou leur sentiment, lequel, ainsi que je l'ai dit, n'est
autre chose que la conséquence d'une habitude contractée devant de mauvais exemples.
Eug.-Emm. Viollet-le-Duc.
{La suite prochainement.)
i. Entretiens sur l'architecture ; 2< entretien.