Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 4.1878 (Teil 3)

DOI article:
Véron, Eugène: Le Salon de Paris 1878, [8]: l'orientalisme
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.16910#0258

DWork-Logo
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
226 L'ART.

y chercher de pareils plaisirs. D'un autre côté, les communications avec les pays du soleil deve-
nant tous les jours plus faciles, on a fini par savoir qu'il y avait cependant quelque différence
entre l'Egypte et un four chauffé à blanc. Cela a jeté un froid sur l'orientalisme et sur les dévots
du dieu flamboyant :

D'adorateurs têtus à peine un petit nombre

Ose des premiers cieux nous retracer quelque ombre ;

Le reste...

le reste se résigne au soleil tel qu'il est et renonce aux fantasmagories démodées. Heureuse-
ment, car en somme la lumière du midi est par elle-même suffisamment dure, aveuglante, et
monotone sans qu'on prenne plaisir à la rendre absolument intolérable.

J'en prends à témoin M. Pasini. Voilà bien longtemps qu'il fréquente le soleil de l'Orient. Il
est à la source même de l'orientalisme, dans l'Anatolie, le pays par excellence du soleil levant.
Avez-vous jamais rien vu de plus charmant, de plus doux à l'œil que sa Cour d'un pieux Conak,
de Tannée dernière ? Elle était pleine de lumière, mais d'une lumière qui n'avait rien d'hostile ni
de brutal. Ses tableaux de cette année portent le même témoignage. M. Berchère, qui est aussi
un orientaliste, n'a jamais non plus cédé à la tentation d'aveugler ses spectateurs. Comparez son
coucher de soleil sur le Nil 1 avec celui de M. Th. Frère.

M. Benjamin Constant est un de ceux qui n'ont pas encore complètement rompu avec l'orien-
talisme intransigeant. Tout le monde a remarqué dans son Harem, à la partie supérieure du
tableau, ce long poignard de couleur blanche qui est là pour figurer un rayon de lumière. Il faut
beaucoup de bonne volonté pour y reconnaître le soleil, fût-il du Maroc. D'ailleurs cet effet
blafard, qui serait peut-être supportable dans une petite toile, ne l'est pas quand il prend de
pareilles dimensions. Cela tire l'oeil et crève le tableau. Il faut ajouter que le sujet ne demandait
nullement un si grand cadre ; au contraire, et il est plus que probable que M. Benjamin Constant
n'aurait pas été entraîné à cette exagération sans la préoccupation trop concevable de forcer le
regard au milieu de cette cohue de tableaux qui s'appelle un Salon ; à moins qu'il n'ait cru
pouvoir par là conjurer le souvenir périlleux de la Noce juive et des Femmes d'Alger. Dans ce
cas il faut bien avouer qu'il a peu réussi. On comprend difficilement qu'un homme du talent de
M. Benjamin Constant fasse à ses prédécesseurs des emprunts aussi ruineux. Le rayon de soleil
qui frappe le sol, bien que plus vrai que celui d'en haut, fait paraître la partie éclairée beaucoup
plus haute que l'autre, rompt la perspective et ferait croire qu'il y a là une estrade. Les figures
du fond sont plates et sans relief. Le groupe des femmes, à droite, vaut mieux, et l'ensemble en
est d'une harmonie très-agréable. La négresse qui chante est bien peinte ; mais si elle se levait,
elle aurait au moins la tête de plus que toutes les autres femmes. Ce qui brille au-dessus de tout
le reste, ce sont les accessoires. La natte qui couvre le plancher, les costumes, sont admirables
de facture et d'éclat ; la grande draperie qui tombe de la galerie supérieure est véritablement
splendide. Malheureusement ces magnificences ne constituent qu'un magnifique défaut. Que devien-
nent les figures auprès de tout cela ? Sans doute M. Benjamin Constant en prend facilement son
parti, mais c'est justement par là que les orientalistes se confondent trop souvent avec les peintres
de nature morte. Ils bornent trop facilement leur ambition à des arrangements de couleurs.
Delacroix et Rubens, auxquels on ne refusera pas, je pense, le sentiment de la couleur, 1 enten-
daient autrement ; ils ne sacrifiaient pas la figure humaine. Regnault suivait ou tâchait de suivre
l'exemple de ces grands hommes. C'est Fortuny qui a renversé les termes ; mais la vogue de
Fortuny n'a eu qu'un moment. Il ne retrouverait plus aujourd'hui ce succès qui, il y a trois ans,
a si fort étonné ses admirateurs les plus convaincus. M. Benjamin Constant, qui est un dessinateur
en même temps qu'un coloriste, fera bien de se tenir en garde contre les entraînements de la
couleur. La Soif est plus originale que le Harem, et il y a là un très-louable effort de réalité.

M. Clairin, dans son Fils du cheik, a poussé aux dernières limites du possible le défaut que
nous reprochons aux orientalistes. Le personnage principal de la toile est une selle. Il y a là un

î. Le Nil, entre le vieux Caire et Vile de Rodah. Voir page 9.
 
Annotationen