3o6 L'ART.
Lazerges a aussi essayé le portrait de son père, M. J. B. Paul Lazerges, mais il n'a pas aussi
complètement réussi. La. pose est vraie et naturelle, mais la tonalité générale du tableau semble
un peu cherchée et fait d'autant plus ressortir ce qu'il y a de conventionnel dans celle du visage.
Un défaut non moins grave consiste dans l'indication insuffisante du relief de l'épaule droite. On
ne peut pas dire qu'elle soit complètement absente, mais elle est bien mollement indiquée.
Le petit portrait de M. ***, par M. Jules Lefebvre, est au contraire modelé avec une habileté
à laquelle du ; reste le peintre nous a depuis longtemps habitué. La construction de la tête ne
laisse rien à désirer, et la coloration est d'une harmonie des plus agréables à l'œil.
On a beaucoup loué le Portrait de M. Crémieux, par M. Lecomte du Nouy ; et dans un
certain sens on a eu raison. Le visage est très-consciencieusement étudié, et les^ mains sont admi-
rablement réussies. Mais où est l'expression morale ? Quand on peint un épicier retiré du
commerce des denrées coloniales après avoir exercé son intelligence à peser pendant quarante ans
des paquets de poivre, on peut lui donner l'expression qu'on veut, ou même ne lui en pas donner
du tout. Mais quand on a l'honneur de peindre des hommes qui ont joué un rôle et qui sont
connus de tous, cet honneur trouve sa compensation dans la difficulté de répondre à l'opinion que
le public se fait du modèle. Tout le monde sait que M. Crémieux n'est pas un Adonis, mais on
ne sait pas moins que c'est le meilleur et le plus spirituel des hommes. M. Lecomte du Nouy
s'est contenté d'écrire fidèlement, sèchement, les traits de son modèle. Je vois le masque ; où est
l'homme ?
M. Harlamoff a le sentiment pittoresque très-développé et s'entend à composer un portrait.
A ce point de vue ses Portraits de Mlle M. V. et de M. Onéguine sont bien remarquables. Il y
a certainement du procédé dans ce tapotage de taches martelées qui se combinent et se fondent
à distance, et le coloris a quelque chose de factice. Mais il faut reconnaître en somme une grande
hardiesse d'exécution dans ce dessin qui se fait uniquement par la couleur, et qui arrive très-
simplement à donner aux physionomies un relief singulier. Ce procédé à facettes réussit moins
pour les portraits de femmes; aussi M. Harlamoff a-t-il eu soin de l'atténuer dans le Portrait de
M"e M. V.
M. Roll s'inquiète moins d'expression que de solidité. Sa peinture est d'une vigueur qui ne
ménage pas assez la chair humaine. Il expose le portrait d'une vieille dame, énergiquement
maçonné. Il en résulte sur le visage des reflets et des lumières désagréables. La physionomie est
d'ailleurs parfaitement immobile, comme il convient à un visage aussi vigoureusement pétrifié.
En revanche les mains sont merveilleusement rendues. C'est le contraire dans le portrait de
M. J. Simon. Les mains sont massives et sans détails. Il est curieux de voir un pareil artiste aux
prises avec une pareille physionomie. On aurait pu parier d'avance qu'il ne s'y retrouverait pas.
Il y a là des estompages inconciliables avec la nature de son talent, des finesses, des dessous
qu'il ne devait pas même soupçonner, et dans lesquels, s'il essayait de les rendre, il devait
fatalement se perdre. C'était prévu et c'est arrivé. M. Roll a construit avec des angles un
visage qui est tout en courbes, et remplacé les lignes flottantes par des lignes rigides. Il a rempli
d'une sorte de passion contenue une tête admirablement organisée pour être toujours maîtresse
d'elle-même; il a mis la passion à la place du calcul, et substitué une sorte d'emportement à la
froide réflexion; il a fait de cet éclectique un homme de foi. Les historiens qui plus tard
demanderont à ce portrait l'explication de certains faits contemporains n'y comprendront rien. Qui
sait si cette prévision n'a pas été pour quelque chose dans le choix de l'artiste ?
Il faut ajouter que la plupart des hommes connus, dont les portraits figurent cette année au
Salon, ne sont guère plus ressemblants. MM. Mengin, Paczka, Rousset ont plus ou moins défiguré
— au moral s'entend — MM. Renan, Claude Bernard, Ulbach, Paul Bert. Le Portrait de l'amiral
Pothuau par M. Aclocque est froid et sans expression, ce qui est d'autant moins admissible qu'il
est représenté dans l'exercice de son commandement. M. Lépaulle a assez bien traité M. Davioud.
Cependant les chairs paraissent mollement rendues et la facture générale est un peu transparente.
On reconnaît sans peine M. Berger dans le portrait qu'en a fait M. Armand-Dumaresq, mais la
ressemblance ne va pas au-delà de la superficie, et le dessin manque de précision. Le public,
Lazerges a aussi essayé le portrait de son père, M. J. B. Paul Lazerges, mais il n'a pas aussi
complètement réussi. La. pose est vraie et naturelle, mais la tonalité générale du tableau semble
un peu cherchée et fait d'autant plus ressortir ce qu'il y a de conventionnel dans celle du visage.
Un défaut non moins grave consiste dans l'indication insuffisante du relief de l'épaule droite. On
ne peut pas dire qu'elle soit complètement absente, mais elle est bien mollement indiquée.
Le petit portrait de M. ***, par M. Jules Lefebvre, est au contraire modelé avec une habileté
à laquelle du ; reste le peintre nous a depuis longtemps habitué. La construction de la tête ne
laisse rien à désirer, et la coloration est d'une harmonie des plus agréables à l'œil.
On a beaucoup loué le Portrait de M. Crémieux, par M. Lecomte du Nouy ; et dans un
certain sens on a eu raison. Le visage est très-consciencieusement étudié, et les^ mains sont admi-
rablement réussies. Mais où est l'expression morale ? Quand on peint un épicier retiré du
commerce des denrées coloniales après avoir exercé son intelligence à peser pendant quarante ans
des paquets de poivre, on peut lui donner l'expression qu'on veut, ou même ne lui en pas donner
du tout. Mais quand on a l'honneur de peindre des hommes qui ont joué un rôle et qui sont
connus de tous, cet honneur trouve sa compensation dans la difficulté de répondre à l'opinion que
le public se fait du modèle. Tout le monde sait que M. Crémieux n'est pas un Adonis, mais on
ne sait pas moins que c'est le meilleur et le plus spirituel des hommes. M. Lecomte du Nouy
s'est contenté d'écrire fidèlement, sèchement, les traits de son modèle. Je vois le masque ; où est
l'homme ?
M. Harlamoff a le sentiment pittoresque très-développé et s'entend à composer un portrait.
A ce point de vue ses Portraits de Mlle M. V. et de M. Onéguine sont bien remarquables. Il y
a certainement du procédé dans ce tapotage de taches martelées qui se combinent et se fondent
à distance, et le coloris a quelque chose de factice. Mais il faut reconnaître en somme une grande
hardiesse d'exécution dans ce dessin qui se fait uniquement par la couleur, et qui arrive très-
simplement à donner aux physionomies un relief singulier. Ce procédé à facettes réussit moins
pour les portraits de femmes; aussi M. Harlamoff a-t-il eu soin de l'atténuer dans le Portrait de
M"e M. V.
M. Roll s'inquiète moins d'expression que de solidité. Sa peinture est d'une vigueur qui ne
ménage pas assez la chair humaine. Il expose le portrait d'une vieille dame, énergiquement
maçonné. Il en résulte sur le visage des reflets et des lumières désagréables. La physionomie est
d'ailleurs parfaitement immobile, comme il convient à un visage aussi vigoureusement pétrifié.
En revanche les mains sont merveilleusement rendues. C'est le contraire dans le portrait de
M. J. Simon. Les mains sont massives et sans détails. Il est curieux de voir un pareil artiste aux
prises avec une pareille physionomie. On aurait pu parier d'avance qu'il ne s'y retrouverait pas.
Il y a là des estompages inconciliables avec la nature de son talent, des finesses, des dessous
qu'il ne devait pas même soupçonner, et dans lesquels, s'il essayait de les rendre, il devait
fatalement se perdre. C'était prévu et c'est arrivé. M. Roll a construit avec des angles un
visage qui est tout en courbes, et remplacé les lignes flottantes par des lignes rigides. Il a rempli
d'une sorte de passion contenue une tête admirablement organisée pour être toujours maîtresse
d'elle-même; il a mis la passion à la place du calcul, et substitué une sorte d'emportement à la
froide réflexion; il a fait de cet éclectique un homme de foi. Les historiens qui plus tard
demanderont à ce portrait l'explication de certains faits contemporains n'y comprendront rien. Qui
sait si cette prévision n'a pas été pour quelque chose dans le choix de l'artiste ?
Il faut ajouter que la plupart des hommes connus, dont les portraits figurent cette année au
Salon, ne sont guère plus ressemblants. MM. Mengin, Paczka, Rousset ont plus ou moins défiguré
— au moral s'entend — MM. Renan, Claude Bernard, Ulbach, Paul Bert. Le Portrait de l'amiral
Pothuau par M. Aclocque est froid et sans expression, ce qui est d'autant moins admissible qu'il
est représenté dans l'exercice de son commandement. M. Lépaulle a assez bien traité M. Davioud.
Cependant les chairs paraissent mollement rendues et la facture générale est un peu transparente.
On reconnaît sans peine M. Berger dans le portrait qu'en a fait M. Armand-Dumaresq, mais la
ressemblance ne va pas au-delà de la superficie, et le dessin manque de précision. Le public,