EXPOSITION HISTORIQUE DE L'ART ANCIEN. 271
plastiques, tirer un effet puissant des éléments les plus simples, trouver dans les difficultés mêmes
d'un sujet l'occasion de ressources imprévues, et souvent de la création d'un chef-d'œuvre, voilà
ce que cette heureuse époque nous a montré maintes fois, et de la main d'artistes obscurs, mais
animés d'un vrai sentiment et nourris d'une grande science.
Collection de M. le baron Nathaniel de Rothschild. — Une autre preuve de la grandeur
apportée par la Renaissance dans la pratique des arts décoratifs, et de l'imagination qu'elle
déployait à l'occasion des objets les plus simples, se trouve dans cette montre de vermeil, d'un
diamètre considérable, sur le boîtier de laquelle s'agite tout un monde de fantaisie. Une galerie
circulaire de feuillages ajourés renferme une série d'ornements divers empruntés à l'architecture
et entrelacés dans un savant mélange; dans les espaces laissés libres, des mascarons, des oiseaux,
des enfants, des sirènes, se correspondent à des intervalles donnés, et dans des poses motivées
par les lignes qui les entourent, à égale distance de deux figures nues plus importantes, assises
et se faisant face ; le centre, délimité par ces points et par un dernier entrelacs, est occupé par
un dieu terme, sortant d'une vasque. La beauté du dessin, l'élégance et la grâce des formes sont
égales à tout ce qu'on peut attendre du xvie siècle et de l'art italien. Cette décoration, dont les
motifs sont inspirés de ceux qu'on employait si souvent alors dans les peintures murales, revêt sur
ce petit objet un caractère particulier ; il semble qu'elle acquière plus d'importance dans ces dimen-
sions restreintes, et qu'elle laisse pénétrer davantage sa qualité intime et native, une sorte de
tenue dans la gaieté, et de pondération dans le caprice.
III. — Orfèvrerie française du xviii6 siècle.
Passer sans transition de l'art du xvi° siècle à celui du xvni0, c'est entrer dans un pays bien
nouveau; mais quelles que soient les différences profondes qui les séparent, on pourrait peut-
être signaler un lien commun entre eux : c'est la franchise décidée avec laquelle ils ont obéi l'un
et l'autre à l'esprit, aux goûts, et, si l'on veut, aux préjugés de leur temps. Il ne faut pas
songer, il est vrai, à maintenir le rapprochement en dehors de ces généralités. Le xvi" siècle
avait aimé la nature et l'antique, la beauté d'une forme pure, l'épanouissement de la vie cor-
porelle et les grands exemples du passé : quelques admirables monuments nous ont permis de
voir ce qu'il avait produit sous cette influence : le xvme siècle aima la grâce, mais parée par une
culture savante; l'imagination et l'esprit, mais aiguisés par la recherche et la manière; il préféra
en toutes choses le raffinement et l'apprêt; il fit peu de cas des traditions et n'eut guère de con-
fiance qu'en lui-même. Dans de telles voies, son art décoratif ne pouvait rester ni grand, ni
simple ; il pouvait se montrer très-original et très-séduisant. Quelques beaux exemples vont
nous faire voir ce qu'il devint.
Collection de M. le baron Gustave de Rothschild. — Une des pièces capitales de cette section à
l'Exposition du Palais du Trocadéro, et peut-être même de l'orfèvrerie française au siècle dernier,
c'est la soupière en argent que nous avons fait reproduire par la gravure. Elle fut commandée
par l'impératrice de Russie Catherine II, et fit partie d'un service offert par cette souveraine
au prince Potemkin, à la suite de ses victoires sur les Turcs. Elle est l'œuvre d'un des plus
célèbres orfèvres de Paris sous Louis XVI, Pierre Germain, et porte tous les caractères de cette
époque et du talent de cet artiste. Elle se compose d'une partie supérieure cylindrique, surmontée
d'un riche couvercle, et d'une partie inférieure affectant la forme d'une coupe godronnée, accom-
pagnée de deux anses, et montée sur quatre pieds de feuillage. Le plateau, surélevé de façon à
rappeler la forme d'une vasque renversée, grandit le vase auquel il sert de piédestal, de façon à
mieux faire valoir son ensemble. La partie supérieure, qui devait être plus tranquille, est relative-
ment simple ; elle est ornée de deux admirables médaillons, chefs-d'œuvre d'élégante ciselure, dont
l'un représente le Triomphe du prince Potemkin, et dont l'autre, Bellone épargnant les vaincus,
paraît être une allusion à sa clémence. Le motif d'ornementation qui les entoure est répété sur le
plateau. La partie inférieure, dont le développement est plus vaste, est aussi d'une plus grande
richesse; son principal ornement se compose de guirlandes de lauriers rattachées sur quatre points
par des nœuds de rubans. Cette décoration a pour résultat d'affirmer et de soutenir la courbure
plastiques, tirer un effet puissant des éléments les plus simples, trouver dans les difficultés mêmes
d'un sujet l'occasion de ressources imprévues, et souvent de la création d'un chef-d'œuvre, voilà
ce que cette heureuse époque nous a montré maintes fois, et de la main d'artistes obscurs, mais
animés d'un vrai sentiment et nourris d'une grande science.
Collection de M. le baron Nathaniel de Rothschild. — Une autre preuve de la grandeur
apportée par la Renaissance dans la pratique des arts décoratifs, et de l'imagination qu'elle
déployait à l'occasion des objets les plus simples, se trouve dans cette montre de vermeil, d'un
diamètre considérable, sur le boîtier de laquelle s'agite tout un monde de fantaisie. Une galerie
circulaire de feuillages ajourés renferme une série d'ornements divers empruntés à l'architecture
et entrelacés dans un savant mélange; dans les espaces laissés libres, des mascarons, des oiseaux,
des enfants, des sirènes, se correspondent à des intervalles donnés, et dans des poses motivées
par les lignes qui les entourent, à égale distance de deux figures nues plus importantes, assises
et se faisant face ; le centre, délimité par ces points et par un dernier entrelacs, est occupé par
un dieu terme, sortant d'une vasque. La beauté du dessin, l'élégance et la grâce des formes sont
égales à tout ce qu'on peut attendre du xvie siècle et de l'art italien. Cette décoration, dont les
motifs sont inspirés de ceux qu'on employait si souvent alors dans les peintures murales, revêt sur
ce petit objet un caractère particulier ; il semble qu'elle acquière plus d'importance dans ces dimen-
sions restreintes, et qu'elle laisse pénétrer davantage sa qualité intime et native, une sorte de
tenue dans la gaieté, et de pondération dans le caprice.
III. — Orfèvrerie française du xviii6 siècle.
Passer sans transition de l'art du xvi° siècle à celui du xvni0, c'est entrer dans un pays bien
nouveau; mais quelles que soient les différences profondes qui les séparent, on pourrait peut-
être signaler un lien commun entre eux : c'est la franchise décidée avec laquelle ils ont obéi l'un
et l'autre à l'esprit, aux goûts, et, si l'on veut, aux préjugés de leur temps. Il ne faut pas
songer, il est vrai, à maintenir le rapprochement en dehors de ces généralités. Le xvi" siècle
avait aimé la nature et l'antique, la beauté d'une forme pure, l'épanouissement de la vie cor-
porelle et les grands exemples du passé : quelques admirables monuments nous ont permis de
voir ce qu'il avait produit sous cette influence : le xvme siècle aima la grâce, mais parée par une
culture savante; l'imagination et l'esprit, mais aiguisés par la recherche et la manière; il préféra
en toutes choses le raffinement et l'apprêt; il fit peu de cas des traditions et n'eut guère de con-
fiance qu'en lui-même. Dans de telles voies, son art décoratif ne pouvait rester ni grand, ni
simple ; il pouvait se montrer très-original et très-séduisant. Quelques beaux exemples vont
nous faire voir ce qu'il devint.
Collection de M. le baron Gustave de Rothschild. — Une des pièces capitales de cette section à
l'Exposition du Palais du Trocadéro, et peut-être même de l'orfèvrerie française au siècle dernier,
c'est la soupière en argent que nous avons fait reproduire par la gravure. Elle fut commandée
par l'impératrice de Russie Catherine II, et fit partie d'un service offert par cette souveraine
au prince Potemkin, à la suite de ses victoires sur les Turcs. Elle est l'œuvre d'un des plus
célèbres orfèvres de Paris sous Louis XVI, Pierre Germain, et porte tous les caractères de cette
époque et du talent de cet artiste. Elle se compose d'une partie supérieure cylindrique, surmontée
d'un riche couvercle, et d'une partie inférieure affectant la forme d'une coupe godronnée, accom-
pagnée de deux anses, et montée sur quatre pieds de feuillage. Le plateau, surélevé de façon à
rappeler la forme d'une vasque renversée, grandit le vase auquel il sert de piédestal, de façon à
mieux faire valoir son ensemble. La partie supérieure, qui devait être plus tranquille, est relative-
ment simple ; elle est ornée de deux admirables médaillons, chefs-d'œuvre d'élégante ciselure, dont
l'un représente le Triomphe du prince Potemkin, et dont l'autre, Bellone épargnant les vaincus,
paraît être une allusion à sa clémence. Le motif d'ornementation qui les entoure est répété sur le
plateau. La partie inférieure, dont le développement est plus vaste, est aussi d'une plus grande
richesse; son principal ornement se compose de guirlandes de lauriers rattachées sur quatre points
par des nœuds de rubans. Cette décoration a pour résultat d'affirmer et de soutenir la courbure