272 L'ART.
de la coupe et d'accentuer ainsi l'opposition des lignes. Il faut remarquer le bel effet des feuillages
d'argent mat sur le fond d'argent poli, effet fréquemment en usage à cette époque et que nous
retrouverons ailleurs, mais qui est peut-être ici plus complet, parce qu'il se produit sur une super-
ficie plus considérable. Le couvercle présente, dans son profil, la même courbe que celui du pla-
teau. Il est couronné par un trophée d'armes surmonté d'un casque empanaché. Nous nous
trouvons en présence d'une forme tout à fait nouvelle et propre au temps qui l'a conçue, et où
tout accuse, jusque dans les plus petits détails, les préférences d'une époque donnée ; mais il faut
reconnaître que tout y est inspiré par un vrai sentiment décoratif et par une profonde connais-
sance des lois de la composition ; oppositions ou rappels, sur des points bien choisis, des lignes
et des masses ; équilibre des parties sobres et des parties chargées ; concours de chacun des mor-
ceaux à l'harmonie de l'ensemble, tout s'y trouve en effet de ce qui produit les belles œuvres ;
c'est que tout y relève de la pensée maîtresse qui les a toutes fait naître; la réalisation pour-
suivie, sans défaillance, d'une inflexible unité.
Une œuvre d'une inspiration beaucoup plus intime et d'un sentiment exquis, c'est cette aiguière
avec son plateau qu'on peut attribuer à Thomas Germain, et où s'épanouissent librement les
tendances contenues dans la pièce précédente par la réserve d'un ciseau sobre et magistral.
L'aiguière subit dans toute sa longueur des dépressions parallèles qui, contournant sa panse,
semblent vouloir amollir la rigidité de sa matière et briser la pureté de son profil ; sur le devant,
des amours sont spirituellement jetés dans un médaillon encadré de plantes aquatiques; des guir-
landes de coquillages pendent sur les autres parois. Le plateau, soumis aux mêmes dépressions,
est également orné d'herbes marines et de coquillages. L'anse est formée par un dragon ailé qui
vient mordre la charnière, et le couvercle est surmonté d'une pyramide de colimaçons. Cette
décoration est conduite avec une délicatesse pleine de coquetterie ; les différences de travaux sont
comprises de manière à donner à chacun des objets qui la composent son accent et son rôle
particulier; il y a des herbes qui frémissent et s'inclinent; il y a des coquilles dont on voit
reluire la nacre et chatoyer l'écaillé ; on sent que tout ce petit monde est imprégné de vase et
baigné de rosée. Et cependant, malgré la prestesse et le charme du rendu, il ne s'en dégage pas
un sentiment de nature, mais plutôt une impression d'arrangement, d'élégance et de bon goût.
Du reste, il ne faut pas trop demander à ce charmant objet ; souvenons-nous qu'il n'était point
destiné à éveiller de vives émotions, mais à faire bonne figure sur une toilette.
Une cafetière en argent, faite pour le Dauphin, sur les dessins de Meissonnier, est un ouvrage
inspiré par le même système de décoration, mais qui en fait un emploi plus modéré. La tête de
dauphin, dont la gueule ouverte était destinée à laisser échapper le liquide, constitue un emblème
parlant qui figure très-souvent sur les objets à l'usage de l'héritier de la couronne, et qui semble
lui avoir été réservé. Nous goûtons également beaucoup les deux flambeaux Louis XV, aux armes
des Visconti : leur tige élancée, quadrangulaire, légèrement évasée dans le haut, sans recherche
exagérée dans la forme, porte sur chacune de ses faces des mascarons et de petits ornements
d'une grande élégance. Enfin un ouvrage qui donne une idée parfaite de la plus belle époque du
genre Louis XV, c'est un sucrier en argent, de Thomas Germain, en forme de navette, monté sur
quatre petits pieds, et décoré d'ornements en rocaille, au milieu desquels s'étalent les armes de la
famille de Conti. Le couvercle porte une fraise pour bouton. Le plateau, très-bas de forme, tres-
déprimé à ses extrémités, est orné de guirlandes courant entre les rocailles. C'est de la grâce un
peu tourmentée peut-être, mais si souriante dans son apprêt, si harmonieuse dans sa parure, si
habile dans sa mise en œuvre, qu'elle se fait accepter en s'imposant. C'est une revanche bien légi-
time de tous ces aimables objets pour lesquels nos pères ont dû épuiser les madrigaux et les for-
mules galantes : ils ont eu leurs jours d'indifférence et d'oubli, mais ils ont bien reconquis leur
place : ceux-ci, qui sont de provenances fort diverses, ont dû courir avant leur réunion de ter-
ribles dangers ; mais leurs pérégrinations sont finies, et ils n'ont plus rien à craindre sous la pro-
tection de la noble demeure qui leur a donné l'hospitalité pour toujours.
Edmond Saint-Raymond.
[Lu suite prochainement.)
de la coupe et d'accentuer ainsi l'opposition des lignes. Il faut remarquer le bel effet des feuillages
d'argent mat sur le fond d'argent poli, effet fréquemment en usage à cette époque et que nous
retrouverons ailleurs, mais qui est peut-être ici plus complet, parce qu'il se produit sur une super-
ficie plus considérable. Le couvercle présente, dans son profil, la même courbe que celui du pla-
teau. Il est couronné par un trophée d'armes surmonté d'un casque empanaché. Nous nous
trouvons en présence d'une forme tout à fait nouvelle et propre au temps qui l'a conçue, et où
tout accuse, jusque dans les plus petits détails, les préférences d'une époque donnée ; mais il faut
reconnaître que tout y est inspiré par un vrai sentiment décoratif et par une profonde connais-
sance des lois de la composition ; oppositions ou rappels, sur des points bien choisis, des lignes
et des masses ; équilibre des parties sobres et des parties chargées ; concours de chacun des mor-
ceaux à l'harmonie de l'ensemble, tout s'y trouve en effet de ce qui produit les belles œuvres ;
c'est que tout y relève de la pensée maîtresse qui les a toutes fait naître; la réalisation pour-
suivie, sans défaillance, d'une inflexible unité.
Une œuvre d'une inspiration beaucoup plus intime et d'un sentiment exquis, c'est cette aiguière
avec son plateau qu'on peut attribuer à Thomas Germain, et où s'épanouissent librement les
tendances contenues dans la pièce précédente par la réserve d'un ciseau sobre et magistral.
L'aiguière subit dans toute sa longueur des dépressions parallèles qui, contournant sa panse,
semblent vouloir amollir la rigidité de sa matière et briser la pureté de son profil ; sur le devant,
des amours sont spirituellement jetés dans un médaillon encadré de plantes aquatiques; des guir-
landes de coquillages pendent sur les autres parois. Le plateau, soumis aux mêmes dépressions,
est également orné d'herbes marines et de coquillages. L'anse est formée par un dragon ailé qui
vient mordre la charnière, et le couvercle est surmonté d'une pyramide de colimaçons. Cette
décoration est conduite avec une délicatesse pleine de coquetterie ; les différences de travaux sont
comprises de manière à donner à chacun des objets qui la composent son accent et son rôle
particulier; il y a des herbes qui frémissent et s'inclinent; il y a des coquilles dont on voit
reluire la nacre et chatoyer l'écaillé ; on sent que tout ce petit monde est imprégné de vase et
baigné de rosée. Et cependant, malgré la prestesse et le charme du rendu, il ne s'en dégage pas
un sentiment de nature, mais plutôt une impression d'arrangement, d'élégance et de bon goût.
Du reste, il ne faut pas trop demander à ce charmant objet ; souvenons-nous qu'il n'était point
destiné à éveiller de vives émotions, mais à faire bonne figure sur une toilette.
Une cafetière en argent, faite pour le Dauphin, sur les dessins de Meissonnier, est un ouvrage
inspiré par le même système de décoration, mais qui en fait un emploi plus modéré. La tête de
dauphin, dont la gueule ouverte était destinée à laisser échapper le liquide, constitue un emblème
parlant qui figure très-souvent sur les objets à l'usage de l'héritier de la couronne, et qui semble
lui avoir été réservé. Nous goûtons également beaucoup les deux flambeaux Louis XV, aux armes
des Visconti : leur tige élancée, quadrangulaire, légèrement évasée dans le haut, sans recherche
exagérée dans la forme, porte sur chacune de ses faces des mascarons et de petits ornements
d'une grande élégance. Enfin un ouvrage qui donne une idée parfaite de la plus belle époque du
genre Louis XV, c'est un sucrier en argent, de Thomas Germain, en forme de navette, monté sur
quatre petits pieds, et décoré d'ornements en rocaille, au milieu desquels s'étalent les armes de la
famille de Conti. Le couvercle porte une fraise pour bouton. Le plateau, très-bas de forme, tres-
déprimé à ses extrémités, est orné de guirlandes courant entre les rocailles. C'est de la grâce un
peu tourmentée peut-être, mais si souriante dans son apprêt, si harmonieuse dans sa parure, si
habile dans sa mise en œuvre, qu'elle se fait accepter en s'imposant. C'est une revanche bien légi-
time de tous ces aimables objets pour lesquels nos pères ont dû épuiser les madrigaux et les for-
mules galantes : ils ont eu leurs jours d'indifférence et d'oubli, mais ils ont bien reconquis leur
place : ceux-ci, qui sont de provenances fort diverses, ont dû courir avant leur réunion de ter-
ribles dangers ; mais leurs pérégrinations sont finies, et ils n'ont plus rien à craindre sous la pro-
tection de la noble demeure qui leur a donné l'hospitalité pour toujours.
Edmond Saint-Raymond.
[Lu suite prochainement.)