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L'ART.
deraienc probablement si ce membre de l'Université est bien fran-
çais, tant il manque de toute espèce de tact et de goût.
Trois exemples pris au hasard :
« Nous n'avons pas cru devoir quitter la table, d'où nous
jouissions d'une vue délicieuse, pour céder à l'invitation intéressée
d'un guide qui nous montrait de loin les ruines d'un temple de
Diane, d'un temple de Vénus et d'un temple de Mercure} dénomi-
nations fallacieuses qui ne peuvent tromper que des Anglais1. »
« Quoique les Allemands soient les habitués de l'hôtel de la
Luna, il est confortable et bien situé2. »
Un cocher napolitain, dont notre professeur célèbre les vertus
et qui a promptement deviné à qui il avait affaire, s'est amusé à
lui faire accroire que le prince Umberto promène la comtesse de
Mirafiore, et notre homme d'imprimer au plus vite dans ce style
qui lui est propre : « En sortant de Pouzzoles, nous rencontrâ-
mes une calèche découverte dans laquelle se trouvaient deux per-
sonnes qu'Ernesto nous dit être, l'une, le prince Humbert, recon-
naissable aux énormes moustaches qui sont d'uniforme dans la
famille de Savoie ; l'autre, non pas la reine, mais l'épouse de
Victor Emmanuel, qu'il s'est unie morganatiquement, c'est-
à-dire sans lui donner aucun droit politique, ni même aucun pri-
vilège d'étiquette; elle n'est que sa femme et rien de plus. Cette
dame nous a paru belle, mais très-forte3. »
Ce serait à se montrer sévère envers M. Chon si l'on ne se
souvenait — car je l'ai lu tout entier ! — qu'il lui est quelque
part échappé ce précieux aveu : « Touristes très-pressés, nous
passons à travers l'Italie en courant, et nous portons quelquefois
sur le peuple italien des jugements aussi précipités que notre
voyage4. »
M. Chon doit être en toutes choses un homme très-pressé ;
le loisir lui manque pour corriger attentivement ses épreuves,
sinon comment expliquer chez cet Officier de l'Instruction publi-
CHRONIQUE
— Le Jury de l'École des Beaux-Arts a rendu son jugement
définitif sur le concours d'architecture pour le grand prix de Rome.
Voici les noms des lauréats :
Premier grand prix : M. Blondel (Paul), élève de M. Daumet.
Premier second grand prix : M. Bernard (Marie Joseph),
élève de MM. Quesnel et Pascal.
Deuxième second grand prix : M. Roussi (Charles Georges),
élève de M. Guénepin.
— Dans le crédit supplémentaire demandé aux Chambres par
M. Waddington pour le budget de 1877, il doity avoir une somme
réservée spécialement aux Ecoles françaises d'Athènes et de Rome.
L'Art a eu plus d'une fois l'occasion de parler de l'insuffi-
sance de la subvention accordée à ces établissements. L'Ecole
française d'Athènes, qui a rendu tant de services à l'érudition et
tant fait pour l'honneur de la France, n'a eu, pendant de longues
années, qu'une existence précaire. Ce n'est pas à coup sûr au
moment où les Allemands font le meilleur éloge de notre institu-
tion en créant à Athènes, eux aussi, une École archéologique,
que la France peut songer à abandonner son œuvre. Mieux vau-
drait cependant supprimer l'Ecole française d'Athènes que ne pas
lui donner, en présence de l'École allemande, les moyens de
représenter honorablement notre pays. Dès qu'elle a été installée
à Athènes, l'Ecole allemande s'est préoccupée d'opérer à Olympie,
non sans de grandes dépenses, des fouilles considérables; on sait
qu'elle y a déjà découvert d'importantes antiquités et il n'est
point douteux qu'elle en découvrira encore. Bien d'autres fouilles
1. Page 423.
2. Page 449.
}. Page 424.
4. Page 25Ô.
S- Page 325.
que un langage dont la correction n'est pas précisément de nature
à justifier les palmes académiques : « La ville de Rome possède
ainsi environ cent cinquante places et, avec cela, autant de fon-
taines, dont environ cinquante, plus ou moins intéressantes, sont
monumentales. Il n'y a pas de cité qui puisse se vanter d'en avoir
un si grand nombre. De quoi se plaignent donc les Romains?
Nous renonçons, quant à nous, à les énumérer; l'étranger les
rencontre à tout bout de champ, pour employer une expression
vulgaire5. »
Il y a bien aussi les préférences de cet universitaire affichées à
tout propos et hors de propos, préférences qui autorisent à penser
que son enseignement prenait avec l'Histoire les libertés grandes
que sa plume ne se refuse pas au détriment de la langue fran-
çaise, mais ceci n'esc plus de notre ressort.
Vieux partisan des bienfaits de la décentralisation, je me sens
d'instinct porté à louer les livres qui sont édités en province et
c'est toujours avec un vif regret que je me résous à la critique à
laquelle m'oblige mon respect de la vérité. Ce qui me console
dans le cas présent, c'est que si le gros volume de M. Chon lui
fait très-peu honneur, la Société des Sciences, des Arts et de
l'Agriculture de Lille, l'une des plus importantes, l'une des plus
fécondes associations départementales, n'a pas à souffrir de cette
profonde erreur de l'un de ses membres ; il en est parmi eux un
trop grand nombre que recommandent de fort importants
travaux, de savants mémoires, de patientes investigations, de
très-utiles et très-précieuses découvertes, qui ont apporté la
lumière dans maintes questions d'un intérêt puissant ; aussi est-ce
pour une bien large part à cette Société que la ville de'Lille doit
de n'être pas seulement une grande cité commerciale et indus-
trielle, mais un centre cher aux artistes et aux lettrés.
Jules Raymond.
FRANÇAISE
restent à faire sur des points divers de la Grèce et dans FAttique,
dans Athènes même; c'est uniquement faute d'argent que l'on
n'entend pas plus souvent parler des découvertes de notre École.
Avec l'excellent directeur qu'elle a à sa tête, on peut être per-
suadé que les crédits accordés recevront le meilleur emploi.
L'Ecole de Rome, une des dernières fondations de M. Jules
Simon, existe depuis quelques années seulement, et c'est ici sur-
tout que de larges subventions ont besoin d'être répandues
d'abord. L'Ecole a un directeur, et un directeur d'une compétence
bien connue en matière d'érudition, M. Geffroy, membre de
l'Institut ; elle a un domicile au second étage du palais Farnèse.
Mais ce qui manque absolument à l'École française de Rome
c'est ce que l'on peut appeler l'outillage d'un établissement con-
sacré aux études archéologiques. L'École de Rome n'a pas de
bibliothèque. Une bibliothèque archéologique est une bibliothèque
particulièrement coûteuse ; un grand nombre de publications
illustrées y sont indispensables. C'est là pourtant une dépense
devant laquelle il est impossible de reculer. Que peuvent faire
les érudits, si les livres leur manquent ?
Tous ceux qui ont visité Rome et s'intéressent aux choses de
la science se souviennent de l'Institut prussien établi sur la colline
du Capitole. Cet Institue a la plus admirable bibliothèque d'éru-
dition qui se puisse imaginer, la mieux pourvue de tout ce qui se
publie par tous pays ; il est dirigé par deux hommes éminents
tous deux dans l'érudition et l'archéologie latines, M. Henzen et
le Dr Helbig; il tient chaque semaine de savantes séances; il
L'ART.
deraienc probablement si ce membre de l'Université est bien fran-
çais, tant il manque de toute espèce de tact et de goût.
Trois exemples pris au hasard :
« Nous n'avons pas cru devoir quitter la table, d'où nous
jouissions d'une vue délicieuse, pour céder à l'invitation intéressée
d'un guide qui nous montrait de loin les ruines d'un temple de
Diane, d'un temple de Vénus et d'un temple de Mercure} dénomi-
nations fallacieuses qui ne peuvent tromper que des Anglais1. »
« Quoique les Allemands soient les habitués de l'hôtel de la
Luna, il est confortable et bien situé2. »
Un cocher napolitain, dont notre professeur célèbre les vertus
et qui a promptement deviné à qui il avait affaire, s'est amusé à
lui faire accroire que le prince Umberto promène la comtesse de
Mirafiore, et notre homme d'imprimer au plus vite dans ce style
qui lui est propre : « En sortant de Pouzzoles, nous rencontrâ-
mes une calèche découverte dans laquelle se trouvaient deux per-
sonnes qu'Ernesto nous dit être, l'une, le prince Humbert, recon-
naissable aux énormes moustaches qui sont d'uniforme dans la
famille de Savoie ; l'autre, non pas la reine, mais l'épouse de
Victor Emmanuel, qu'il s'est unie morganatiquement, c'est-
à-dire sans lui donner aucun droit politique, ni même aucun pri-
vilège d'étiquette; elle n'est que sa femme et rien de plus. Cette
dame nous a paru belle, mais très-forte3. »
Ce serait à se montrer sévère envers M. Chon si l'on ne se
souvenait — car je l'ai lu tout entier ! — qu'il lui est quelque
part échappé ce précieux aveu : « Touristes très-pressés, nous
passons à travers l'Italie en courant, et nous portons quelquefois
sur le peuple italien des jugements aussi précipités que notre
voyage4. »
M. Chon doit être en toutes choses un homme très-pressé ;
le loisir lui manque pour corriger attentivement ses épreuves,
sinon comment expliquer chez cet Officier de l'Instruction publi-
CHRONIQUE
— Le Jury de l'École des Beaux-Arts a rendu son jugement
définitif sur le concours d'architecture pour le grand prix de Rome.
Voici les noms des lauréats :
Premier grand prix : M. Blondel (Paul), élève de M. Daumet.
Premier second grand prix : M. Bernard (Marie Joseph),
élève de MM. Quesnel et Pascal.
Deuxième second grand prix : M. Roussi (Charles Georges),
élève de M. Guénepin.
— Dans le crédit supplémentaire demandé aux Chambres par
M. Waddington pour le budget de 1877, il doity avoir une somme
réservée spécialement aux Ecoles françaises d'Athènes et de Rome.
L'Art a eu plus d'une fois l'occasion de parler de l'insuffi-
sance de la subvention accordée à ces établissements. L'Ecole
française d'Athènes, qui a rendu tant de services à l'érudition et
tant fait pour l'honneur de la France, n'a eu, pendant de longues
années, qu'une existence précaire. Ce n'est pas à coup sûr au
moment où les Allemands font le meilleur éloge de notre institu-
tion en créant à Athènes, eux aussi, une École archéologique,
que la France peut songer à abandonner son œuvre. Mieux vau-
drait cependant supprimer l'Ecole française d'Athènes que ne pas
lui donner, en présence de l'École allemande, les moyens de
représenter honorablement notre pays. Dès qu'elle a été installée
à Athènes, l'Ecole allemande s'est préoccupée d'opérer à Olympie,
non sans de grandes dépenses, des fouilles considérables; on sait
qu'elle y a déjà découvert d'importantes antiquités et il n'est
point douteux qu'elle en découvrira encore. Bien d'autres fouilles
1. Page 423.
2. Page 449.
}. Page 424.
4. Page 25Ô.
S- Page 325.
que un langage dont la correction n'est pas précisément de nature
à justifier les palmes académiques : « La ville de Rome possède
ainsi environ cent cinquante places et, avec cela, autant de fon-
taines, dont environ cinquante, plus ou moins intéressantes, sont
monumentales. Il n'y a pas de cité qui puisse se vanter d'en avoir
un si grand nombre. De quoi se plaignent donc les Romains?
Nous renonçons, quant à nous, à les énumérer; l'étranger les
rencontre à tout bout de champ, pour employer une expression
vulgaire5. »
Il y a bien aussi les préférences de cet universitaire affichées à
tout propos et hors de propos, préférences qui autorisent à penser
que son enseignement prenait avec l'Histoire les libertés grandes
que sa plume ne se refuse pas au détriment de la langue fran-
çaise, mais ceci n'esc plus de notre ressort.
Vieux partisan des bienfaits de la décentralisation, je me sens
d'instinct porté à louer les livres qui sont édités en province et
c'est toujours avec un vif regret que je me résous à la critique à
laquelle m'oblige mon respect de la vérité. Ce qui me console
dans le cas présent, c'est que si le gros volume de M. Chon lui
fait très-peu honneur, la Société des Sciences, des Arts et de
l'Agriculture de Lille, l'une des plus importantes, l'une des plus
fécondes associations départementales, n'a pas à souffrir de cette
profonde erreur de l'un de ses membres ; il en est parmi eux un
trop grand nombre que recommandent de fort importants
travaux, de savants mémoires, de patientes investigations, de
très-utiles et très-précieuses découvertes, qui ont apporté la
lumière dans maintes questions d'un intérêt puissant ; aussi est-ce
pour une bien large part à cette Société que la ville de'Lille doit
de n'être pas seulement une grande cité commerciale et indus-
trielle, mais un centre cher aux artistes et aux lettrés.
Jules Raymond.
FRANÇAISE
restent à faire sur des points divers de la Grèce et dans FAttique,
dans Athènes même; c'est uniquement faute d'argent que l'on
n'entend pas plus souvent parler des découvertes de notre École.
Avec l'excellent directeur qu'elle a à sa tête, on peut être per-
suadé que les crédits accordés recevront le meilleur emploi.
L'Ecole de Rome, une des dernières fondations de M. Jules
Simon, existe depuis quelques années seulement, et c'est ici sur-
tout que de larges subventions ont besoin d'être répandues
d'abord. L'Ecole a un directeur, et un directeur d'une compétence
bien connue en matière d'érudition, M. Geffroy, membre de
l'Institut ; elle a un domicile au second étage du palais Farnèse.
Mais ce qui manque absolument à l'École française de Rome
c'est ce que l'on peut appeler l'outillage d'un établissement con-
sacré aux études archéologiques. L'École de Rome n'a pas de
bibliothèque. Une bibliothèque archéologique est une bibliothèque
particulièrement coûteuse ; un grand nombre de publications
illustrées y sont indispensables. C'est là pourtant une dépense
devant laquelle il est impossible de reculer. Que peuvent faire
les érudits, si les livres leur manquent ?
Tous ceux qui ont visité Rome et s'intéressent aux choses de
la science se souviennent de l'Institut prussien établi sur la colline
du Capitole. Cet Institue a la plus admirable bibliothèque d'éru-
dition qui se puisse imaginer, la mieux pourvue de tout ce qui se
publie par tous pays ; il est dirigé par deux hommes éminents
tous deux dans l'érudition et l'archéologie latines, M. Henzen et
le Dr Helbig; il tient chaque semaine de savantes séances; il