LA
CAISSE D'ÉPARGNE
DE BOLOGNE
n assure que le nouvel édifice de Bologne n'a pas coûté moins de
deux millions et demi; et si quelques actionnaires, dans leurs épou-
vantements étroits, ont vu flamboyer sinistrement ce chiffre sur la
façade, il faut avouer que, pour une caisse d'épargne, c'était une bien
mauvaise enseigne. Mais ce luxe intelligent ne paraît pas avoir éloigné
les clients ; l'économie n'a rien à redouter des palais qu'elle élève, et
qu'elle habite quelquefois. Il faut donc remercier la florissante admi-
nistration d'avoir eu le courage de prouver que le prestige de l'hon-
nêteté et l'attrait des belles choses sont non-seulement la plus
-a »j - f^-a» a— noble, mais encore la meilleure des spéculations; en ne désespérant
Gravure de Burgun, d'après des types du xvi« siècle. ,■ ■ . ii;, „ „,
pas des fils du peuple romain, elle a dote lltahe, Mdan, Rome, Flo-
rence, Bologne de beaux édifices qui sont l'orgueil des cités qui les montrent, la joie de ceux qui
les visitent, l'honneur et la consécration la plus éloquente des institutions qui les élèvent.
La construction de la CaiSse d'épargne de Bologne fut décidée en 1867. M. Joseph Mengoni, qui
s'était distingué à Bologne même par la construction de la porte de Saragosse et qui venait de vaincre
dans le concours de la fameuse galerie de Milan, s'offrait naturellement au choix d'une ville qui le
revendique et qu'il honore. Le jeune triomphateur se mit immédiatement à l'ouvrage; les plans étaient
prêts au commencement de 1868, et le 12 août de la même année il posait la première pierre. Peut-
être les travaux ne sont-ils pas aujourd'hui entièrement exécutés; et si nous en parlons avant la toilette
suprême, que l'honorable architecte excuse, par le retentissement même de son nom et la curiosité
qu'il soulève, notre indiscrétion d'avoir surpris son œuvre parmi les ravaleurs, les marbriers et les
polisseurs, dans le désordre d'une parure à moitié faite, dans le trouble d'une poudre encore mal
essuyée.
L'édifice, est bordé par trois rues; sans dégagement et sans place d'aucun côté pour assurer la
perspective, il se dérobe de toutes parts à une vue d'ensemble. L'architecte, qui pouvait se plaindre, a
préféré bénéficier de cet emplacement ingrat en faisant des façades au lieu d'une masse. Le cube
régulier et uniforme des palais florentins pris pour type permet de fondre l'édifice avec les trois rues et
d'esquiver prudemment les menaces de perspective, les surprises redoutées de silhouettes plus hardies.
Les façades sont gaies et heureuses, heureuses d'être et de briller, de montrer leurs socles de granit
et ces jolis placages roses qu'encadrent harmonieusement les marbres blancs des cordons, des fenêtres
et des pilastres. Un parfum de bonheur et de fête s'échappe de cette robe voyante et chatoyante; on
sent que M. Mengoni est ravi d'avoir les mains pleines de tant de richesses, trop ravi peut-être. Il faut
qu'il les prodigue, et qu'on les admire, et qu'il y ait de la joie pour tout le monde; c'est pour cela sans
doute que ces splendeurs charmantes, mais un peu décousues, semblent les mots entrecoupés d'une
ivresse qui s'échapperait en plans bleus, en marbres roses, en architecture aimable et souriante.
La disposition générale est celle des palais florentins, un plan carré avec cour intérieure ; les
façades calmes, sans ressaut, sans autre ordonnance que la répétition symétrique des fenêtres, sont
héroïquement colorées par la prodigieuse saillie de la corniche. Mais l'architecte semble s'être
dédommagé de cet esclavage de l'ensemble par la violente émancipation des détails. Les pilastres
d'angle avec leur décoration contestable, le portique d'entrée largement ouvert sur le vestibule et plon-
Tome VI. 15
CAISSE D'ÉPARGNE
DE BOLOGNE
n assure que le nouvel édifice de Bologne n'a pas coûté moins de
deux millions et demi; et si quelques actionnaires, dans leurs épou-
vantements étroits, ont vu flamboyer sinistrement ce chiffre sur la
façade, il faut avouer que, pour une caisse d'épargne, c'était une bien
mauvaise enseigne. Mais ce luxe intelligent ne paraît pas avoir éloigné
les clients ; l'économie n'a rien à redouter des palais qu'elle élève, et
qu'elle habite quelquefois. Il faut donc remercier la florissante admi-
nistration d'avoir eu le courage de prouver que le prestige de l'hon-
nêteté et l'attrait des belles choses sont non-seulement la plus
-a »j - f^-a» a— noble, mais encore la meilleure des spéculations; en ne désespérant
Gravure de Burgun, d'après des types du xvi« siècle. ,■ ■ . ii;, „ „,
pas des fils du peuple romain, elle a dote lltahe, Mdan, Rome, Flo-
rence, Bologne de beaux édifices qui sont l'orgueil des cités qui les montrent, la joie de ceux qui
les visitent, l'honneur et la consécration la plus éloquente des institutions qui les élèvent.
La construction de la CaiSse d'épargne de Bologne fut décidée en 1867. M. Joseph Mengoni, qui
s'était distingué à Bologne même par la construction de la porte de Saragosse et qui venait de vaincre
dans le concours de la fameuse galerie de Milan, s'offrait naturellement au choix d'une ville qui le
revendique et qu'il honore. Le jeune triomphateur se mit immédiatement à l'ouvrage; les plans étaient
prêts au commencement de 1868, et le 12 août de la même année il posait la première pierre. Peut-
être les travaux ne sont-ils pas aujourd'hui entièrement exécutés; et si nous en parlons avant la toilette
suprême, que l'honorable architecte excuse, par le retentissement même de son nom et la curiosité
qu'il soulève, notre indiscrétion d'avoir surpris son œuvre parmi les ravaleurs, les marbriers et les
polisseurs, dans le désordre d'une parure à moitié faite, dans le trouble d'une poudre encore mal
essuyée.
L'édifice, est bordé par trois rues; sans dégagement et sans place d'aucun côté pour assurer la
perspective, il se dérobe de toutes parts à une vue d'ensemble. L'architecte, qui pouvait se plaindre, a
préféré bénéficier de cet emplacement ingrat en faisant des façades au lieu d'une masse. Le cube
régulier et uniforme des palais florentins pris pour type permet de fondre l'édifice avec les trois rues et
d'esquiver prudemment les menaces de perspective, les surprises redoutées de silhouettes plus hardies.
Les façades sont gaies et heureuses, heureuses d'être et de briller, de montrer leurs socles de granit
et ces jolis placages roses qu'encadrent harmonieusement les marbres blancs des cordons, des fenêtres
et des pilastres. Un parfum de bonheur et de fête s'échappe de cette robe voyante et chatoyante; on
sent que M. Mengoni est ravi d'avoir les mains pleines de tant de richesses, trop ravi peut-être. Il faut
qu'il les prodigue, et qu'on les admire, et qu'il y ait de la joie pour tout le monde; c'est pour cela sans
doute que ces splendeurs charmantes, mais un peu décousues, semblent les mots entrecoupés d'une
ivresse qui s'échapperait en plans bleus, en marbres roses, en architecture aimable et souriante.
La disposition générale est celle des palais florentins, un plan carré avec cour intérieure ; les
façades calmes, sans ressaut, sans autre ordonnance que la répétition symétrique des fenêtres, sont
héroïquement colorées par la prodigieuse saillie de la corniche. Mais l'architecte semble s'être
dédommagé de cet esclavage de l'ensemble par la violente émancipation des détails. Les pilastres
d'angle avec leur décoration contestable, le portique d'entrée largement ouvert sur le vestibule et plon-
Tome VI. 15