SILHOUETTES D'ARTISTES CONTEMPORAINS
Paulô minora canamus,
I
HENRI PILLE.
echercher les artistes de second ordre qui de notre temps
témoignent d'une certaine originalité et se présentent avec
un caractère bien marqué, tranchant sur les vulgaires et
monotones habiletés dont l'école est encombrée, nous semble
être une tâche utile et de nature à intéresser les [lecteurs de
l'Art, tout en étant un acte de justice vis-à-vis des hommes
de talent dont nous nous occuperons.
Henri Pille est de ceux qui méritent légitimement d'at-
tirer l'attention. Le livret du Salon nous apprend qu'il est né
dans l'Aisne, à Essommes, qu'il a été médaillé en 1869 et
en 1872, qu'il est Hors Concours, ce qui ne l'empêche pas
Lettre tirée d'un Traité de Calligraphie,
par le frate Vespasiano Amphiareo, de Ferrare (xvie siècle), d'avoir du talent à l'opposé d'un trop grand nombre de H. O,
ces fléaux réguliers des expositions annuelles1, et enfin, —
ceci n'est pas le moins curieux à noter, -— qu'il est élève de M. François Barrias, un excellent
homme que les badauds déclarèrent à l'envi un grand artiste lors de l'apparition de ses Exilés de
Tibère. C'était tout bonnement un fort honorable praticien doué de mérites très-ordinaires, juste ce
qu'il en faut pour aller un beau jour somnoler de plein droit entre les vieux bras de quelque fauteuil
de l'Institut; cette faveur ne lui est pas encore venue; c'est une injustice.
A voir la peinture de M. Pille, on ne devinerait jamais qui fut son maître, et ceci est tout à l'éloge
de ce dernier un fort bon professeur en effet, ne cherchant jamais à étouffer l'originalité de ses dis-
ciples, la respectant au contraire scrupuleusement et s'efforçant même de la mettre en lumière. On
trouve dans Pille une recherche précieuse du détail et du pittoresque que M. Barrias n'a jamais fait
voir et ne lui a certes pas enseignée. On le croirait plutôt élève des Flamands, et comme M. Aima
Tadema, couvé par Henri Leys, à cause de la poursuite archaïque à laquelle il s'attache cou amore.
Plus charmé par le détail que par l'ensemble, il donne aux accessoires un intérêt qui prend souvent
une trop grande part dans le tableau. Coloriste délicat dans une gamme grise et argentine, il a de
charmantes délicatesses, mais manque invariablement de puissance ; aussi ses œuvres, toujours harmo-
nieuses, ne donnent-elles jamais une note dominante; le point central y fait défaut; de là un manque
d'effet pour ainsi dire absolu. Le détail est constamment su en perfection et bien rendu ; si c'est
un guerrier que l'artiste veut peindre, il l'armera de son hausse-col le plus agrémenté, de sa cuirasse
la mieux damasquinée, la mieux polie, de son épée la mieux trempée, à la poignée la plus artisti-
quement ciselée; s'il a à représenter une femme, il la coiffera de ses plus élégantes dentelles, la vêtira
1. Parmi ces « Exempts de l'examen du Jury d'admission », il en est qui exposent ainsi par privilège régulièrement, — trop
régulièrement, hélas! — les uns depuis quarante-cinq, les autres depuis quarante-neut ans! et le public condamné à les voir chaque
année, ignore d'autant plus leur existence; pour lui, leurs noms ne font écho à rien. Les H. C. n'en sont pas moins la base inébran-
lable des expositions officielles. Cette pépinière de fruits secs parmi lesquels on trouve égarés quelques fruits savoureux — rari nantes in
gurgite vasto — est probablement encore « une de ces institutions que l'Europe nous envie ».
Tome VI. 36
Paulô minora canamus,
I
HENRI PILLE.
echercher les artistes de second ordre qui de notre temps
témoignent d'une certaine originalité et se présentent avec
un caractère bien marqué, tranchant sur les vulgaires et
monotones habiletés dont l'école est encombrée, nous semble
être une tâche utile et de nature à intéresser les [lecteurs de
l'Art, tout en étant un acte de justice vis-à-vis des hommes
de talent dont nous nous occuperons.
Henri Pille est de ceux qui méritent légitimement d'at-
tirer l'attention. Le livret du Salon nous apprend qu'il est né
dans l'Aisne, à Essommes, qu'il a été médaillé en 1869 et
en 1872, qu'il est Hors Concours, ce qui ne l'empêche pas
Lettre tirée d'un Traité de Calligraphie,
par le frate Vespasiano Amphiareo, de Ferrare (xvie siècle), d'avoir du talent à l'opposé d'un trop grand nombre de H. O,
ces fléaux réguliers des expositions annuelles1, et enfin, —
ceci n'est pas le moins curieux à noter, -— qu'il est élève de M. François Barrias, un excellent
homme que les badauds déclarèrent à l'envi un grand artiste lors de l'apparition de ses Exilés de
Tibère. C'était tout bonnement un fort honorable praticien doué de mérites très-ordinaires, juste ce
qu'il en faut pour aller un beau jour somnoler de plein droit entre les vieux bras de quelque fauteuil
de l'Institut; cette faveur ne lui est pas encore venue; c'est une injustice.
A voir la peinture de M. Pille, on ne devinerait jamais qui fut son maître, et ceci est tout à l'éloge
de ce dernier un fort bon professeur en effet, ne cherchant jamais à étouffer l'originalité de ses dis-
ciples, la respectant au contraire scrupuleusement et s'efforçant même de la mettre en lumière. On
trouve dans Pille une recherche précieuse du détail et du pittoresque que M. Barrias n'a jamais fait
voir et ne lui a certes pas enseignée. On le croirait plutôt élève des Flamands, et comme M. Aima
Tadema, couvé par Henri Leys, à cause de la poursuite archaïque à laquelle il s'attache cou amore.
Plus charmé par le détail que par l'ensemble, il donne aux accessoires un intérêt qui prend souvent
une trop grande part dans le tableau. Coloriste délicat dans une gamme grise et argentine, il a de
charmantes délicatesses, mais manque invariablement de puissance ; aussi ses œuvres, toujours harmo-
nieuses, ne donnent-elles jamais une note dominante; le point central y fait défaut; de là un manque
d'effet pour ainsi dire absolu. Le détail est constamment su en perfection et bien rendu ; si c'est
un guerrier que l'artiste veut peindre, il l'armera de son hausse-col le plus agrémenté, de sa cuirasse
la mieux damasquinée, la mieux polie, de son épée la mieux trempée, à la poignée la plus artisti-
quement ciselée; s'il a à représenter une femme, il la coiffera de ses plus élégantes dentelles, la vêtira
1. Parmi ces « Exempts de l'examen du Jury d'admission », il en est qui exposent ainsi par privilège régulièrement, — trop
régulièrement, hélas! — les uns depuis quarante-cinq, les autres depuis quarante-neut ans! et le public condamné à les voir chaque
année, ignore d'autant plus leur existence; pour lui, leurs noms ne font écho à rien. Les H. C. n'en sont pas moins la base inébran-
lable des expositions officielles. Cette pépinière de fruits secs parmi lesquels on trouve égarés quelques fruits savoureux — rari nantes in
gurgite vasto — est probablement encore « une de ces institutions que l'Europe nous envie ».
Tome VI. 36