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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 3)

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Stuers, Victor E. L. Ridder de: Bévues d'un architecte
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https://doi.org/10.11588/diglit.16691#0078

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BÉVUES D'UN ARCHITECTE.

ïp^ejsji onsieur Narjoux vienc de publier un volume inticulé :
ïraBÏ Notes de voyage d'un architecte dans le nord-ouest de
l'Europe '. Le voyage dont il s'agit a pour objet la Hol-
lande, le Hanovre et le Danemark. Je ne connais ni le Hanovre,
ni le Danemark, mais je connais la Hollande et j'avoue que les
notes de M. Narjoux m'ont causé un ébahissement profond. Je ne
croyais pas qu'il fût possible d'entasser dans une centaine de pages
un nombre d'erreurs, de bévues et de faux jugements aussi consi-
dérable que celui qui distingue le travail de l'architecte français.

Certes, comme le dit M. Narjoux, raconter les voyages qu'on
a faits est accomplir une tâche utile au prochain. Mais encore
faut-il que ces descriptions de voyage ne fourmillent pas de
contes bleus, qui donnent des idées fausses aux esprits crédules
et font hausser les épaules à ceux qui sont bien informés.

Je n'ai nulle envie de combattre ici les appréciations sur la
Hollande et sur les Hollandais que l'auteur débite avec un sang-
froid étonnant ; il faudrait pour cela écrire un gros livre, et il
me semble que le volume de M. Narjoux n'est pas assez sérieux
pour mériter d'être réfuté dans son ensemble. Je me bornerai à
indiquer quelques erreurs purement matérielles et à faire voir
ainsi combien peu de valeur il faut attribuer à un travail qui, à
chaque pas, trahit l'ignorance et la légèreté.

Arrivé au Moerdyk, l'auteur s'embarque pour Dord (et non
Dor) ; il croit voir dans les maisons de campagne, qui bordent le
fleuve, « des souvenirs de Java ou du Japon. » En réalité,
l'extrême Orient n'a rien à voir dans ces constructions banales
qui ne rappellent que le style Louis XIV ou les ordres de Vitruve.

M. Narjoux pénètre dans Dordrecht; il faut le croire puis-
qu'il l'assure. Mais comment expliquer alors que l'architecte qui
ailleurs s'arrête avec complaisance devant des villas souvent
assez médiocres, n'ait rencontré à Dordrecht que des « maisons
identiquement les mêmes partout »? Dord est sans contredit la
ville de la Hollande qui conserve le plus grand nombre de façades
élevées dans le style gothique et dans le style de la Renaissance
du xvie siècle ; nulle part je n'ai trouvé une plus grande diver-
sité de motifs, une plus grande richesse de détails et d'ornemen-
tation architecturale. Notre voyageur a grand tort de dire « que
les monuments de Dordrecht sont bientôt vus, et qu'on peut
même se dispenser de les voir ». Je l'engage à refaire le voyage
de la Hollande, ne fût-ce que pour visiter cette petite ville, ses
maisons et son église, un édifice très-remarquable, qui possède
des stalles sculptées, datant de la moitié du xvie siècle, et pou-
vant rivaliser avec les meilleurs produits de la Renaissance ita-
lienne et française.

Nous débarquons à Rotterdam, aux Boompjes (et non
Bompjes); l'auteur voit les façades des maisons pencher en avant
et en arrière et attribue ce fait à la nature mouvante du sol
marécageux. La vérité est que, dès le xvr siècle, les architectes
ont eu l'habitude de donner une certaine inclinaison aux façades
des maisons, afin de combattre l'infiltration des eaux pluviales
entre les joints de la maçonnerie. A Rotterdam une ordonnance
des magistrats a même rendu obligatoire cette inclinaison, et —
chose bizarre — à la fin du dernier siècle, les magistrats ne
comprenant sans doute plus les motifs de cette mesure, ont
publié une nouvelle ordonnance pour forcer les constructeurs à
pencher les façades non en avant, mais en arrière. Aujourd'hui
on élève les façades d'aplomb, mais les maçons ont soin de don-
ner une légère inclinaison à chaque assise.

La grande église remonte, selon M. Narjoux, au xvc siècle,
les voûtes datent de 1513. Ces dates sont exactes; mais il n'en
esc pas de même pour celle que l'auteur assigne au clocher qui,
selon lui, n'aurait été élevé qu'au xvne siècle. La tour a été
commencée en 1449 et terminée de 1547 à 155°- La flèche a été

renouvelée en 1619, démolie en 1642, et remplacée par un nou-
veau couronnement en 1645-1646. La tour a donc été réparée au
xvne siècle, assez grossièrement il est vrai, mais pas au point de
permettre le doute quant à l'origine du bâtiment. Il est inutile de
rappeler, comme le fait l'auteur, » que l'Ile-de-France voyait
s'élever les admirables cathédrales du xme siècle quand à peine
les races germaines commençaient à construire des arcs en tiers
point. » L'auteur n'a certes pas vu les églises de Ruremonde, de
Zutphen, de Deventer, de Groningue... ni songé à la cathédrale
de Cologne !

Il a bien vu une statue placée derrière le Musée Boymans,
mais l'inscription gravée sur le socle n'a été lue qu'en partie. Ce
monument a été élevé à la mémoire, non d'un certain magistrat
Gysberc Karel, mais de Gysbert Karel van Hogendorp, l'un des
fondateurs de l'indépendance des Pays-Bas, en 1813.

Pour prouver que l'amour des arts en Hollande n'a pas le
même succès qu'en France, il ne suffit pas de raconter que ni
Rotterdam, ni Amsterdam ne possèdent de théâtre. Ces villes en
ont plusieurs où l'on peut entendre des troupes hollandaises,
françaises et allemandes.

A La Haye, au Binnenhof (et non Binnenof), l'architecte s'ar-
rêce devant un édifice du xuie siècle, qu'il considère à tort comme
une ancienne chapelle, destination qui semble en contradiction
avec celle des deux tourelles, appelées « des guettes battant la
campagne ». Le fait est que cet édifice est l'ancien hall, la grande
salle du château des comtes de Hollande, et que les tourelles con-
tiennent les escaliers qui conduisent aux combles.

Il n'est pas juste de dire que les Hollandais n'aiment les
œuvres d'art de leurs musées que pour le produit qu'ils peuvent
en retirer, et que le public n'est admis dans les musées de La
Haye et d'Amsterdam que moyennant rétribution. Depuis cin-
quante ans l'entrée de tous les musées de l'Etat est gratuite. Mais
M. Narjoux a-t-il bien réellement tenté d'y pénétrer? j'en doute;
car il cite au Musée de La Haye certain Marché aux herbes de
Metsu, qu'il ne peut avoir rencontré qu'au Louvre.

Est-il entré dans la grande église de la Haye? j'en doute
également; il aurait pu voir que cet édifice n'est pas dénaturé, et,
qu'outre la tour, il a conservé les formes de son origine première
dans sa remarquable charpente et dans toutes ses autres parties.

L'hôtel de ville n'a pas subi d'importantes modifications vers
1730 ; cet édifice est rescé à peu près intact, comme il était à la
fin du xvie siècle. Le xvme s'est borné à y ajouter une aile.

L'auteur fait encore une légère violence à notre histoire
nationale en parlant de statues élevées au roi Guillaume Ie1' le
Taciturne. Nous avons eu un roi du nom de Guillaume Ier;
quant à Guillaume le Taciturne, auquel ont écé élevées les sta-
tues dont il s'agit, on croit généralement qu'il était prince
d'Orange-Nassau, stathouder des Provinces-Unies, et qu'il vivait
en Hollande avant l'établissement de la dynastie royale actuelle.

J'ajoute — puisque nous en sommes à étudier l'histoire —
que Barneveld Olden (que nous autres Hollandais, nous nous obs-
tinons à nommer Olden Barneveld) a écé exécuté et non assassiné,
en 1619 et non en 1617. Un écrivain américain nommé Mocley,
a parlé récemment de cet événement.

Après cela, pourquoi m'abstiendrais-je de faire un petit cours
de navigation maritime? Notre voyageur a vu des bateaux pê-
cheurs sur la plage de Scheveningen ; les palettes fixées sur les
plats-bords sont destinées, d'après lui, à diminuer les oscilla-
tions imprimées par le roulis. Cependant il doute que le moyen
soit bien efficace, et il a raison. Comment un tout petit bateau,
grand comme une coquille de noix éviterait-il le roulis au moyen
d'une palette rabattue? L'explication du mystère la voici : quand
on navigue avec des embarcations de médiocre grandeur armées

1. Paris, V1' Morel et C"', 1875.
Tome VI.

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