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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 2.1876 (Teil 3)

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Pougin, Arthur: Fêtes nationales en l'honneur de Rameau à Dijon
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https://doi.org/10.11588/diglit.16691#0251

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FÊTES NATIONALES EN L'HONNEUR DE RAMEAU

A DIJON

(Correspondanceparticulière de l'Art.)





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V



a France prendrait-elle enfin la bonne habitude
de glorifier par de grandes fêtes nationales la
mémoire de ses musiciens illustres, si longtemps
dédaignés par elle ? Cette coutume, depuis bien
des années populaire en Allemagne, a eu beaucoup
de peine à s'acclimater chez nous. On peuc espérer cependant que
sous ce rapport nous n'aurons bientôt plus rien à envier à nos
voisins, car les fêtes vraiment somptueuses que la ville de Dijon
vient de célébrer en l'honneur de Rameau et à l'occasion de
l'érection de sa statue, venant après la célébration du centenaire
de Boieldieu qui a eu lieu l'an passé à Rouen, sont de nature à
prouver aux plus réfractaires que nous sommes aussi aptes que
d'autres à consacrer comme il convient nos grandes gloires musi-
cales.

Cette fois encore on n'eût pu choisir un meilleur sujet, et la
noble et sévère figure de Rameau se prêtait merveilleusement à
une apothéose de ce genre. Rameau fut un novateur tout à la fois
comme théoricien et comme compositeur dramatique. Par son
Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels, il révolu-
tionna la théorie de cette science, et par ses opéras : Hippolyte
et Aricie. Castor et Pollux. les Fêtes d'Hébé, Dardanus, il re-
nouvela complètement la poétique du genre, fit oublier Lulli, et
prépara la réforme que Gluck devait opérer après lui. Bien que,
né à Dijon le 25 septembre 1683, ilne sesoit fixé définitivement à
Paris que vers 1717, bien qu'il n'ait abordé le théâtre que long-
temps après, le ier octobre 1733, c'est-à-dire alors qu'il venait
d'accomplir sa cinquantième année, il n'en devint pas moins le
premier compositeur dramatique de son temps, laissant bien
loin derrière lui tous les musiciens qui avaient alors l'oreille du
public, les Colasse, les Mouret, les Colin de Blamont, les Dau-
vergne, les Rebel et Francœur, les Desmarets, les Mondouville,
et donna à l'Opéra ou à la cour durant l'espace de vingt-cinq ans
plus de vingt ouvrages qui firent sa gloire et celle de la France
et qui furent bien accueillis même à l'étranger, à une époque où
pourtant la musique française traitée de barbare, surtout par les
Italiens, était loin d'y être en honneur. Et qu'on ne croie pas que
Rameau vainquit sans combattre, et que son génie fut incontesté !
Quelque éclatant que fût ce génie, il lui fallut au contraire s'im-
poser de haute lutte, et il eut sans cesse à se heurter contre la
routine et la paresse ordinaires, contre la sottise et l'ineptie des
ignorants qui, alors comme aujourd'hui, voulaient barrer le che-
min à un artiste intrépide, dont le plus grand défaut était de ne
point vouloir marcher dans les sentiers batcus et de suivre la doc-
trine saine et féconde de l'indépendance et de la liberté dans
l'art.

C'est à ce grand homme que sa ville natale vient enfin, après
plus d'un siècle écoulé, d'élever le bronze qu'il a si bien mérité.
Et comme si Rameau avait dû continuer à lutter, même après sa
mort, contre l'inertie et l'indifférence de quelques-uns, on a mis
quinze ans à exécuter ce projet généreux éclos dans le cerveau
d'un artiste dijonnais, M. Charles Poisot, compositeur aimable et
écrivain musical estimé. Voilà quinze ans en effet que M. Poisot
a conçu la pensée de faire ériger une statue à Rameau, que tous
ses efforts ont convergé vers ce but, que toute son énergie s'est
concentrée sur ce point, et que rien ne lui a coûté pour atteindre
ce résultat. M. Poisot a publié des notices sur Rameau, a rempli
des journaux d'une foule de détails sur son héros, a publié à nou-
veau des fragments de ses œuvres, a fait des conférences,] a

donné des concerts dont le produit était consacré par lui à l'œuvre
qu'il avait entreprise. Il est juste qu'on sache la part initiale et
très-importante qu'il a eue dans toute cette affaire, et il ne sera
pas inutile de remarquer non plus que M. Poisot, qui n'avait
rencontré sous l'empire que des obstacles sur son chemin, n'a
pu enfin réussir que sous le gouvernement de la république, qui
doit se faire honneur d'encourager de semblables iniciatives.

A côté de M. Poisot, il faut signaler les efforts de l'Institut
orphéonique français, dont le président, M. Léon Gastinel, com-
positeur distingué, ancien grand prix de Rome, Dijonnais aussi,
a pris une part active et intelligente à la préparation des fêtes de
Rameau. L'organisation musicale de ces fêtes, dans ce qu'elle a
présenté d'important et d'élevé, revient en grande partie à ces
deux artistes dévoués. Enfin il faut rendre aussi à la municipa-
lité de Dijon, à M. Enfert, maire de la ville et à ses excellents
collaborateurs, l'hommage qui leur est légitimement dû. Tous ont
fait de leur mieux, et ce mieux, qui a été parfait, donne la
mesure de ce qu'on peut espérer de la province, lorsqu'elle est
mise en éveil et en mouvement par une pensée noble, mâle et
généreuse.

En somme, les fêtes de Dijon, protégées et soutenues par un
temps admirable, ont été aussi brillantes qu'on le pouvait sou-
haiter et ont pu satisfaire jusqu'aux plus exigeants. Aussi, pendant
les quatre journées qui leur ont été consacrées (12, 13, 14 et
15 août) les étrangers n'ont-ils cessé d'affluer dans cette ville
élégante, qui a si bien conservé son vieux cachet d'ancienne ca-
pitale de la Bourgogne. Une singulière coïncidence a voulu que
ces fêtes se célébrassent juste au moment où les admirateurs
de M. Richard Wagner se réunissaient en Bavière, à Bayreuth,
à l'occasion de l'exécution de sa grande tétralogie. Il n'est
pas mauvais qu'en présence des efforts faits par ce grand
artiste qui se trouve malheureusement doublé d'un charlatan
émérite, la France ait rappelé au monde qu'elle avait donné le
jour à des musiciens devenus immortels et dont la gloire est
toujours rayonnante.

C'est dès le premier jour de ces fêtes nationales, le 12 août,
qu'a eu lieu l'inauguration de la statue du grand homme. Comme
Rameau, malgré le génie qu'il a déployé dans la composition de
la musique religieuse, n'a laissé ni une messe, ni une seule de
ses pièces d'orgue, et qu'on ne connaît de lui que trois motets
avec chœurs (retrouvés récemment par moi dans les manuscrits
de la Bibliothèque nationale), on avait dû choisir une messe d'un
autre artiste dijonnais pour être exécutée à la cathédrale. C'est
la quatrième messe de Dietsch, ancien maître de chapelle de la
Madeleine et ancien chef d'orchestre de l'Opéra, qui faisait les
frais de cette cérémonie. Cette œuvre intéressante a été exécutée
avec ensemble par la Société Chorale et la Société Philharmonique
de Dijon, sous la direction de M. Arthur Deroye, avec le con-
cours de la maîtrise et des élèves des écoles communales.

C'est ensuite qu'a eu lieu sur l'ancienne place du Théâtre,
devenue depuis le matin même place Rameau, en présence d'une
foule compacte, l'inauguration de la statue de l'auteur de Dar-
danus et de Castor et Pollux. Deux discours pleins d'intérêt onc
été prononcés en cette circonstance, l'un par M. Enfert, maire de
Dijon, l'autre par M. Charles Poisot, président de la commis-
sion d'organisation des fêtes. Puis le voile qui couvrait le mo-
nument a été écarté au milieu d'acclamations unanimes. La
statue, œuvre de M. Eugène Guillaume, directeur de l'Ecole des
 
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