42 L'ART.
comme à Bologne et à Rome., fut reçue à l'Académie de peinture, et exécuta à cette occasion un
des pastels que possède le Louvre (n° 187), une de ses plus charmantes productions.
Nous ne redirons pas tous ses succès pendant ses voyages en France, en Allemagne et à son
retour en Italie, où elle s'éteignit comblée de gloire, le avril 17^7, après avoir malheureuse-
ment perdu la vue une dizaine d'années auparavant. Elle avait quatre-vingt-deux ans quand elle
mourut. Sa vie, sauf les dernières années affligées par la cécité plus que par la vieillesse, n'avait
été qu'un long triomphe.
La Rosalba a peint plusieurs fois son portrait. D'après Alfred Sensier, le plus authentique
est celui de la galerie des portraits de peintres à Florence ; mais la composition n'en est pas des
plus heureuses. C'est ce qu'on peut appeler un portrait ennuyeux, trop solennel, trop académique.
Le portrait qui faisait partie de la galerie de feu M. le comte de Pourtalès-Gorgier (n° 330 du
catalogue de la vente, publié en i86j) est, aux yeux de Sensier « une des œuvres les plus
réussies de Rosalba ». Le portrait du musée de Dresde, dont nous avons pris copie, a suivant
nous l'avantage de concilier avec une authenticité indiscutable le charme d'une exécution très-
habile et d'une vitalité puissante.
Voici la description qu'en donne Alfred Sensier :
« La tête coiffée d'un bonnet de fourrure de loup-cervier à la polonaise, terminé par un
gland d'or retombant, n'a pas l'attrait d'une physionomie heureuse ; le visage est inquiet et
pensif. Une robe bleue enveloppée d'une grande pelisse de fourrure blanche et noire, laisse voir
le cou et la naissance de la poitrine. Le teint a passé, mais les traits sont restés fermes et
arrêtés, les yeux gris-bleu très-vifs, fixes et presque menaçants, la bouche serrée exprimant la
décision et la volonté. » (Page 476.)
C'est le portrait d'une femme mûre, pour ne pas dire plus, et d'une femme qui positivement
n'est pas belle. Si le teint a passé, en revanche, la joue droite est illustrée de petites stries
sanguines qui frisent la couperose, et que l'artiste a reproduites avec une exactitude qui atteste
non-seulement l'absence de toute coquetterie chez la femme et la sincérité de son œuvre, mais
encore la justesse de son instinct de coloriste, car au point de vue du peintre, ces tons rouges
ne font vraiment pas mal sur le fond terne d'un teint flétri.
Non certes, cette femme n'est pas belle; il est même probable qu'elle ne l'a jamais été. Il
n'en est pas moins vrai que c'est là un portrait séduisant, tant il y a de vitalité dans la physio-
nomie, de caractère dans les traits, de goût dans l'arrangement des étoffes et le choix des tons.
Le musée de Dresde ne possède pas moins de 163 pastels de la Rosalba. C'est beaucoup.
Parlons franchement, c'est trop, et l'on s'en fatigue d'autant plus vite que ces 163 pastels, achetés
du vivant de l'artiste par le comte de Bruhl pour son maître, Auguste III, électeur de Saxe, roi
de Pologne, un des plus enthousiastes admirateurs de la pastelliste vénitienne, sont en quelque
sorte empilés les uns sur les autres dans deux des compartiments latéraux du rez-de-chaussée du
musée. On a quelque peine à en garder le souvenir. Pourtant il faut faire exception pour le por-
trait du poète Métastase, et pour le portrait de l'artiste, deux morceaux de premier choix.
Un ami de la Rosalba, Alessandro Zanetti, appréciait en ces termes le talent de la célèbre
pastelliste : « ... Plus elle s'avançait dans la vie, plus on remarquait de chaleur et de vivacité
dans ses œuvres; les dernières égalaient en vigueur les tableaux à l'huile. Cette femme remar-
quable a porté le pastel à une si grande élévation qu'un professeur a pu dire d'elle, à juste titre,
que jamais aucun maître ne l'a surpassée, et qu'il est peu d'artistes qui aient pu l'atteindre. »
Bien que cet éloge émane d'un professeur, il y a beaucoup à en rabattre.
La vérité est que le talent de cette femme très-remarquable assurément était fait de facilité
dans la grâce et de séduction dans l'éclat. Quoi qu'en ait dit le professeur cité par Zanetti, il est
un maître qui l'a surpassée. Nous avons nommé notre compatriote Latour, le vrai maître du
genre. Mais l'œuvre de la Rosalba, qui d'ailleurs l'avait devancé, n'en conserve pas moins, à côté
de la sienne, un charme propre plus facile à subir qu'à définir, comme tout ce qui tient de l'éter-
nel féminin, artiste ou non.
J. B. Laurens.
comme à Bologne et à Rome., fut reçue à l'Académie de peinture, et exécuta à cette occasion un
des pastels que possède le Louvre (n° 187), une de ses plus charmantes productions.
Nous ne redirons pas tous ses succès pendant ses voyages en France, en Allemagne et à son
retour en Italie, où elle s'éteignit comblée de gloire, le avril 17^7, après avoir malheureuse-
ment perdu la vue une dizaine d'années auparavant. Elle avait quatre-vingt-deux ans quand elle
mourut. Sa vie, sauf les dernières années affligées par la cécité plus que par la vieillesse, n'avait
été qu'un long triomphe.
La Rosalba a peint plusieurs fois son portrait. D'après Alfred Sensier, le plus authentique
est celui de la galerie des portraits de peintres à Florence ; mais la composition n'en est pas des
plus heureuses. C'est ce qu'on peut appeler un portrait ennuyeux, trop solennel, trop académique.
Le portrait qui faisait partie de la galerie de feu M. le comte de Pourtalès-Gorgier (n° 330 du
catalogue de la vente, publié en i86j) est, aux yeux de Sensier « une des œuvres les plus
réussies de Rosalba ». Le portrait du musée de Dresde, dont nous avons pris copie, a suivant
nous l'avantage de concilier avec une authenticité indiscutable le charme d'une exécution très-
habile et d'une vitalité puissante.
Voici la description qu'en donne Alfred Sensier :
« La tête coiffée d'un bonnet de fourrure de loup-cervier à la polonaise, terminé par un
gland d'or retombant, n'a pas l'attrait d'une physionomie heureuse ; le visage est inquiet et
pensif. Une robe bleue enveloppée d'une grande pelisse de fourrure blanche et noire, laisse voir
le cou et la naissance de la poitrine. Le teint a passé, mais les traits sont restés fermes et
arrêtés, les yeux gris-bleu très-vifs, fixes et presque menaçants, la bouche serrée exprimant la
décision et la volonté. » (Page 476.)
C'est le portrait d'une femme mûre, pour ne pas dire plus, et d'une femme qui positivement
n'est pas belle. Si le teint a passé, en revanche, la joue droite est illustrée de petites stries
sanguines qui frisent la couperose, et que l'artiste a reproduites avec une exactitude qui atteste
non-seulement l'absence de toute coquetterie chez la femme et la sincérité de son œuvre, mais
encore la justesse de son instinct de coloriste, car au point de vue du peintre, ces tons rouges
ne font vraiment pas mal sur le fond terne d'un teint flétri.
Non certes, cette femme n'est pas belle; il est même probable qu'elle ne l'a jamais été. Il
n'en est pas moins vrai que c'est là un portrait séduisant, tant il y a de vitalité dans la physio-
nomie, de caractère dans les traits, de goût dans l'arrangement des étoffes et le choix des tons.
Le musée de Dresde ne possède pas moins de 163 pastels de la Rosalba. C'est beaucoup.
Parlons franchement, c'est trop, et l'on s'en fatigue d'autant plus vite que ces 163 pastels, achetés
du vivant de l'artiste par le comte de Bruhl pour son maître, Auguste III, électeur de Saxe, roi
de Pologne, un des plus enthousiastes admirateurs de la pastelliste vénitienne, sont en quelque
sorte empilés les uns sur les autres dans deux des compartiments latéraux du rez-de-chaussée du
musée. On a quelque peine à en garder le souvenir. Pourtant il faut faire exception pour le por-
trait du poète Métastase, et pour le portrait de l'artiste, deux morceaux de premier choix.
Un ami de la Rosalba, Alessandro Zanetti, appréciait en ces termes le talent de la célèbre
pastelliste : « ... Plus elle s'avançait dans la vie, plus on remarquait de chaleur et de vivacité
dans ses œuvres; les dernières égalaient en vigueur les tableaux à l'huile. Cette femme remar-
quable a porté le pastel à une si grande élévation qu'un professeur a pu dire d'elle, à juste titre,
que jamais aucun maître ne l'a surpassée, et qu'il est peu d'artistes qui aient pu l'atteindre. »
Bien que cet éloge émane d'un professeur, il y a beaucoup à en rabattre.
La vérité est que le talent de cette femme très-remarquable assurément était fait de facilité
dans la grâce et de séduction dans l'éclat. Quoi qu'en ait dit le professeur cité par Zanetti, il est
un maître qui l'a surpassée. Nous avons nommé notre compatriote Latour, le vrai maître du
genre. Mais l'œuvre de la Rosalba, qui d'ailleurs l'avait devancé, n'en conserve pas moins, à côté
de la sienne, un charme propre plus facile à subir qu'à définir, comme tout ce qui tient de l'éter-
nel féminin, artiste ou non.
J. B. Laurens.