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L'ART.
reproduits et que l'on trouve dans les e'glises du nord de l'Italie.
— École florentine du xvc siècle : Saint Jean-Baptiste enfant,
vu en buste et de' profil. C'est un morceau merveilleux, d'une
beauté étrange, hiératique. L'enfant, aux membres maigres, à
la bouche entr'ouverte, aux yeux sombres regardant le ciel, a
déjà l'extase du futur apôtre. On dirait qu'il entend la voix mys-
térieuse des anges lui prédire sa mission. Une bizarre clarté est
répandue sur sa tète et sur ses épaules nues. Le dessin est d'une
finesse, d'une précision admirables.
Les sept dessins déjà encadrés sont placés à la suite les uns
des autres. Voici la nomenclature : Grande feuille d'antipho-
nairc, de proportions plus grandes que d'ordinaire. Elle repré-
sente une lettre majuscule au milieu des entrelacements de feuilles
d'or, de verdure, et d'une scène de la Passion. — Prud'hon : des-
sin à la pierre noire rehaussé de blanc, pour le tableau célèbre
de l'Enlèvement de Psyché, qui appartint au comte de Somma-
riva. — Autre dessin de Prud'hon représentant Psyché qui con-
temple l'Amour endormi. — Géricault : Léda, dans un paysage,
repousse les caresses du cygne; Faune et jeune fille dans un pay-
sage.; Combat de cavaliers. —Marilhat: Caravane, dessin à la
sanguine relevée d'aquarelle.
Le réveil de i.a lithographie.—Voici une nouvelle qui
réjouira tous ceux qui ont à cœur les progrès de l'art et que
passionnent ses diverses manifestations. Le directeur des beaux-
arts vient d'obtenir du ministre, M. Bardoux, un projet qui
consiste à relever, au moyen de commandes, l'art de la litho-
graphie qui chaque jour se perd et s'oublie. Après avoir été en
France, durant plus de quarante ans, un instrument merveilleux
entre les mains de maîtres tels que Prud'hon, Géricault, H. Ver-
net, Charlet, Bonington, Delacroix, Paul Huet, Raftet, Devéria,
Gavarni, Daumier, etc., etc., et de traducteurs tels que Célestin
Nanteuil, Français, Mouillcron, Eug. Leroux, la lithographie
s'est vue tout à coup et sans aucune raison abandonnée. C'est à
peine si on voit encore aux Salons quelques rares artistes qui
lui soient restés fidèles.
Et pourtant quel art est plus français par les qualités qu'il
exige et par l'expression qui lui convient ? Un sentiment prompt
et clair, une certaine manière d'indiquer la pensée avec une ai-
mable concision, comme dans ces conversations où, de peur
d'ennuyer, on s'abstient de tout dire, une élégante prestesse
qui circonscrit l'effet voulu et lui donne toute son importance,
1. Voir l'Art. 2e année, tome FV, page 11S.
le charme d'une vision qui aurait des formes précises, voilà ce
que produisent les belles lithographies qui, il y a vingt-cinq ans
encore, remplissaient les recueils illustrés.
La lithographie, dès son invention,à la fin du siècle dernier,
parut aux artistes être uti instrument si souple, si simple, s'adap-
tant si intimement à la main qui s'en servait, reproduisant si exac-
tement les qualités particulières de chacun, que la plupart des
maîtres modernes l'ont employée. Prud'hon a fait ainsi passer
sur la pierre son exquise tendresse; Charlet, lui, exprima, par
sa touche large et vive, la gaieté grotesque de ses grognards et
poussa jusqu'au génie l'habileté à manier ce procédé. Sous la
main de Bonington, la lithographie a les grâces légères de l'aqua-
relle. Avec Gigoux, elle reproduit vigoureusement les portraits
d'Eug. Delacroix,de Gérard, des frères Johannot. Decamps se sert
de l'encre lithographique comme il ferait des couleurs, et ses
estampes empâtées, ardentes, semblent pétries de lumière,
tandis que celles de Flandrin, au contraire, ont la pâleur
solennelle d'une fresque religieuse.
Un art qui a été cultivé par de tels maîtres, et qui a eu tant
d'éclat, un art dont les services peuvent être d'une aussi grande
ressource, n'est pas condamné à disparaître. On peut être assuré
que l'heure de son réveil est proche. Il faut féliciter en tout cas
l'administration des beaux-arts de chercher enfin à hâter par ses
encouragements ce moment impatiemment attendu et qu'appe?
lait de tous ses vœux notre collaborateur Paul Leroi dans son
Salon de 1876'.
Voici la liste des commandes faites par M. de Chennevières
aux rares lithographes de notre temps. Les pierres seront
conservées soit à la direction des beaux-arts, soit à la chalco-
graphie.
M. Sirouy doit exécuter en lithographie le Plafond d'Eug.
Delacroix, qui est dans la galerie d'Apollon; M. Mouilleron, la
Bataille des Cimbres, de Decamps; M. Gilbert, la Jane Shore,
de M. Robert-Fleury, qui est au musée du Luxembourg:
M. Paul Flandrin, Jésus-Christ et les enfants, d'Hippolyte Flan-
drin; M. Français, l'admirable paysage de Théodore Rousseau,
qui est au musée du Luxembourg; M. Vernier, l'Angelus, de
J. F. Millet, qui fait partie de la précieuse collection de M. John
W. Wilson; M. Jules Laurens, la Glorification de saint Louis,
ce tiiste Cabanel qui est au Luxembourg; M. Chauvel, le
Campement, d'Eug. Fromentin, également au Luxembourg.
NECROLOGIE
— Un artiste de mérite, Joseph Bonomi, est mort à
Londres, le 3 mars, après une longue et laborieuse car-
rière. Né le 9 octobre 1796, il était le fils d'un architecte
distingué, lequel, renonçant à sa position d'architecte de
Saint-Pierre de Rome, était venu se fixer en Angleterre,
et a laissé sa trace dans l'architecture de ce pays. Sir Joshua
Reynolds l'appréciait tant, qu'il donna sa démission de pré-
sident de la Royal Academy pour protester contre la non-
élection de Bonomi comme membre. Bonomi le jeune fut
élève de la Royal Academy, et y obtint la médaille d'ar-
gent pour un dessin et un modèle d'après l'antique. Après
avoir travaillé dans l'atelier de Nollekens, le sculpteur, il
partit en 1823 pour Rome, où il rencontra Gibson. L'année
suivante, il se rend en Egypte et y fait provision d'un
nombre immense d'esquisses, pour la plupart acquises par
le British Muséum. En 1833, il voyage en Syrie et, chose
difficile alors, pousse jusqu'à Jérusalem. C'est lui qui pour
d'Omar. Revenu à Londres en 183S, il s'occupe pendant
plusieurs années de dessins pour des ouvrages importants,
tels que celui de Wilkinson sur les Égyptiens. En 1842, il
accompagne, en qualité de dessinateur, l'expédition scien-
tifique de Lepsius. En 1853, nous le trouvons travaillant
avec Owen Jones à l'ornementation de la cour égyptienne
du Palais de Cristal. En 1861, il est nommé curateur du
musée de Sir John Soane, à Lincoln's Inn Fields, poste
qu'il remplit jusqu'à sa mort. 11 serait impossible d'énu-
mérer tous les services qu'il a rendus à l'égyptologie, non-
seulement comme artiste, mais aussi comme savant. On
consultera longtemps ses dessins irréprochables, d une
exactitude en quelque sorte implacable, son Niniveh and
ils Palaces (Ninive et ses palais), ses Proportions of the
human Figure (les Proportions de la figure humaine). Les
journaux anglais consacrent de longs articles à cet homme
distingué dont ils sont unanimes à vanter le caractère,
la première fois dessina d'une façon exacte la mosquée ! l'inaltérable bonté et l'exquise obligeance.
Le Directeur-Gérant, EUGÈNE VÉRON.
L'ART.
reproduits et que l'on trouve dans les e'glises du nord de l'Italie.
— École florentine du xvc siècle : Saint Jean-Baptiste enfant,
vu en buste et de' profil. C'est un morceau merveilleux, d'une
beauté étrange, hiératique. L'enfant, aux membres maigres, à
la bouche entr'ouverte, aux yeux sombres regardant le ciel, a
déjà l'extase du futur apôtre. On dirait qu'il entend la voix mys-
térieuse des anges lui prédire sa mission. Une bizarre clarté est
répandue sur sa tète et sur ses épaules nues. Le dessin est d'une
finesse, d'une précision admirables.
Les sept dessins déjà encadrés sont placés à la suite les uns
des autres. Voici la nomenclature : Grande feuille d'antipho-
nairc, de proportions plus grandes que d'ordinaire. Elle repré-
sente une lettre majuscule au milieu des entrelacements de feuilles
d'or, de verdure, et d'une scène de la Passion. — Prud'hon : des-
sin à la pierre noire rehaussé de blanc, pour le tableau célèbre
de l'Enlèvement de Psyché, qui appartint au comte de Somma-
riva. — Autre dessin de Prud'hon représentant Psyché qui con-
temple l'Amour endormi. — Géricault : Léda, dans un paysage,
repousse les caresses du cygne; Faune et jeune fille dans un pay-
sage.; Combat de cavaliers. —Marilhat: Caravane, dessin à la
sanguine relevée d'aquarelle.
Le réveil de i.a lithographie.—Voici une nouvelle qui
réjouira tous ceux qui ont à cœur les progrès de l'art et que
passionnent ses diverses manifestations. Le directeur des beaux-
arts vient d'obtenir du ministre, M. Bardoux, un projet qui
consiste à relever, au moyen de commandes, l'art de la litho-
graphie qui chaque jour se perd et s'oublie. Après avoir été en
France, durant plus de quarante ans, un instrument merveilleux
entre les mains de maîtres tels que Prud'hon, Géricault, H. Ver-
net, Charlet, Bonington, Delacroix, Paul Huet, Raftet, Devéria,
Gavarni, Daumier, etc., etc., et de traducteurs tels que Célestin
Nanteuil, Français, Mouillcron, Eug. Leroux, la lithographie
s'est vue tout à coup et sans aucune raison abandonnée. C'est à
peine si on voit encore aux Salons quelques rares artistes qui
lui soient restés fidèles.
Et pourtant quel art est plus français par les qualités qu'il
exige et par l'expression qui lui convient ? Un sentiment prompt
et clair, une certaine manière d'indiquer la pensée avec une ai-
mable concision, comme dans ces conversations où, de peur
d'ennuyer, on s'abstient de tout dire, une élégante prestesse
qui circonscrit l'effet voulu et lui donne toute son importance,
1. Voir l'Art. 2e année, tome FV, page 11S.
le charme d'une vision qui aurait des formes précises, voilà ce
que produisent les belles lithographies qui, il y a vingt-cinq ans
encore, remplissaient les recueils illustrés.
La lithographie, dès son invention,à la fin du siècle dernier,
parut aux artistes être uti instrument si souple, si simple, s'adap-
tant si intimement à la main qui s'en servait, reproduisant si exac-
tement les qualités particulières de chacun, que la plupart des
maîtres modernes l'ont employée. Prud'hon a fait ainsi passer
sur la pierre son exquise tendresse; Charlet, lui, exprima, par
sa touche large et vive, la gaieté grotesque de ses grognards et
poussa jusqu'au génie l'habileté à manier ce procédé. Sous la
main de Bonington, la lithographie a les grâces légères de l'aqua-
relle. Avec Gigoux, elle reproduit vigoureusement les portraits
d'Eug. Delacroix,de Gérard, des frères Johannot. Decamps se sert
de l'encre lithographique comme il ferait des couleurs, et ses
estampes empâtées, ardentes, semblent pétries de lumière,
tandis que celles de Flandrin, au contraire, ont la pâleur
solennelle d'une fresque religieuse.
Un art qui a été cultivé par de tels maîtres, et qui a eu tant
d'éclat, un art dont les services peuvent être d'une aussi grande
ressource, n'est pas condamné à disparaître. On peut être assuré
que l'heure de son réveil est proche. Il faut féliciter en tout cas
l'administration des beaux-arts de chercher enfin à hâter par ses
encouragements ce moment impatiemment attendu et qu'appe?
lait de tous ses vœux notre collaborateur Paul Leroi dans son
Salon de 1876'.
Voici la liste des commandes faites par M. de Chennevières
aux rares lithographes de notre temps. Les pierres seront
conservées soit à la direction des beaux-arts, soit à la chalco-
graphie.
M. Sirouy doit exécuter en lithographie le Plafond d'Eug.
Delacroix, qui est dans la galerie d'Apollon; M. Mouilleron, la
Bataille des Cimbres, de Decamps; M. Gilbert, la Jane Shore,
de M. Robert-Fleury, qui est au musée du Luxembourg:
M. Paul Flandrin, Jésus-Christ et les enfants, d'Hippolyte Flan-
drin; M. Français, l'admirable paysage de Théodore Rousseau,
qui est au musée du Luxembourg; M. Vernier, l'Angelus, de
J. F. Millet, qui fait partie de la précieuse collection de M. John
W. Wilson; M. Jules Laurens, la Glorification de saint Louis,
ce tiiste Cabanel qui est au Luxembourg; M. Chauvel, le
Campement, d'Eug. Fromentin, également au Luxembourg.
NECROLOGIE
— Un artiste de mérite, Joseph Bonomi, est mort à
Londres, le 3 mars, après une longue et laborieuse car-
rière. Né le 9 octobre 1796, il était le fils d'un architecte
distingué, lequel, renonçant à sa position d'architecte de
Saint-Pierre de Rome, était venu se fixer en Angleterre,
et a laissé sa trace dans l'architecture de ce pays. Sir Joshua
Reynolds l'appréciait tant, qu'il donna sa démission de pré-
sident de la Royal Academy pour protester contre la non-
élection de Bonomi comme membre. Bonomi le jeune fut
élève de la Royal Academy, et y obtint la médaille d'ar-
gent pour un dessin et un modèle d'après l'antique. Après
avoir travaillé dans l'atelier de Nollekens, le sculpteur, il
partit en 1823 pour Rome, où il rencontra Gibson. L'année
suivante, il se rend en Egypte et y fait provision d'un
nombre immense d'esquisses, pour la plupart acquises par
le British Muséum. En 1833, il voyage en Syrie et, chose
difficile alors, pousse jusqu'à Jérusalem. C'est lui qui pour
d'Omar. Revenu à Londres en 183S, il s'occupe pendant
plusieurs années de dessins pour des ouvrages importants,
tels que celui de Wilkinson sur les Égyptiens. En 1842, il
accompagne, en qualité de dessinateur, l'expédition scien-
tifique de Lepsius. En 1853, nous le trouvons travaillant
avec Owen Jones à l'ornementation de la cour égyptienne
du Palais de Cristal. En 1861, il est nommé curateur du
musée de Sir John Soane, à Lincoln's Inn Fields, poste
qu'il remplit jusqu'à sa mort. 11 serait impossible d'énu-
mérer tous les services qu'il a rendus à l'égyptologie, non-
seulement comme artiste, mais aussi comme savant. On
consultera longtemps ses dessins irréprochables, d une
exactitude en quelque sorte implacable, son Niniveh and
ils Palaces (Ninive et ses palais), ses Proportions of the
human Figure (les Proportions de la figure humaine). Les
journaux anglais consacrent de longs articles à cet homme
distingué dont ils sont unanimes à vanter le caractère,
la première fois dessina d'une façon exacte la mosquée ! l'inaltérable bonté et l'exquise obligeance.
Le Directeur-Gérant, EUGÈNE VÉRON.