FRA FILIPPO LIPPI
es conversations hors de la pré-
sence d'un importun témoin firent
Ta^ insensiblement naître entre eux
C une intimité plus grande, et il
1 paraît assez naturel que Lucrezia
n'ait pas tardé à raconter à Fra
Filippo son entrée au couvent, sa
prise de voile, ses vœux solennels
prononcés contre son gré, et à
lui faire délicatement entendre
qu'elle s'évaderait volontiers, si
elle trouvait quelqu'un pour l'y
aider.
Le moine, rusé de sa nature,
et très-expert dans les aventures
amoureuses, se mit à penser aux
moyens de satisfaire son propre
désir ainsi que celui de Lucrèce.
Il lui sembla qu'il n'y avait pas
de moment ni de condition plus
favorables que les fêtes de la
Sacra Cintola \ que l'on célébrait
tous les ans à Prato le icr mai
avec une grande solennité et au
milieu d'un grand concours de
population. Sachant que les re-
ligieuses de Sainte - Marguerite
allaient voir ce jour-là l'exposition de la sainte relique, il résolut de saisir cette occasion pour
enlever Lucrezia. Au plus fort de la foule et de la confusion, Fra Filippo, échappant à l'attention
des autres religieuses, toutes absorbées par la cérémonie, détourna Lucrèce de leur groupe, et
vivement la conduisit dans sa maison, où plus tard devait naître Filippino, non moins célèbre
dans la peinture que son père.
En vérité, il semble presque incroyable qu'un moine, ni jeune, ni beau, et même laid., si l'on
regarde ses portraits, ait eu assez d'empire sur l'âme de Lucrezia pour la déterminer non-seule-
ment à s'enfuir du couvent, mais encore à accepter un asile dans sa maison. Mais n'oublions pas
que, chez une femme jeune et sans expérience, toute retenue et toute honte devant une résolution
périlleuse devaient céder au vif désir de s'arracher à une vie qui lui était devenue insupportable
au plus haut degré. Vasari dit, à propos de ce fait, que Francesco, père de Lucrezia, en conçut
tant de chagrin que « dès lors il n'eut plus un moment de gaieté et qu'il fit tout pour ravoir sa
La Mercede ai Co l t i v a to r i 2.
Lettre tirée de l'un des Corali de la sacristie du dôme de Sienne.
Dessin de Niccola Sanesî, d'après la miniature de Libérale da \ erona.
i. Voir Y Art, }* année, tome IV, page 289.
1. Le sujet de cette composition est la parabole de l'Évangile : les ouvriers de la dernière heure.
}. La ceinture de la Vierge.
es conversations hors de la pré-
sence d'un importun témoin firent
Ta^ insensiblement naître entre eux
C une intimité plus grande, et il
1 paraît assez naturel que Lucrezia
n'ait pas tardé à raconter à Fra
Filippo son entrée au couvent, sa
prise de voile, ses vœux solennels
prononcés contre son gré, et à
lui faire délicatement entendre
qu'elle s'évaderait volontiers, si
elle trouvait quelqu'un pour l'y
aider.
Le moine, rusé de sa nature,
et très-expert dans les aventures
amoureuses, se mit à penser aux
moyens de satisfaire son propre
désir ainsi que celui de Lucrèce.
Il lui sembla qu'il n'y avait pas
de moment ni de condition plus
favorables que les fêtes de la
Sacra Cintola \ que l'on célébrait
tous les ans à Prato le icr mai
avec une grande solennité et au
milieu d'un grand concours de
population. Sachant que les re-
ligieuses de Sainte - Marguerite
allaient voir ce jour-là l'exposition de la sainte relique, il résolut de saisir cette occasion pour
enlever Lucrezia. Au plus fort de la foule et de la confusion, Fra Filippo, échappant à l'attention
des autres religieuses, toutes absorbées par la cérémonie, détourna Lucrèce de leur groupe, et
vivement la conduisit dans sa maison, où plus tard devait naître Filippino, non moins célèbre
dans la peinture que son père.
En vérité, il semble presque incroyable qu'un moine, ni jeune, ni beau, et même laid., si l'on
regarde ses portraits, ait eu assez d'empire sur l'âme de Lucrezia pour la déterminer non-seule-
ment à s'enfuir du couvent, mais encore à accepter un asile dans sa maison. Mais n'oublions pas
que, chez une femme jeune et sans expérience, toute retenue et toute honte devant une résolution
périlleuse devaient céder au vif désir de s'arracher à une vie qui lui était devenue insupportable
au plus haut degré. Vasari dit, à propos de ce fait, que Francesco, père de Lucrezia, en conçut
tant de chagrin que « dès lors il n'eut plus un moment de gaieté et qu'il fit tout pour ravoir sa
La Mercede ai Co l t i v a to r i 2.
Lettre tirée de l'un des Corali de la sacristie du dôme de Sienne.
Dessin de Niccola Sanesî, d'après la miniature de Libérale da \ erona.
i. Voir Y Art, }* année, tome IV, page 289.
1. Le sujet de cette composition est la parabole de l'Évangile : les ouvriers de la dernière heure.
}. La ceinture de la Vierge.