I e Mont-Saint-Michel, v ue prise d'A vranches.— Dessin de Léon Gaucherel, gravure de Puyplat.
LE MONT-SAINT-MICHEL
i
Quand, après avoir parcouru vingt lieues de ce bocage normand, si
pittoresque avec ses bouquets d'arbres, ses haies vives, ses cultures aussi
fertiles que variées, par lesquelles s'atteste la puissance de son incomparable
végétation, le voyageur arrive à l'extrémité du cap dont la jolie ville
d'Avranches est le couronnement, il a devant les yeux un spectacle dont la
grandeur et la beauté saisissent également son âme et ses yeux.
A droite, les côtes de la Manche, à gauche, celles de la Bretagne, se
reculent, se creusent et s'élargissent pour former une baie immense, sans
limites, tour à tour désert de sable et désert d'eau ; large plaine qui, deux
fois par jour, devient un océan. La vague, que le jusant remporte à plu-
sieurs lieues de distance et que l'on ne voit plus du rivage, se précipite à
de l'Abbaye du Mont-saint-Michei l'heure du flux dans cet espace sans bornes avec une telle rapidité que l'on
en 1642 1. , ,
ne peut plus éviter son atteinte. Remontant par le lit toujours ouvert
d'innombrables ruisseaux et de ces trois rivières qui s'appellent la Sée, la Sélunce et le Couesnon,
elle s'avance de vingt côtés à la fois, vous rejoint, vous devance et vous barre le passage. De
minute en minute, de vastes espaces sont successivement submergés. Ecumant et se gonflant, la
vague s'entasse sur la vague : le sol s'évanouit ; le rivage semble fuir, et partout c'est la mer, —
mer dangereuse, terrible, implacable, dont les courants s'entre-croisent avec une véritable fureur,
et dont les lames s'entre-choquent, brisant le navire et submergeant le nageur.
A l'heure du reflux, l'aspect de la grève n'est pas moins saisissant. Sa couleur grise, terne
ou argentée, n'a rien qui arrête et retienne le regard; il glisse sur elle-sans trouver où se
retirer et se poser, et il va plus loin, toujours plus loin, jusqu'à ce qu'il se perde dans l'infini.
Je me trompe!
Au milieu de cette morne solitude, à trois lieues environ de la ville d'où nous la contem-
plons, une montagne jaillit de la profondeur des sables ou de l'abîme des flots, pareille à une
fusée de granit, — puis, tronquée tout à coup, et comme écrasée par la pyramide monumentale
1. Gravure tirée de la Description de l'Abbaye du Mont Saint-Michel, etc., par Edouard'Corroyer, architecte du gouvernement.
Tome XII. 51
LE MONT-SAINT-MICHEL
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Quand, après avoir parcouru vingt lieues de ce bocage normand, si
pittoresque avec ses bouquets d'arbres, ses haies vives, ses cultures aussi
fertiles que variées, par lesquelles s'atteste la puissance de son incomparable
végétation, le voyageur arrive à l'extrémité du cap dont la jolie ville
d'Avranches est le couronnement, il a devant les yeux un spectacle dont la
grandeur et la beauté saisissent également son âme et ses yeux.
A droite, les côtes de la Manche, à gauche, celles de la Bretagne, se
reculent, se creusent et s'élargissent pour former une baie immense, sans
limites, tour à tour désert de sable et désert d'eau ; large plaine qui, deux
fois par jour, devient un océan. La vague, que le jusant remporte à plu-
sieurs lieues de distance et que l'on ne voit plus du rivage, se précipite à
de l'Abbaye du Mont-saint-Michei l'heure du flux dans cet espace sans bornes avec une telle rapidité que l'on
en 1642 1. , ,
ne peut plus éviter son atteinte. Remontant par le lit toujours ouvert
d'innombrables ruisseaux et de ces trois rivières qui s'appellent la Sée, la Sélunce et le Couesnon,
elle s'avance de vingt côtés à la fois, vous rejoint, vous devance et vous barre le passage. De
minute en minute, de vastes espaces sont successivement submergés. Ecumant et se gonflant, la
vague s'entasse sur la vague : le sol s'évanouit ; le rivage semble fuir, et partout c'est la mer, —
mer dangereuse, terrible, implacable, dont les courants s'entre-croisent avec une véritable fureur,
et dont les lames s'entre-choquent, brisant le navire et submergeant le nageur.
A l'heure du reflux, l'aspect de la grève n'est pas moins saisissant. Sa couleur grise, terne
ou argentée, n'a rien qui arrête et retienne le regard; il glisse sur elle-sans trouver où se
retirer et se poser, et il va plus loin, toujours plus loin, jusqu'à ce qu'il se perde dans l'infini.
Je me trompe!
Au milieu de cette morne solitude, à trois lieues environ de la ville d'où nous la contem-
plons, une montagne jaillit de la profondeur des sables ou de l'abîme des flots, pareille à une
fusée de granit, — puis, tronquée tout à coup, et comme écrasée par la pyramide monumentale
1. Gravure tirée de la Description de l'Abbaye du Mont Saint-Michel, etc., par Edouard'Corroyer, architecte du gouvernement.
Tome XII. 51