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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 4.1878 (Teil 1)

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Rousseau, Jean: L' oeuvre de Rubens en Espagne
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https://doi.org/10.11588/diglit.16908#0237

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L'ŒUVRE DE RUBENS EN ESPAGNE. 203

Enfin, une quatrième merveille est le tableau du Serpent d'airain. Rubens n'a pas de tableaux
d'un dessin plus nerveux, d'une peinture plus nourrie et plus travaillée, d'un sentiment plus
profond et plus dramatique, d'un effet plus saisissant. La peinture ressemble un peu à un Jordaens
par l'intensité du ton et l'énergie des empâtements. Mais la fierté du dessin, la légèreté souve-
raine de la touche, la beauté frappante de la composition, le rendent à Rubens; on dirait qu'il a
voulu donner une leçon à son confrère dans sa propre-manière. Point de plus admirable sentiment,
point de plus touchante poésie que celle de la mourante qu'on amène au pied du serpent d'airain,
la tête renversée en arrière, les bras pendants. Ce visage pâle et convulsé est un chef-d'œuvre
d'expression, de douleur et de ferveur. Voyez encore, dans le même genre de beauté, le profil de
l'homme qui tend les deux mains au prophète. Toutes les mains sont élégantes. Les deux pro-
phètes, aux pieds desquels se prosterne la foule des suppliants, sont fiers, farouches, menaçants
comme l'image même des vengeances divines ; leur tête semble avoir pour fond une nuée d'orage,
tandis que le groupe des suppliants se silhouette sur un ciel clair, remarquablement mouvementé.

Dans quelle catégorie —■ entre le genre et l'histoire — classerons-nous l'admirable tableau
qui nous montre le Comte de Habsbourg et son écuyer prêtant leurs chevaux à un prêtre et à
son sacristain, qui s'en vont nuitamment porter le viatique à un malade ? En fait, la nuit n'est
pas encore là ; les derniers rayons du crépuscule dorent les nuages du fond, mais l'obscurité vient,
et qui pis est, l'orage ; et le comte et son serviteur, tête nue, ont pris leurs chevaux par la bride
pour les aider à traverser un gué qui coule à l'avant-plan du tableau. Voilà un de ces simples
thèmes anecdotîques qui servent d'aliment au petit genre, mais relevé ici par quelle puissance de
style et quelle maestria d'exécution ! L'incomparable grandeur de Rubens éclate dans chaque
détail, dans la magnifique tournure des deux groupes équestres, dans l'arbre renversé par la
foudre qui encombre de sa farouche silhouette un coin du tableau, dans la mise en scène hardie
qui enferme un espace d'un mille dans ce petit tableau et qui nous montre à la fois l'humble
église du village d'où sort le prêtre et l'obscure chaumière où il se rend. La couleur, avec des
oppositions de clair et d'ombre à la fois très-mordantes et très-calmes, est admirable, et l'exécu-
tion, pas très-empâtée, mais très-virilement accentuée, est superbe.

Une fort belle série de petits Rubens, qui vient compléter ces grands thèmes religieux, est
celle de ses Allégories sacrées. Cela ne forme, à la vérité, qu'une série d'esquisses très-terminées ;
mais elles sont d'autant plus précieuses que les grands tableaux auxquels elles ont servi de point
de départ sont perclus et que ceux-ci ont toujours figuré parmi les ouvrages les plus considérables
et les plus populaires de Rubens. Il s'agit des tableaux que Rubens fit, à la demande de Philippe IV,
pour être exécutés en tapisseries, et que le roi donna au duc d'Orléans, qui en fit cadeau à son
tour au couvent de Lceches. Dans le nombre figure ce fameux Triomphe de la Foi catholique
que la gravure a popularisé et dont on a fait un nombre infini de copies, dont plusieurs existent
encore à l'heure qu'il est dans plusieurs églises de la Belgique. Les esquisses de ces peintures
célèbres, au musée de Madrid, sont cataloguées comme appartenant simplement à 1' « école » de
Rubens. Il y a tout lieu de croire pourtant qu'elles font partie de la série des esquisses originales
qui se trouvaient autrefois réunies au Palacio Nuevo et dont quelques-unes ont passé en Angle-
terre à l'époque de la Restauration. Ce qu'on ne peut contester, c'est qu'elles sont de la facture
la plus magistrale, à commencer par la plus importante, le Triomphe de la Foi catholique, très-
supérieure au tableau en grand qui décore le musée du Louvre. Pas un détail de cette splendide
composition qui ne soit charmant, — la grave et fière figure assise sur le char, qui représente la
Foi, — le beau quadrige blanc qui l'emporte, — la femme en draperie volante d'une si superbe
allure, qui le conduit, — l'espèce de Victoire chrétienne blanche et rose, en draperie jaune faible,
qui tient la palme et la couronne; le bel écuyer qui accompagne le triomphe, et jusqu'au ravis-
sant petit génie qui aiguillonne les chevaux.

Le musée de Madrid a aussi des portraits de Rubens, et dans le nombre deux magnifiques
portraits équestres. L'un est l'archiduc Ferdinand d'Autriche ; l'autre représente Philippe II, qui
était mort depuis trente ans quand Rubens s'est fait son portraitiste, et qu'il ressuscite sous des
traits d'une grâce et d'une fierté idéales. L'histoire protestera contre cette flatterie, mais l'art y
 
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