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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 4.1878 (Teil 1)

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Rousseau, Jean: L' oeuvre de Rubens en Espagne
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https://doi.org/10.11588/diglit.16908#0242

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L'ŒUVRE DE RUBENS EN ESPAGNE. 207

esquisses, dont quelques-unes, chose curieuse, ont évidemment servi de modèle pour les grands
tableaux du Musée royal qui sont, nous l'avons dit, des élèves du maître. Si ces reproductions
en grand étaient abandonnées à des apprentis, c'est qu'elles étaient destinées sans doute par
Rubens à servir de modèles pour des tapisseries; c'est aussi la version courante. Mais ces
esquisses, enlevées à grands coups de brosse, et qui n'ont dû coûter que quelques heures de
travail chacune, ont cela de précieux qu'on y lit, — plus couramment que dans le tableau le plus
fini, — les procédés d'exécution du maître, sa facture fluide et noyée dans les huiles, sa façon
d'arrêter les formes par quelques accentuations brèves et décisives, ses ombres bornées à des
frottis légers, etc. On ne peut voir d'échantillons plus instructifs ni plus éblouissants de sa verve
merveilleuse, de son incomparable dextérité de main. Ces pochades, à défaut de toute œuvre
plus complète, suffiraient à le faire reconnaître pour le roi des exécutants. Elles sont, en général,
de très-petite dimension.

11 convient de citer à part une grande esquisse de ce Jardin d'amour dont les musées de
Dresde et de Madrid se disputent la gloire d'avoir l'original. Nous n'hésitons pas à dire que la
plus admirable variante du Jardin d'amour est celle que possède le duc de Pastrana1. Nous ajou-
terons même qu'il n'existe peut-être pas de tableau que Rubens ait plus caressé que celui-là, ni
où il ait poussé plus loin toutes les beautés de l'exécution, la magie de la coloration, la fermeté
et la délicatesse du modelé, les finesses du dessin, les poésies de l'expression. Cette variante du
Jardin d'amour diffère des autres, dont les gravures sont connues, — par quelques détails seule-
ment, mais par des détails essentiels : la mise en scène, bien que suivant le même ordre dans ses
groupes divers, paraît distribuée avec plus de liberté; la composition, moins entassée, est plus
heureuse et plus pittoresque. La figure de la fontaine du fond, assise ailleurs, est debout ici ; les
Amours volent plus haut et plus loin, perdus dans les épaisses frondaisons, presque invisibles; les
enfants d'en bas sont vraiment un idéal de fraîcheurs et de blancheurs, de chairs vivantes et
palpitantes. Tout charme ; ce sont tous les bonheurs du ton et de la facture. La belle dame du
centre du tableau porte une vraie robe d'or, éblouissante. Une autre assise, écoutant un Amour,
vêtue d'une soie rose et jaune aux tons changeants, est un type d'une grâce indescriptible, adorable
de finesse et d'esprit. Les figures sont d'une élégance plus raffinée que dans le tableau, les
expressions d'un sentiment plus passionné. Voyez plutôt la jeune femme qui se renverse en arrière
au second plan, et le charmant cavalier qui semble se coucher si amoureusement aux pieds de sa
maîtresse. Ce qu'on ne s'explique pas, c'est que cette peinture si étudiée, et où les moindres
détails des têtes sont travaillés avec un soin exquis, soit inachevée.

Nous ne quitterons pas Madrid sans dire un mot d'un autre Rubens d'une importance
capitale, dont peu de voyageurs soupçonnent l'existence, et qu'on n'est d'ailleurs admis à visiter
que sur une permission particulière. Celui-ci se trouve à la manufacture royale des tapis, hors la
porte Santa Barbara, manufacture historique comme celle des Gobelins, la même qui a servi de
sujet ou, si l'on veut, de prétexte à l'admirable tableau de Vélasquez, les Fileuses. Quant à notre
Rubens, si peu de gens l'ont vu, tout le monde le connaît par la gravure de Clouet. Il représente
le Martyre de saint André, et provient directement du couvent pour lequel il avait été fait. Il
appartient à l'élite des grands ouvrages du grand peintre par le soin extraordinaire et la beauté
magistrale de l'exécution; il est rare de voir Rubens contenir l'exubérance ordinaire de son dessin
dans des formes aussi nobles et aussi fières, et calmer les fanfares habituelles de sa couleur pour
adopter une harmonie si sévère et si conforme au ton véritable de la tragédie.

Il y a, au musée de Madrid, un tableau bizarre qui dit tout le prestige que Rubens exerça
sur l'école espagnole. Ce tableau est de Luca Giordano. C'est une grande allégorie destinée à
célébrer les Bienfaits de la paix. La figure principale de cette vaste composition, le personnage
qui attire tous les yeux, c'est Rubens lui-même, assis comme un roi au centre du tableau, sa

1. N° 457 du Catalogue raisonné de Smith, tome II. Le Jardin d'amour du Musco de! Prado, à Madrid, est inscrit au n° 576 du Catalogue
raisonné de Smith, tome II. Bien que reconnue avec raison pour un des chefs-d'œuvre de Rubens, cette toile importante est loin d'égaler
l'incomparable merveille, simple tableau de chevalet, qui de la collection du duc dell' lnfantado est entrée dans le précieux cabinet du duc de
Pastrana. C'est l'idée première du maître, le véritable original du Jardin d'amour, comme le constate Smith, dans son Catalogue raisonné,
tome II, page 167.
 
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