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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 4.1878 (Teil 1)

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Énault, Louis: Le Mont-Saint-Michel, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.16908#0313

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274 L'ART.

Chevaliers servit pour les repas de corps des héros qui avaient choisi le grand archange comme
patron; pour leurs conseils de guerre; pour leurs veillées d'armes; enfin, pour leurs exercices
d'escrime, et pour la réception des nouveaux chevaliers.

Louis XI, qui avait, comme on sait, le génie de la réglementation, voulut, en créant l'ordre
de Saint-Michel, que chaque année, le 29 septembre, c'est-à-dire à la fête de l'archange, il fût
tenu dans cette salle un chapitre de chevaliers. Les cérémonies commençaient dès la veille; les
chevaliers assistaient aux vêpres, portant des capuchons cramoisis et de longs manteaux de damas,
fourrés d'hermine, bordés d'or, et ornés de coquilles d'argent. Le lendemain, ils entendaient la
messe dans le même costume ; puis ils se rendaient dans cette Salle des Chevaliers, et un festin
plantureux terminait la fête. Chaque chevalier, au moment de son investiture, recevait du roi le
collier d'or, orné de coquilles et d'un médaillon représentant la lutte de l'archange et du démon,
avec cette belle et poétiqueNievise : Immensi tremor Oceani! La Salle des Chevaliers avait une
décoration héraldique vraiment splendide : des stalles en bois sculpté, des écus, des bannières,
des trophées, et les armes de tous les chevaliers de l'ordre, depuis sa création jusqu'à l'institution
par Henri III de l'ordre du Saint-Esprit, qui prit la première place dans la faveur du monarque,
et devint le but des plus ardentes visées des courtisans. Chacune des stalles de la Salle des Che-
valiers était sommée par les casques et le cimier de son titulaire. C'étaient, de tous les côtés de
la salle, de longues files de flammes et de pennons, de boucliers blasonnés, de casques et de
lambrequins aux plus vives couleurs,* d'un effet pittoresque qu'aucune parole ne'saurait rendre.
On eût dit vraiment que toute la pompe féodale de l'ancienne France s'était réfugiée dans cette
noble galerie. Nous l'avons vue, sous le règne de Louis-Philippe, convertie en atelier péniten-
tiaire : les voleurs et les escrocs succédaient aux hauts barons ; des métiers de tisserands rempla-
çaient les stalles blasonnées; les héros du bagne méditaient des crimes là où les héros des champs
de bataille avaient raconté leurs exploits, et il n'y avait plus dans la Salle des Chevaliers que
des chevaliers d'industrie.

Un escalier intérieur conduit de cette salle à la merveille de la Merveille; je veux dire au
Cloître de l'abbaye.

Il semble que le cloître soit l'essence même du monastère, comme il en est la plus haute
expression synthétique, et pourtant le cloître manqua pendant plusieurs siècles à l'abbaye du
Mont-Saint-Michel. Ce fut Raoul de Villedieu qui l'en dota en 1228, c'est-à-dire à la plus belle
époque de l'architecture ogivale, dont on chercherait vainement ailleurs une production plus
poétique ou plus gracieuse.

Avec ce cloître pour couronnement, la portion occidentale de la Merveille semble présenter à
nos yeux l'arbre gothique tout entier ; la Montgommerie en est la racine vigoureuse ; la Salle des
Chevaliers, le tronc fort et puissant ; le Cloître, la fleur épanouie et radieuse. La magnificence de
son ornementation, la légèreté de son style, sa situation aérienne, en font un objet sans pair. On
l'a nommée le Palais des Anges, et l'expression n'a rien de trop hyperbolique. Imaginez une petite
cour carrée, située à plus de trois cents pieds au-dessus du niveau des grèves, et suspendue, pour
ainsi parler, entre le ciel et la mer, — ces deux abîmes. — Elle est enfermée dans une quadruple
galerie, formée par des colonnes d'une grâce et d'une élégance incomparables ; elles sont alternées
de façon à ce que chaque ogive, portée par deux de ces colonnes, semble coupée par une troi-
sième, au point d'intersection des deux arcs qui la forment. Par l'artifice de cette disposition ingé-
nieuse, les cent vingt colonnes de ce petit cloître s'entre-croisent et s'enchevêtrent les unes dans les
autres, de façon à paraître beaucoup plus nombreuses qu'elles ne le sont en réalité. Tout ici est,
du reste, dans de petites proportions, et jamais le mot de bijou, prodigué trop souvent, ne s'est
appliqué plus justement à une oeuvre d'architecture. Ces colonnes, je dirais volontiers ces colon-
nettes, ont à peine six pouces de diamètre et quatre pieds de hauteur, de leur base à leur chapi-
teau ; l'arc ogival qui les accouple deux par deux ne mesure pas plus d'un pied. Ces dimensions
permettent de donner à l'ornementation tous les soins dont elle est susceptible. Le fût de chaque
colonne est en granit ou en granitelle; l'arc de l'ogive est en pierre calcaire, tirée des carrières de
Caen, comme celle qui a servi à la construction de l'abbaye de Westminster, à Londres. Tout ce
 
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