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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 4.1878 (Teil 1)

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Jouret, Théodore: L' oeuvre de Rubens à l'Ermitage impérial de Saint-Pétersbourg
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https://doi.org/10.11588/diglit.16908#0255

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220 L'ART.

d'œuvre dans un chef-d'œuvre), et jusqu'au délicieux fond de paysage, où Ton entrevoit l'influence
sinon la main de Breughel, tout, dans ce panneau sans prix, atteint à la plus haute perfection.

Le Persée, par le mouvement du groupe des figures, par la vivacité en quelque sorte
scénique de l'action, rappelle le souvenir de compositions analogues, le Castor et Pollux de
Munich, et aussi (selon la remarque de Waagen) la Proserpine brûlée à Blenheim, en 1861. Je
ne parle pas du Persée de Madrid, à l'Andromède sans rivale.

Le Tigre est une de ces compositions allégoriques familières au maître, qui se plaisait à jeter
dans ces fantaisies tous les caprices de sa puissante imagination ; une des plus belles, les Quatre
Parties du Monde, est au Belvédère de Vienne. A l'Ermitage, le fleuve asiatique est symbolisé
par le vieillard traditionnel et par un tigre royal, un de ces fauves superbes, si chers à Rubens;
les figures dominantes sont une admirable étude de « nu », l'Abondance, où la beauté des formes
s'ajoute exceptionnellement à la splendeur de la coloration, un triton d'une grande et large
facture, puis deux enfants se jouant dans l'eau; l'un d'eux est bien un enfant de Rubens, potelé,
à fossettes; l'autre, de physionomie malicieuse et fine, rappelle une des adorables figures
d'angelots, accoudés au bas du cadre de la Madone de Saint-Sixte, du Raphaël de Dresde.

Dans le Bacchus triomphant, il y a des côtés de vulgarité lourde que Rubens ne connaît
point d'habitude; c'est plutôt le tempérament de Jordaens qui s'y révèle, non-seulement dans la
facture, dans la coloration, mais aussi en plus d'un point de la composition, et cela avec l'audace un
peu tendue et la verve bruyamment plaisante d'un vrai Flamand, ami des grosses gaietés. Rubens
pourtant n'en eût pas désavoué la pensée pleine d'esprit et de science, la fougue entraînante, la
joie robuste. Jeune et déjà tout bouffi de santé exubérante, les formes épaisses et trapues, avec
le masque d'un Vitellius de vingt ans, le Dieu du vin est assis sur un tonneau, le pied posé sur
une panthère, et il tient une coupe que remplit une bacchante ; de cette coupe, qui déborde, le
vin tombe à plein jet dans la bouche ouverte et sur le visage, tout éclaboussé, d'un jeune satyre
qui s'est glissé malicieusement sous l'aubaine savoureuse; idée originale, réalisée dans un mouve-
ment d'une grâce charmante ; plus loin, le Silène — obligé — accole une amphore démesurée,
tandis qu'un garçonnet, naïvement cynique, semble continuer et terminer la cascade bachique,
avec l'effronterie du petit confrère de bronze qui fait l'ornement {shocking!) d'un carrefour de la
bonne ville de Bruxelles en Brabant. Ce détail, d'une trivialité quelque peu grossière, suffirait
à marquer la grande part de Jordaens dans cette étrange et fantasque conception; on lui en
donnerait d'ailleurs la paternité entière, rien qu'à la tonalité des carnations; la lumière y est,
mais avec plus de chaleur rougeaude que d'éclat réel, et l'on n'y sent pas cette vibration qui
à elle seule dénonce la main du maître.

Dans la Bacchanale, nous le retrouvons tout entier, le peintre de la chair nacrée des déesses
nourries d'ambroisie, le peintre de la chair au sang rosé des divinités plus terrestres, de ces
Satyres, de ces Faunesses aux pieds de chèvre, aux jambes velues, cette étrange conception
païenne où la créature humaine semble confiner à la fois à l'animalité bestiale et à l'idéalité
divine de la mère Nature. Jamais fête du grand Pan, cette force secrète, cette profonde palpita-
tion de la terre, jamais mystères dionysiaques n'ont été racontés avec plus de farouche grandeur
et de périlleuse réussite. C'est le poëme de l'ivresse, de l'ivresse surhumaine, et j'ajouterais
volontiers : sous-humaine ; car c'est l'^Egipan, c'est la Faunesse bestiale qui chancellent et qui
tombent, plus abêtis encore par la bacchanale sacrée; c'est le délire orgiaque dans toute sa
sensualité brutale ; et je n'insisterais pas autant sur le véritable caractère de la pensée de Rubens,
si quelques critiques effarouchés n'avaient ramassé, pour les jeter à ce chef-d'œuvre de poëte et
de peintre, toutes les indignations vertueuses, toutes les tristesses pudibondes dont on a si long-
temps essayé d'accabler la ronde vertigineuse de la Kermesse, cette homérique bacchanale
flamande, une des précieuses richesses du Louvre.

Certes, les audaces sont grandes ; nous essayerions en vain de raconter (si nous n'avions près
de nous l'aide du crayon) l'affaissement stupide du Silène pansu que soutiennent, en titubant, une
négresse, un satyre et une faunesse, un groupe affolé du délire bachique et qui s'en va rouler,
bientôt, sous le poids de l'ivresse ; et cette faunesse, aux pieds fourchus, paresseusement couchée,
 
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