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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 2)

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Wedmore, Frederick: Exposition de l'oeuvre dé Méryon
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EXPOSITION DE L'OEUVRE DÉ MÉRYON

Il y a eu à Londres, presque simultanément, deux exposi-
tions de l'œuvre de Ch. Méryon. Un commerçant entreprenant
de Chancery Lane, M. Dowdeswell, voyant les demandes renou-
velées et incessantes qu'on fait en Angleterre des eaux-fortes de cet
artiste, se mit à en réunir très activement une collection. En
même temps le Burlington Fine Arts Club, société qui ren-
ferme les amateurs artistiques les plus distingués de Londres,
comprit combien il lui était facile de collectionner en grand
nombre des épreuves de Méryon, quelques-unes des plus belles
appartenant aux membres de la Société. Avec l'aide de M. de
Salicis, de Paris, qui possède de magnifiques œuvres du
maître, le Club a pu constituer une exposition d'une beauté et
d'une qualité exceptionnelles. La différence principale entre les
expositions du Club et de Chancery Lane est peut-être celle-ci :
à Chancery Lane les planches finies sont admirablement repré-
sentées; le Club a réuni des planches finies tout aussi remar-
quables et des premiers états de toute beauté, plus une collection
très-rare d'épreuves, très-intéressantes pour la démonstration
des progrès de l'œuvre, et quelquefois recommandables par leur
beauté propre.

Nous ne discuterons pas ici la valeur relative des planches
que nous avons à examiner. C'est là une question qui regarde
moins le public qu'une vingtaine d'amateurs. Le public non
familiarisé encore, en France comme en Angleterre, avec l'œuvre
du maître, désirera plutôt connaître les mérites qui valent à
Méryon des hommages si exceptionnels. Quelles sont, en un
mot, les qualités principales de son art? Qu'a-t-il fait d'absolu-
ment personnel, qui n'appartienne qu'à lui, et à nul autre?

Charles Méryon, dans le cours d'une existence terminée
prématurément, interrompue deux fois par des attaques de folie
qui nécessitèrent son internement à Charenton, a exécuté environ
quatre-vingt-dix planches, dont trente-cinq ou quarante seule-
ment méritent l'attention sérieuse du collectionneur. Celles-là
seules sont empreintes du caractère qui fait de Méryon un artiste
original, un poète, un créateur. Le reste appartient à ces
« œuvres mineures », dont chaque artiste a pu commettre
quelques-unes soit dans sa jeunesse, soit dans sa décadence; les
circonstances ont forcé Méryon à en produire plus que tout
autre ; il fit de ces œuvres insignifiantes, de ces petites œuvres,
non seulement lorsqu'il étudiait encore, mais à une époque où
les acheteurs ne voulaient pas de ses eaux-fortes plus caracté-
ristiques et plus élevées. Il fit des portraits de gens dont il ne se
souciait pas, et les fit pour gagner de quoi manger.

L'œuvre sérieuse de Méryon, qui ira à la postérité la plus
reculée avec les planches d'Albert Durer, de Lucas de Leyde et
de Rembrandt, se compose d'environ trente-cinq eaux-fortes qui
nous rappellent presque toutes des impressions produites sur
l'esprit de cet artiste par la vieille architecture parisienne associée
à la vie du Paris moderne. Il a fait quelques eaux-fortes (trois
seulement, si ma mémoire me sert bien) des vieux monuments
de Bourges, qui, bien que parfaitement exécutées, ne nous mon-
trent pas ses qualités habituelles d'imagination. A l'exposition
du Burlington Fine Arts Club, on peut voir des études au
crayon très-réussies, qui auraient pu se transformer aussi en
eaux-fortes : ce sont de vieilles constructions de la ville de
Rennes. Mais ce sont les eaux-fortes d'après des vues de Paris
qui se recommandent surtout par une imagination merveilleuse

et une exécution à la fois ferme et délicate. La vie troublée et
difficile qui s'imposa à Méryon eut une influence sensible sur
sa façon d'envisager Paris. Il était bâtard : enfant sans nom,
avec l'âme du gentilhomme le plus chevaleresque. Il fut dès
l'enfance abreuvé des humiliations que les gens sans cœur
n'épargnent guère aux enfants sans nom et les lâches à ceux
qui n'ont pas de protecteur naturel. A ces douleurs morales,
d'autant plus sensibles pour lui qu'il avait une nature plus
délicate, se joignirent les tortures physiques de la misère et de
la faim. Il aima d'un violent amour une jeune fille qui le
repoussa. Une vie entière sans bonheur, sans l'accomplissement
d'un seul de ses désirs, sans autre consolation que la pratique
de son art, tout cela devait nécessairement s'exprimer dans
l'œuvre de Méryon. C'est ce qui donne à son œuvre un caractère
éminemment tragique. Mais en somme, on y trouve plutôt le
caractère de l'homme que le reflet des circonstances. La vision
de Paris a des rayons lumineux à côté de ses tristesses. Son
œuvre joint la variété épique à l'unité lyrique.

Parmi les sujets traités par Méryon, il faut remarquer Notre-
Dame; l'Eglise Saint-Etienne du Mont; les grands ponts qui
traversent la Seine (le Pont-Neuf était, je crois, celui qu'il
aimait le mieux); le démon ailé qui, du haut de Notre-Dame,
regarde avec joie toutes les misères de la ville; la Morgue, où
tant de ces misères trouvent leur châtiment et leur fin ; de petits
coins de rue, tels que la rue de la Tisseranderie, aujourd'hui
détruite; la rue des Chantres, une ruelle étroite et obs-
cure, sale et repoussante, qui atteste encore aujourd'hui l'exac-
titude et la puissance de notre artiste, h'Abside de Notre-Dame
est généralement regardée comme son chef-d'œuvre. C'est une
bien noble composition que celle de cette église, se dressant
avec ses grandes tours, entre l'eau et le ciel !

Cette œuvre représente certainement le côté brillant du
talent de Méryon : nous y trouvons cet élément de la composition
qu'il possédait, quand il le voulait, au plus haut degré, mais
qu'il bannissait entièrement parfois de son travail. Dans l'Abside,
il nous rappelle des faits : les faits actuels, qu'il a arrangés en se
plaçant au point de vue le plus élevé, pour donnera son dessin le
plus de grandeur et d'espace possible. Il a placé au premier
plan, pour soutenir sa composition, une de ces grandes figures
dont le vêtement collant rappelle la Grèce, dont le geste et le
regard font penser aux mystères du moyen âge. Saint-Étienne-
du-Mont a presque autant de noblesse que Y Abside, l'artiste y
a traité sympathiquement trois styles d'architecture tout à fait
différents, et séparés par des abîmes. La Pompe Notre-Dame
a peut-être été louée au-dessus de sa valeur : elle excelle par
l'adresse à traiter un sujet de lieu commun, sans avoir grand'-
i chose, sans rien avoir même de cette beauté tragique si chère
à Méryon. La Morgue nous montre l'union caractéristique
d'un réalisme intense avec une imagination supérieure. C'est
un réaliste qui étale les détails horribles de la maison des
morts ; c'est un artiste plein d'imagination, que celui qui réunit
dans son dessin cette foule cruelle et empressée, qui regarde
un peu comme le Démon de Notre-Dame, la scène d'angoisse
dépeinte au premier plan. Une vision de Paris à la fois si
habile et si poétique est une de ces œuvres qui n'appartiennent
qu'aux artistes dont le nom doit passer à la postérité.

Frederick Wedmore.

Le Directeur-Gérant : EUGÈNE VÉRON.
 
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