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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 2)

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Véron, Eugène: Cinquième exposition des Indépendants
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CINQUIÈME EXPOSITION DES INDÉPENDANTS

Nous désirerions bien vivement n'avoir qu'à louer dans
l'exposition des Indépendants, nous qui sommes ennemis de
l'art officiel et de la peinture académique,[de la convention mise
en place de la personnalité. Nous serions enchantés d'y trouver
une confirmation de nos doctrines, un argument de fait à
ajouter à nos arguments théoriques.

L'idée générale qui relie ce groupe, fort discordant du reste,
est une idée que nous avons souvent exprimée, et qui, il faut bien
le dire, n'a qu'une nouveauté très relative, puisque c'est elle
qui a été', il y a trois cents ans, l'inspiratrice de la moitié de
l'école flamande et de presque toute l'école hollandaise : c'est que
l'on doit avant tout s'occuper des réalités contemporaines, des
types et des scènes de la vie ambiante. Horace, qui n'était
pas un impressionniste, a posé le principe longtemps avant l'école
moderne, en disant que la vraie source de l'émotion se trouve
dans la vue directe des choses. C'est là que la personnalité de
l'artiste peut se déployer librement, dans la sincérité de son
émotion individuelle, sans avoir à craindre d'être faussée et
dénaturée, dépouillée d'une partie de ses caractères natifs,
comme il arrive trop souvent, quand il entreprend de rendre
à sa manière des faits ou des légendes déjà marqués d'une
empreinte étrangère. A moins d'être très fort, il est difficile de
rester complètement soi-même dans l'interprétation des sujets
historiques ou religieux. Là, quoi qu'on fasse, la convention
domine toujours dans une certaine mesure, parce qu'il est
à peu près impossible que notre interprétation soit autre
chose qu'une traduction plus ou moins libre de ce qui a été dit
et pensé avant nous. C'est pour cela qu'il y a si peu d'artistes
capables de traiter ces sujets.

En face des spectacles eux-mêmes, l'art reprend toute sa
liberté ; c'est en quelque sorte un terrain vierge où chacun a
droit de se diriger du côté qui lui convient, où la personnalité
peut se déployer à l'aise, pour peu qu'elle existe. Mais c'est là le
point capital et la condition essentielle du talent.

Malheureusement, à l'exposition de la rue des Pyramides,
il y a une forte proportion d'ivraie mêlée au bon grain. La
moitié au moins des exposants ne paraissent pas se douter que
pour faire de l'art, « l'indépendance s toute seule ne suffit pas
et qu'il serait bon d'y ajouter quelque autre chose. Pour ceux-là,
l'indépendance consiste surtout à s'affranchir de toute considéra-
tion de forme et de couleur, des règles même les plus élémen-
taires de la perspective. Ils suppriment de l'art l'étude et
l'observation et se contentent de prendre de la nature et des
choses ce qu'on en peut saisir quand on ne se donne pas la
peine de les regarder. Ils se bornent à leur jeter un coup d'ceil
rapide et superficiel, sans doute pour échapper au danger d'y
apercevoir des finesses et des complexités qui ne rentrent pas
dans le programme et qui d'ailleurs ont le tort grave d'avoir été
déjà vues et rendues par des artistes moins indépendants. Us
font ainsi des pochades plus ou moins prétentieuses qui ne sont
en somme que des impressions d'épiderme, nécessairement
médiocres et banales, comme tout ce qui s'arrête aux surfaces.
Aussi, ce qui manque le plus à ces œuvres, est-ce précisément la
personnalité, c'est-à-dire ce qui est vraiment l'art. Elles ont
justement la valeur de photographies mal venues.

C'est que, en effet, ceux dont nous parlons, et qu'il faut
soigneusement mettre à part de ceux qui cherchent sérieusement,
ne se doutent pas de ce qu'est la personnalité dans l'art, par la
raison très simple que cette qualité est celle qui leur manque
le plus. Us ont l'air de croire pieusement qu'on peut éliminer
de l'art l'artiste, et que l'idéal de la sincérité consiste à ne porter

sur la toile que l'image incomplète et fausse que laisse le spectacle
des choses sur la rétine inexpérimentée de l'enfant. Voyez tous
ces bonshommes gauches et immobiles. Ne dirait-on pas
qu'on a fait poser quelques-uns de ces vieux modèles de plâtre
indéfiniment surmoulés, et de plus usés et poussiéreux, qu'on
met sous les yeux des élèves des lycées, sous prétexte de leur
apprendre à dessiner et à ombrer d'après la bosse? Les uns n'ont
ni plus ni moins d'expression et de mouvement que les autres.

Qui donc a dit que le caractère propre de l'artiste est de
recevoir des spectacles de la nature des impressions plus vives,
plus profondes, plus complètes que le reste des' hommes, de
saisir par l'œil et par l'esprit des nuances et des finesses qui
échappent aux autres, et de reproduire cette vue personnelle des
choses en les marquant d'une empreinte individuelle qui
les distingue à jamais de tout ce qui n'est pas elles? Il semble
vraiment à voir les œuvres qui dominent ici que ce soit surtout
cette théorie que la nouvelle école ait dessein de combattre,
comme un préjugé qui entache l'art d'aristocratie. Serait-il donc
vrai que l'art véritable doive dédaigner ces délicatesses et
n'admettre d'autre règle que le goût et l'œil du vulgaire? L'art
ne peut-il être l'art qu'à la condition d'être rabaissé à la mesure
du gros public, qui y retrouve exactement ce que lui-même
voit dans la nature ?

Ce n'est pas avec cela qu'on ramènera la vie dans l'art. Le
but est louable, mais les moyens sont mauvais. L'exemple
donné, il faut bien le dire, serait plutôt de nature à faire reculer
les artistes qui seraient tentés par l'attrait du moderne. Pour
réagir utilement contre une erreur, il est toujours dangereux de
se laisser entraîner jusqu'à rejeter pèle-mèle et indifféremment
le bon et le mauvais, le faux et le vrai. Faut-il croire que dans
l'emportement de leur réaction contre le conventionnel, les
Indépendants ont juré de faire table rase pour inaugurer sur
nouveaux frais un art imprévu? Est-ce parti pris ou manque
de discernement ? Sont-ce les nihilistes de l'art ou simplement
des myopes?

Malheureusement, quand on vient de passer une heure ou
deux à regarder ces œuvres informes, ces ébauches d'à peu près,
condamnées à n'être jamais complétées, il est bien difficile de ne
pas croire plutôt que ce sont surtout des myopes, dont la plupart
ignorent l'usage des lunettes, dont quelques-uns le rejettent
sous prétexte que les lunettes n'existent pas dans la nature,
croyant que pour être fidèle à la vérité il vaut mieux ne voir que
la moitié ou le quart de la réalité, plutôt que de s'exposer, en
regardant trop soigneusement, à voir plus et mieux que ce que
voit le commun des mortels.

C'est sans doute pour la même raison qu'ils ont renoncé à
la coutume de vernir leurs tableaux, le vernissage étant essentiel-
lement académique, conventionnel et contraire aux habitudes
de la nature.

Il y a pourtant, même de ce côté de l'exposition, certaines
observations à faire, qui peuvent être considérées comme des
circonstances atténuantes.

Tout le monde a remarque la couleur étrange de M. Guil-
laumin. Il a surtout des portraits qui sont à cet égard particu-
lièrement remarquables. Les visages sont parsemés de plaques
jaunes, rouges, vertes, qui les font ressembler à des palettes mal
nettoyées. C'est étrange et c'est affreux; et pourtant, c'est ainsi
que procédait Delacroix. M. Guillaumin, qui est un coloriste, ne
pouvait prendre un meilleur modèle, mais il a oublié un détail,
c'est que Delacroix n'appliquait ce procédé violent que dans les
grandes peintures destinées à être vues d'assez loin pour que
 
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