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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 2)

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Beylard, Ch.: Le Grand Prix de Florence
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Molmenti, Pompeo: Le Marquis Pietro Estense Selvatico
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https://doi.org/10.11588/diglit.18608#0260

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2 lO

L'ART.

choses absolument neuves pour moi, malgré les moulages,
malgré les photographies; j'ai pu enfin me donner une idée de
ces artistes du xive et du xve siècle, personnalités puissantes et
bien délimitées, qui seront toujours elles-mêmes et toujours com-
prises ; a qui l'on pourra parfois refuser la sympathie parce
qu'on pourra ne pas avoir la même façon de sentir, mais, dans

les œuvres desquelles on sera toujours forcé de se reconnaître
parce qu'elles sont bien humaines et bien vivantes.

« Veuillez agréer, cher Monsieur, l'expression de mes
meilleurs sentiments.

« Ch. Beylard. »

LE MARQUIS PIETRO ESTENSE SELVATICO'

(fin)

Selvatico avait compris que le but de l'art doit être l'art
lui-même. Proudhon avait défini l'art : « Une représentation
idéaliste de la nature et de nous-mêmes en vue du perfec-
tionnement physique et moral de notre espèce ».

Selvatico, au contraire, proclame que l'art ne saurait être le
produit d'un ensemble de règles, mais de l'inspiration, et qu'on
ne doit pas demander à des tableaux un enseignement moral,
mais l'harmonie des couleurs, la pureté du dessin, la force de
l'expression. Ce sont les philosophes et les prédicateurs qui sont
chargés d'enseigner à l'homme la vertu, disait Gœthe, mais le
poète, le peintre, le sculpteur doivent avoir un autre but et
d'autres ambitions.

L'art traversait dans ce temps une période d'agitations, et
les controverses étaient ardentes. La lutte commençait entre les
idéalistes et les naturalistes, entre ceux qui ne voulaient pas
soumettre leur fantaisie à la recherche du vrai, et ceux qui de-
mandaient leurs inspirations à la nature.

Les considérations de Selvatico semblent maintenant mo-
dérées, mais alors elles étaient très hardies. On ne comprenait
pas encore que l'artiste dût se préoccuper de la vérité et cher-
cher un art qui résistât aux changements du goût et aux caprices
de la mode. Il y a trente-six ans, Selvatico parlait ainsi de lui-
même : « Un homme qui a osé parler des siècles d'or de l'ar-
chitecture (et il aurait pu ajouter de la peinture et de la sculp-
ture), sans respect pour l'autorité ; qui a eu le courage de ne pas
souscrire aux opinions de la majorité sur les méthodes, suivant
lesquelles on enseigne maintenant l'art souverain; un homme
que quelques-uns essayeront peut-être de présenter comme un
génie du mal, comme une espèce d'Arimane qui détruit tout
sans rien rebâtir; un homme dans ces conditions est tenu par
sa conscience, pour racheter tant de fautes sacrilèges, d'exprimer
le peu d'idées qu'il peut avoir acquises sur la direction qu'il
faudrait imprimer à l'architecture de nos jours pour faire com-
prendre qu'elle est la sœur et non l'esclave de l'art antique.»

Selvatico avait devancé son temps, mais ayant eu à lutter
contre des obstacles infinis, il dut sans s'en apercevoir faire subir
à ses idées beaucoup de modifications et de variations qui peu-
vent parfois sembler contradictoires. Tantôt il voulait que le
peintre s'absorbât dans la pureté de l'idéal; tantôt au contraire
il se sentait dominé par l'attrait de la réalité. Il avait compris
que dans les arts d'imitation, le moyen le plus efficace d'ébranler
l'imagination et de réveiller le sentiment est dans la repré-
sentation du vrai, parce que le vrai est l'expression juste de
chaque conception compréhensible, mais cependant, dans la
crainte que les accidents du réel ne troublassent la vérité idéale,
il voulait que l'artiste se fût tellement pénétré du vrai, qu'il pût
le reproduire parfaitement de mémoire. L'art, d'après Selvatico,
devrait être tout entier dans l'âme et la mémoire de l'artiste,
qui aurait à consulter le vrai, comme un écrivain consulte le
vocabulaire, si un doute lui vient qu'un verbe soit transitif ou

intransitif. Il affirme que les grands artistes de la Grèce,
de Rome, de l'Italie, dans les plus beaux siècles, ont repré-
senté la vérité qui convient à l'art, et par là nous ont donné
des œuvres dans lesquelles l'énergie de la pensée n'est jamais
troublée par les minuties du réalisme, qui très souvent altèrent
et abaissent les conceptions artistiques.

On dit pourtant que Léonard est resté au Borghetto au
milieu de la lie de la population, une année entière, afin d'y
chercher la figure de Judas, dont il avait besoin pour la Cène. Il
avait certainement une idée de ce que devait être Judas, mais
cette idée était vague, confuse, et il sentait le besoin de lui
donner la précision qui n'existe que dans la réalité visible.
Massimo d'Azeglio n'était pas un grand peintre, mais il com-
prenait admirablement les besoins de l'art. Il peignait toujours
d'après la réalité, s'appliquant à finir son étude ou son tableau
d'après la nature même, sans y ajouter un coup de pinceau
chez lui.

L'artiste ne copie pas minutieusement les détails, les froides
particularités que donne la photographie, mais il a le besoin
d'avoir toujours devant les yeux le vrai, parce que, disait avec
son bon sens d'Azeglio, nos moyens sont très limités tandis que
ceux de la nature sont infinis. Nous reproduisons le vrai en
unissant l'observation au sentiment, suivant notre propre pensée
et nos propres émotions, sans que ces modèles s'imposent des-
potiquement au pinceau. Il peut exister une harmonie tacite
entre le vrai et la pensée du peintre ou du sculpteur. Certaine-
ment les passions, les sentiments de l'âme que manifeste l'art
ne posent pas comme modèles devant l'artiste; mais il faut que
l'artiste en porte l'image en lui-même et qu'il la reproduise telle
qu'elle est en lui pendant le court moment où il l'aperçoit.

Gœthe, à ce propos, dit que la grande puissance de l'artiste
se révèle seulement alors qu'il peut s'écrier devant sa propre con-
ception réalisée : «Minute, je t'ai arrêtée». Par conséquent,
le peintre et le sculpteur ne reproduisent pas les détails d'un
modèle purement objectif; ils copient des formes transformées
par leur esprit d'après son tempérament propre ; ils interprètent
avec leur âme individuelle la vérité qui tombe sous les yeux de
tout le monde, c'est dans ce travail d'interprétation et de correc-
tion que se révèle le véritable artiste.

Malgré les fréquentes contradictions qu'on peut trouver
dans les écrits de Selvatico, il y a une admirable harmonie entre
l'enthousiasme de son cœur et la sérénité de son talent. Ses
hardiesses de jugement n'excluent pas le charme et la bonne
grâce; ses audaces révolutionnaires s'expriment en un langage
plein d'imagination et de pureté. A ses admirations les plus
enthousiastes, se mêle toujours un grain de malice et souvent
son bon sens s'aiguise en spirituels paradoxes.

Grâce aux ressources infinies d'un esprit qui ne vieillit
jamais, il sut saisir les plus délicates finesses de l'art, et son
style, tour à tour insinuant et vigoureux, reproduit admirable-

i. Voir l'Art, 6e année, tome If, page 190.
 
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