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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 6.1880 (Teil 2)

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Yriarte, Charles: Les restaurations de Saint-Marc de Venise, [2]
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140

L'ART.

Je ne voudrais pourtant pas laisser supposer que j'estime
qu'une copie mosaïque moderne vaut un original du xi°, du
xii" et du xiii0 siècle ; je crois avec MM. William Morris et
Poynter qu'on ne se substitue pas à une personnalité de ce
temps-là, et que, si consciencieux, si plein d'abne'gation que soit
l'artiste, l'âme et l'esprit du temps sont absents de son œuvre,
ou sont tout autres, parce que l'art est un miroir qui, fatalement,
reflète les choses et les hommes contemporains. Soit que les
réparations fussent plus faciles à faire dans les figures, soit que
leur état fût moins compromis, il est singulier que ce soit
surtout dans lepavimento du sol de la basilique que ce qu'on
appelle en art « le caractère » fasse le plus défaut dans la res-
tauration.

Je ne serais pas disposé à me rallier à l'opinion d'un archi-
tecte considérable, M. Street, opinion partagée aussi par
M. Henry Wallis, qui tendrait à faire croire que les ondulations,
qui donnent au pavement de la basilique un caractère si sin-
gulier et si poétique, sont le résultat d'une pensée préconçue
des architectes primitifs. J'estime qu'elles sont le résultat d'un
tassement permanent ondulatoire produit par le séjour constant
des eaux sous le sol et l'effet des hautes marées. Tout le monde
sait qu'il existe sous le maître-autel de Saint-Marc une crypte
Sottoconfessione du plus haut intérêt archéologique, qui se
trouve bien au-dessous du niveau moyen de la lagune. Aban-
donnée dès 1569 à cause de l'irruption des eaux, on y découvrit
en 181 1 le corps de saint Marc caché depuis 1094 dans le massif
qui supporte le maître-autel de la basilique ; on l'a refermée
depuis, et, en maintes occasions on a cherché les moyens de
combattre l'immersion. II y a aujourd'hui quinze ans nous avons
suivi avec intérêt les efforts de M. Milesi, qui employa pour re-
médier au mal le ciment de Bergame et accomplit heureusement
sa tâche aux frais particuliers du préfet d'alors, le sénateur To-
relli. Nous avons constaté à cette époque qu'à cette môme pro-
fondeur, sur le pavement ruiné par le temps, existaient les mêmes
ondulations.

Les entrepreneurs chargés aujourd'hui de restaurer le pave-
ment, justement dans le but de remédier à ces ondulations, ont
fait un lit de briques, posé sur le lit une épaisseur de béton, et sili-
ce nouveau sol désormais bien horizontal, incrusté leurs cubes de
marbre auxquels ils ont donné une épaisseur double de celle adop-
tée par leurs devanciers. J'arriverai difficilement à convaincre les
entrepreneurs delà différence notable qui existe, au point de vue
du caractère, entre la partie refaite de la travée nord, et celle qui
existait naguère. Une régularité parfaite dans la forme, dans les
courbes, les circonférences, les parallèles et les dessins géomé-
triques, la rectitude mécanique des instruments et du compas,
substituée à cette naïveté du contour, qui révèle le travail per-
sonnel, le tremblement de la main de l'artiste primitif, qui sou-
vent exécutait sur un thème donné et appliquait les broderies de
sa propre invention dans les contours généraux donnés par le
Proto-Maestro, (exactement comme des acteurs, dans la Comme-
dia dell' Arte, donnent cours à leur éloquente fantaisie sans sortir
des lignes générales, du canevas qu'on leur a tracé), voilà où
gît la différence essentielle, capitale, à jamais regrettable, entre
ce qui est et ce qui fut. Ce qui était représentait un manuscrit
ou un dessin, ce qui est aujourd'hui représente un superbe im-
primé ou une gravure.

Laissez faire le temps, disent les honorables entrepreneurs,
et le sol cédera légèrement, le pied du passant va polir ces tons
trop vifs, et les assouplir : ce tremblé que vous regrettez comme
la signature et la marque de fabrique des mosaïstes naïfs, vous ne
l'aurez que trop vite, et peut-être même, malgré nos efforts, les
ondulations dont vous déplorez la perte se feront-elles sentir
avant un siècle.

Quoi qu'il en soit, le mal est fait; une autorité supérieure a
commandé, les entrepreneurs ont exécuté, et si leur travail avait
été fait dans un édifice moderne, on devrait les féliciter haute-
ment de l'habileté qu'ils ont déployée.

Je m'efforce, on le voit, de plaider le pour et le contre :
je dois donc dire qu'il était impossible de ne point remédier au
danger que présentait la situation, et, pour s'en convaincre, il
suffit de jeter les yeux sur la travée méridionale qui n'a point
encore été reprise. La belle mosaïque n'existe plus que par-
tiellement, de grands carrés de marbre gris vulgaires sont
venus boucher les trous que présentait sa surface et couper en
deux les sujets ; les cubes-de marbre enfin sont emportés par les
pieds du passant qui trébuche sur le sol inégal.

Quant à faire quelque chose pour arrêter sur ce point les
ravages du temps, il est incontestable qu'il faudra le faire. Reste
la question de surveillance dans l'exécution et le point de vue
auquel on se placera.

IV

L'état actuel étant bien établi, le lecteur pourrait lui-même
tirer les conclusions, et les hommes spéciaux pourront dire
si on peut respecter une décoration qui n'est qu'un revête-
ment de matériaux précieux sur un mur de brique, quand ces
matériaux, souvent brisés par l'effort des tassements, ou la dilata-
tion du fer qu'on a imprudemment appelé à son aide pour les
maintenir, se détachent un à un. C'est une question d'industrie,
de soin, d'intelligence, et je ne crois pas qu'on en doive laisser
la décision à un seul homme, si habile qu'il soit. Cette responsa-
bilité doit être partagée par tout un conseil composé d'hommes
compétents, qui, du moins, n'auraient plus à subir les tristes
conditions d'autrefois.

Je crois fermement, malgré l'état pitoyable des parties que
j'ai mentionnées, qu'on ne doit pas entreprendre la restauration
de la façade ouest, mais consolider les points qui menacent, en
appelant à son secours les ressources nouvelles qu'offre l'indus-
trie. Venise a d'ailleurs un éclatant exemple de ce que peut
l'industrie locale dans la reprise extraordinairement difficile
qu'on v vient de faire de l'angle du Palais Ducal qui menaçait
ruine.

Malheureusement, ici comme partout, et plus que partout,
hélas ! il y a des conditions fatales et des nécessités imposées par
le budget. On a découvert, il est vrai, depuis 1864 la Marmorata ;
et les carrières de Sicile et de la Terre ferme offrent des res-
sources ; mais nous ne sommes plus au temps où un provéditeur
montait à bord des galères de la Sérénissime pour aller
jusqu'en Egypte, en Perse ou au Tana, demander aux entrailles
de la terre les marbres précieux de l'Orient. Et ce n'est pas le
successeur actuel du sultan Sélim et d'Amurat qui, en signant
la paix, offrirait aujourd'hui à la Reine de l'Adriatique deux vais-
seaux chargés de porphyre et de blocs magnifiques arrachés aux
monuments antiques.

Le mal évident, presque irrémédiable, vient de loin. Si, de-
puis les derniers temps de la République, chaque jour avait
apporté sa réparation nécessaire, son entretien indispensable,
sousl'ceil d'un conseil jaloux et profondément animé de l'amour
de l'art, on n'aurait point vu des architectes, trop abandonnés
à eux-mêmes, se croire autorisés à reprendre à fond la construc-
tion sans se demander si le monde entier n'allait pas leur de-
mander compte de cette harmonie détruite. Il y a une logique
dans tout cela, et ce n'est pas le cas de montrer l'Italie, trop riche
de gloire et trop pauvre de ressources, embarrassée de ses nom-
breuses capitales, de l'entretien de ses palais superbes et de ses
splendides édifices, dont quelques-uns à eux seuls justifieraient
cet incessant pèlerinage des peuples vers ce pays béni du ciel.

Le mémoire au ministre signé par les membres de « The
Society for the Protection of ancient Buildings » demande si
personne a jamais suggéré l'idée de la restauration du Parthénon,
du Temple de Philoé, etc., etc. ». Mais le Parthénon n'est plus
qu'une ruine auguste, et Philoé n'est hante que par les oiseaux
nocturnes et les fellahs fiévreux qui guettent les voyageurs au
passage. A Saint-Marc, nous sommes encore dans un monument
 
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