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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 4)

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Véron, Eugène: Adrien Dubouché
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https://doi.org/10.11588/diglit.18880#0057

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a France vient de faire une perte dont elle ne
paraît guère se douter. Quatre ou cinq journaux,
les uns après les autres, comme une fusée qui
fait long feu, ont enregistré la mort d'Adrien
Dubouché, tout simplement parce qu'ils avaient
rencontré, par hasard, cette nécrologie. Leurs lecteurs ont
appris à cette occasion qu'il venait de mourir quelque part, à
Jarnac, un directeur de Musée céramique, qui avait eu la fan-
taisie d'acheter de son argent, et de donner à son Musée de
Limoges les collections d'Albert Jacquemart et de M. Paul
Gasnault.

Et puis c'est tout; le reste, apparemment, ne méritait pas
d'être connu !

Chaque jour nous voyons s'étaler dans les gazettes des
vanités posthumes, enguirlandées de phrases solennelles et de
regrets académiques. Si nous comptions les statues qui nais-
sent de ces oraisons funèbres, et si nous demandions aux héros
qu'elles glorifient quels sont leurs titres à l'admiration ou à la
reconnaissance de la postérité, il y en a bon nombre qui
seraient fort embarrassés de répondre.

Ces erreurs seraient vraiment déplorables, s'il était possible
qu'elles fussent persistantes ; mais nous ne pouvons pas croire
que la presse se croie quitte envers la mémoire de Dubouché,
pour les quelques lignes qu'elle lui a consacrées.

Adrien Dubouché était le type du vrai citoyen, absolu-
ment dévoué à sa patrie, uniquement préoccupé de ce qu'il
croyait lui pouvoir être utile, et cette passion n'a jamais faibli
dans son cœur. C'est grâce à elle qu'il s'est dès le commence-
ment donné la noble tâche de relever l'industrie céramique de
Limoges, qui, après avoir été si florissante, avait fini par
tomber dans une décadence complète. Pour s'assurer des
auxiliaires dans cette œuvre si importante et si difficile, il
fonda en 1862 la Société des Amis des Arts de Limoges, et
bientôt après le Musée céramique, pour lequel il obtint de la
municipalité une subvention de 9,000 francs1.

Grâce à l'infatigable activité de Dubouché, grâce surtout
à son intarissable libéralité, le Musée de Limoges est devenu
la plus importante des collections céramiques de la France.
Quand Albert Jacquemart est mort, laissant une admirable
réunion de porcelaines chinoises et japonaises, c'est Dubouché
qui les a achetées pour en faire cadeau à son Musée. Quand
une autre collection célèbre, celle de M. P. Gasnault, a été
mise en vente, c'est encore le Musée de Limoges qui l'a reçue
en don des mains de son directeur. On a calculé que la
moyenne annuelle des dépenses personnelles de Dubouché
pour son Musée depuis sa fondation a été approximativement
de 5o,ooo francs. C'est plus d'un demi-million dont il a fait
cadeau à ses concitoyens.

Aussi, il y a deux ans, quand cet extraordinaire directeur
voulut que, en cas d'accident, la valeur vénale des trésors
accumulés par lui fut au moins garantie à sa ville natale, les
compagnies d'assurances auxquelles il s'adressa évaluèrent-
elles à trois millions cette collection pour laquelle il avait
demandé à ses concitoyens 9,000 francs.

Non content de cela, Adrien Dubouché voulut compléter
son œuvre et assurer pour l'avenir la résurrection de l'industrie
artistique à Limoges en fondant les écoles municipales gra-
tuites des beaux-arts appliqués à l'industrie. Et quand il les
eut fondées, il en surveillait, il en dirigeait, il en complétait
même l'enseignement avec une vigilance, un amour inépuisables.

Je n'ignore pas que pour beaucoup de gens l'art est chose
secondaire, qu'ils s'inquiètent peu de fondations qui ont pour
but le développement artistique. L'admiration convenue de
l'art académique, c'est-à-dire d'une calligraphie vide de toute
idée et de tout sentiment, a eu pour résultat forcé d'habituer
les esprits à considérer l'art comme chose futile, comme affaire
de luxe, et de les disintéresser de toute préoccupation artistique
sincère et sérieuse.

Mais à ceux-là même il est peut-être possible de faire
comprendre, au moins en partie, l'utilité de l'œuvre d'Adrien
Dubouché. Depuis qu'il a fondé le Musée qui porte son nom,
et qu'il y a réuni tout ce qui pouvait servir à stimuler et à
régler l'émulation de l'industrie limousine, la fabrique de la
porcelaine a décuplé, la misère a disparu, des maisons puis-
santes se sont fondées, le pays s'est enrichi. Pourquoi ? Tout
simplement parce que l'industrie de Limoges est redevenue,
grâce à Dubouché, une industrie artistique. Il faut donc bien
croire que l'art n'est pas seulement une source « d'agrément ».

Nous ne voulons considérer que ce côté de la vie qui
vient de s'éteindre, sans nous arrêter à retracer les qualités de
l'homme. Cela ne touche que ses amis; le reste intéresse le
pays tout entier, ce pays qu'il aimait tant et auquel il était
toujours prêt à sacrifier tout le reste.

Nous comptons que nous saurons payer à cet excellent
citoyen la dette de reconnaissance que nous lui devons, et que
Limoges donnera l'exemple. Il y a là un devoir à remplir. Les
gens qui ne comprennent que la gloire des batailleurs auront,
une fois de plus, espérons-le, l'occasion de rire aux dépens des
hommes utiles. Pour nous, nous trouvons que les statues
conviennent aux hommes qui ont fait de bons ouvrages au moins
aussi bien qu'à ceux qui ont réussi de beaux massacres. Adrien
Dubouché n'a tué personne, mais il a fourni à une multitude
de gens les moyens de vivre; il n'a gagné d'autre bataille que
celle qu'il a livrée et soutenue toute sa vie contre la routine,
la décadence, l'ignorance, le mauvais goût, la misère. Qui osera
dire que cette victoire n'en vaut pas une autre ? Il est mort

1. Nous ne pouvons ici que rappeler sommairement les faits, exposés par nous

avec plus de développement dans l'Art, tome IV de l'année 1878, page 238.
 
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