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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 4)

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Lautrec, Romain: Othello: audition de la traduction de M. Jean Aicard
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Une esquisse de Rubens
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https://doi.org/10.11588/diglit.18880#0202

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iSo L'

le sujet de Zaïre : Ducis a commis plus tard une ridicule
adaptation qui eut un heureux destin en dépit de sa platitude,
mais la Romance du Saule dont Grétry écrivit la musique
pour la plaintive Hédelmone méritait seule d'échapper à
l'oubli.

Le drame anglais n'avait donc pas encore pris pied sur
notre scène dans son intégrité : la souplesse du vers français
se prête merveilleusement à cette version, bien que la tâche
devienne plus ardue quand le traducteur est doublé d'un
poète.

Ces difficultés n'ont pas effrayé M. .1. Aicard, et nous
sommes heureux de nous associer à l'ovation méritée que lui
a value sa remarquable traduction possédant toute la saveur
d'une œuvre originale.

Bien que d'une allure indépendante et fière, le vers de
M. Aicard, serrant de près le texte, en rend toute la vigueur et
la sonorité; il avait à respecter non seulement la pensée, mais
l'expression même, souvent d'une hardiesse confinant à la
crudité, sans atténuer la force des termes. 11 s'en est acquitté
avec un rare bonheur, et si nous devons nous tenir en garde
contre les séductions d'une lecture fort habile, du moins
pouvons-nous en inférer que le théâtre, avec les éléments
d'attraits qu'ajoute la mise en scène, doit lui assurer un succès
encore plus brillant.

Dans un court et spirituel avant-propos, M. Aicard a fort
ingénieusement établi la différence qui existe entre la traduc-
tion savante et la traduction vivante. A notre avis, elles
n'offrent rien d'incompatible, et si, dans des travaux simi-
laires, MM. Leconte de l'Isle et Lacroix ont su restituer à
l'antiquité toute son austère majesté, il convient d'encourager
ces féconds essais mieux faits pour épurer le goût que les belles
infidèles de M. de Pongerville.

M. Aicard est un méridional : sa voix chaude et mordante
détaille et souligne à propos les effets : quelquefois, néanmoins,
une certaine âpreté nuit à l'expression de tendresse inquiète
de Desdémone, mais il faut savoir gré à l'auteur de s'être si
complètement identifié avec ses personnages ; nous sommes
heureux de constater le succès du lecteur et du traducteur.

Le dernier acte fut joué en 1878 au Théâtre-Français par
M. Mounet-Sully et Mlle Sarah Bernhardt. Il n'est pas pos-
sible de porter un jugement sur ce fragment dont on n'a pu
apprécier la valeur; maintenant que M. de la Rounat se dispose
à monter à l'Odéon YOthello de M. Gramont, il est permis de
compter sur une interprétation complète, étant donné la
priorité de M. Aicard établie depuis trois ans.

Othello doit être joué par un tragédien : où trouver un
interprète égalant M. Mounct-Sully, depuis son éclatant
triomphe dans Œdipe Roi? Nous avons vu l'Italien Rossi, qui,
malgré d'éminentes qualités de style et de diction, était loin de

réaliser ce type si complexe de sauvage tendress: et de fureur
jalouse; tout récemment, à Londres, la distribution du drame
fut tout à fait remarquable ; si M"0 Svddons eût encore vécu
pour donner la réplique à M. Ehvin Booth, l'acteur américain
(Othello), et à M. Irving (Iago), le premier rôle actuel
de l'Angleterre, cette réunion de talents eût été sans précé-
dents en Angleterre.

Nous ne saurions passer sous silence quelques passages
de l'œuvre qui, mieux que toute analyse, mettront en lumière
les qualités maîtresses de l'auteur.

I.a caractéristique de l'ensemble est une rigoureuse exac-
titude alliée à une rare justesse d'expression; on en jugera par
ces mâles accents du More qui rappellent un peu certain pas-
sage analogue de Lamartine :

Adieu chevaux cabrés dans la mêlée ardente
Kt hennissants! Adieu la trompettj stridente,
Le fifre aigu, l'écho palpitant des tambours,
I.a royale bannière aux plis gonflés et lourds.
Tout ce qui fait l'orgueil des rois dans la bataille.
Adieu les noirs canons tonnants dont l'air tressaille.
Et qui, soufflant la mort dans leur bouche de feu.
Imitent la clameur formidable de Dieu.

Quand en présence de Desdémone assoupie il se livre en
son cœur un terrible combat, quand par cette étonnante gra-
dation de sentiments qui révèle une si puissante analyse psy-
chologique, il en arrive à méditer sa vengeance, il s'écrie avec
amertume :

Ah le tendre parler n'est pas dans ma nature,

Et mon teint noir aussi... Puis, c'est vrai, l'âge est là.

Pas très sensible encor pourtant... Oublions-la!...

Maudit le mariage!... Orgueilleux, sois puni.
Ah! tu croyais tenir une femme? La femme,
On l'étreint, mais on sent glisser et fuir son âme!. .

Nous signalerons dans la scène suivante les supplications
de Desdémone éplorée, auxquelles le noir époux reste sourd; le
traducteur n'a pas cru devoir exprimer rigoureusement :

Amen! With ail my heari !

Ce tour de phrase à la fois brutal et attendri offre une
saveur très particulière qui eût gagné sans doute à être plus
strictement rendue.

Malgré de légères critiques de détail, l'œuvre de M. Aicard
mérite à tous égards les suflrages des gens de goût; aussi
devons-nous remercier M"10 Adam, dont l'hospitalière demeure
est toujours ouverte pour favoriser les tentatives généreuses,
de cette initiative, qui a permis de juger le remarquable talent
de M. Aicard, en attendant qu'il nous soit donné de l'applau-
dir à la Comédie-Française.

Romain Lautrec.

UNE ESQUISSE DE RUBENS

M. Ulysse Tencé, dont nous avons annoncé la mort1, a laissé une collection sur laquelle nous garderions le silence s'il ne
s'y trouvait un chef-d'œuvre, la célèbre esquisse des Miracles de Saint-Benoit, une des plus merveilleuses inspirations du génie
de Rubens. Eugène Delacroix, qui était enthousiaste de cette œuvre magistrale, en a fait une fort belle copie qui a été achetée
en dernier lieu par le roi Léopold II et se trouve au palais de Bruxelles.

M. Edmond Ramus a très bien gravé ce Rubens, qui sera vendu le 12 décembre à l'Hôtel Drouot, par le ministère de
M« Paul Chevallier, successeur de M. Charles Pillet. Ce sera un des principaux événements de la saison artistique de 1881-82.

1. Voir l'Art, 7e année, tome II, page ijrt.

Le Directeur-Gérant : EUGÈNE VÉRON.
 
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