NOTRE PROCES
II n'y a guère de journaux à Paris qui n'aient pris parti pour l'Art, dans le procès que nous
ont intenté quelques-uns des graveurs du Catalogue de la vente Beurnonville. Nous sommes
heureux qu'un article de M. Ph. Burty, dans la République française, ait donné au principal
intéressé, M. le baron de Beurnonville, l'occasion d'intervenir au débat et d'exprimer son opinion
personnelle. Nous croyons devoir mettre sous les yeux de nos lecteurs et la lettre de M. de
Beurnonville et le commentaire qu'y ajoute M. Ph. Burty :
11 y a bientôt deux mois, sous le titre les Droits de la Critique, nous attirions l'attention de
nos lecteurs sur un jugement qui, s'il arrivait à faire loi, s'il n'était pas réformé en appel,
rendrait dangereuse toute libre critique sur les oeuvres d'art. Des graveurs, d'un talent plus ou
moins appréciable mais à coup sûr d'un caractère grincheux, avaient accepté de livrer des planches
à l'eau-forte pour l'ornement d'un catalogue de tableaux anciens. Un journal aux allures coura-
geuses, l'Art, a signalé, sans y mettre, à notre sens, moins de réserve que le fait vraiment
déplorable ne le méritait, ce « manque de conscience artistique ». Le mot « conscience », pris au
propre par les juges, acquérait une gravité que le rédacteur de l'article n'avait pas soupçonnée un
instant sous sa plume. La condamnation au profit des plaignants a d'ailleurs été dérisoire. Mais,
nous le répétons avec beaucoup de nos confrères, elle demeurerait fort inquiétante pour la
critique et risquerait d'en entraver le développement si utile au public, à l'art dans sa marche
générale, aux intérêts mêmes des artistes. On ne peut confondre l'homme avec son œuvre. Celle-ci
est du domaine de la discussion publique. Les graveurs qui ont accepté des éloges sous une
forme souvent outrée sont bien mal fondés à se plaindre de diffamation lorsque le même journal
leur représente quel tort commercial leur cause la livraison de travaux par trop sommaires, par
trop incorrects. C'est abuser de la réclame.
Tel est le sens général et particulier de ce procès. Il eût pu être tout autre. Pour nous, si
nous eussions été le baron de Beurnonville, nous eussions poursuivi ces graveurs ou les intermé-
diaires qui, n'ayant reçu aucun ordre de faire des économies, auraient fait à ces artistes des offres
dérisoires mais qui, malheureusement, ont été accueillies par eux. Le commissaire-priseur qui
dirigea la vente de ces tableaux si insuffisamment ou même ridiculement traduits, Me Charles
Pillet, aurait pu déclarer aux juges, avec sa grande expérience des choses, que ces images étaient
plus compromettantes qu'utiles et que, apportées au dernier moment, elles n'avaient pu être
remplacées par de plus consciencieuses1. L'excuse d'avoir accepté de les faire pour un bas prix
se retourne contre des artistes qui se respectent. Ainsi que nous l'avons dit déjà, la police de
l'hôtel Drouot intéresse les grands amateurs, les musées, les marchands des deux mondes. 11 peut
prêter à assez de fraudes sans que la gravure à l'eau-forte vienne lui prêter l'appui d'un
mensonge tiré sur beau papier à plusieurs milliers d'exemplaires.
Nous accueillerons sans y rien changer la lettre que nous adresse, à propos de notre premier
article les Droits de la critique, le principal intéressé, que nous avions cité croyant qu'il avait
traité directement :
Monsieur,
On me communique tardivement, à mon retour à Paris, un article qui a paru dans les colonnes de la République
française du i3 septembre dernier, et dans lequel, à propos du procès en diffamation intenté au journal l'Art par plusieurs
des graveurs qui ont travaillé aux planches de mon catalogue, vous parlez de moi comme ayant eu des démêlés, après une
i. Nous rappellerons que M. Pillet n'a pas attendu le procès pour manifester son opinion sur ces gravures. Nous renvoyons aux deux
passages suivants de l'Art :
« M» Charles Pillet, par le ministère de qui la vente devait avoir lieu du Q au 16 mai, ne dissimula nullement combien la présence de
ces scandaleuses gravures l'indignait.» (L'Art, 7' année, tome III, page 86.)
« On m'assure que M" Pillet, dont on ne contestera pas, je suppose, la compétence artistique, n'a pu réprimer un mouvement d'indi-
gnation en ouvrant le Catalogue. » (L'Art, 70 année, tome III, page 1 36.)
II n'y a guère de journaux à Paris qui n'aient pris parti pour l'Art, dans le procès que nous
ont intenté quelques-uns des graveurs du Catalogue de la vente Beurnonville. Nous sommes
heureux qu'un article de M. Ph. Burty, dans la République française, ait donné au principal
intéressé, M. le baron de Beurnonville, l'occasion d'intervenir au débat et d'exprimer son opinion
personnelle. Nous croyons devoir mettre sous les yeux de nos lecteurs et la lettre de M. de
Beurnonville et le commentaire qu'y ajoute M. Ph. Burty :
11 y a bientôt deux mois, sous le titre les Droits de la Critique, nous attirions l'attention de
nos lecteurs sur un jugement qui, s'il arrivait à faire loi, s'il n'était pas réformé en appel,
rendrait dangereuse toute libre critique sur les oeuvres d'art. Des graveurs, d'un talent plus ou
moins appréciable mais à coup sûr d'un caractère grincheux, avaient accepté de livrer des planches
à l'eau-forte pour l'ornement d'un catalogue de tableaux anciens. Un journal aux allures coura-
geuses, l'Art, a signalé, sans y mettre, à notre sens, moins de réserve que le fait vraiment
déplorable ne le méritait, ce « manque de conscience artistique ». Le mot « conscience », pris au
propre par les juges, acquérait une gravité que le rédacteur de l'article n'avait pas soupçonnée un
instant sous sa plume. La condamnation au profit des plaignants a d'ailleurs été dérisoire. Mais,
nous le répétons avec beaucoup de nos confrères, elle demeurerait fort inquiétante pour la
critique et risquerait d'en entraver le développement si utile au public, à l'art dans sa marche
générale, aux intérêts mêmes des artistes. On ne peut confondre l'homme avec son œuvre. Celle-ci
est du domaine de la discussion publique. Les graveurs qui ont accepté des éloges sous une
forme souvent outrée sont bien mal fondés à se plaindre de diffamation lorsque le même journal
leur représente quel tort commercial leur cause la livraison de travaux par trop sommaires, par
trop incorrects. C'est abuser de la réclame.
Tel est le sens général et particulier de ce procès. Il eût pu être tout autre. Pour nous, si
nous eussions été le baron de Beurnonville, nous eussions poursuivi ces graveurs ou les intermé-
diaires qui, n'ayant reçu aucun ordre de faire des économies, auraient fait à ces artistes des offres
dérisoires mais qui, malheureusement, ont été accueillies par eux. Le commissaire-priseur qui
dirigea la vente de ces tableaux si insuffisamment ou même ridiculement traduits, Me Charles
Pillet, aurait pu déclarer aux juges, avec sa grande expérience des choses, que ces images étaient
plus compromettantes qu'utiles et que, apportées au dernier moment, elles n'avaient pu être
remplacées par de plus consciencieuses1. L'excuse d'avoir accepté de les faire pour un bas prix
se retourne contre des artistes qui se respectent. Ainsi que nous l'avons dit déjà, la police de
l'hôtel Drouot intéresse les grands amateurs, les musées, les marchands des deux mondes. 11 peut
prêter à assez de fraudes sans que la gravure à l'eau-forte vienne lui prêter l'appui d'un
mensonge tiré sur beau papier à plusieurs milliers d'exemplaires.
Nous accueillerons sans y rien changer la lettre que nous adresse, à propos de notre premier
article les Droits de la critique, le principal intéressé, que nous avions cité croyant qu'il avait
traité directement :
Monsieur,
On me communique tardivement, à mon retour à Paris, un article qui a paru dans les colonnes de la République
française du i3 septembre dernier, et dans lequel, à propos du procès en diffamation intenté au journal l'Art par plusieurs
des graveurs qui ont travaillé aux planches de mon catalogue, vous parlez de moi comme ayant eu des démêlés, après une
i. Nous rappellerons que M. Pillet n'a pas attendu le procès pour manifester son opinion sur ces gravures. Nous renvoyons aux deux
passages suivants de l'Art :
« M» Charles Pillet, par le ministère de qui la vente devait avoir lieu du Q au 16 mai, ne dissimula nullement combien la présence de
ces scandaleuses gravures l'indignait.» (L'Art, 7' année, tome III, page 86.)
« On m'assure que M" Pillet, dont on ne contestera pas, je suppose, la compétence artistique, n'a pu réprimer un mouvement d'indi-
gnation en ouvrant le Catalogue. » (L'Art, 70 année, tome III, page 1 36.)