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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 4)

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Heulhard, Arthur: Art dramatique, [7]: Théatre du Vaudeville: Odette
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ART DRAMATIQUE

THEATRE DU VAUDEVILLE : ODETTE

uivant en cela l'exemple du public, nous concentre-
rons toute notre attention sur Odette, la comédie
nouvelle de M. Victorien Sardou. L'auteur a le privi-
lège de ces accaparements, bien qu'il nous ait habitués à de
nombreuses déceptions. Hâtons-nous de le dire, Odette,
quelque succès qu'elle obtienne, est, sous le rapport de l'inven-
tion, une des pièces les plus faibles qui soient sorties de la
plume de M. Sardou. Prenez la Fiammina de Mario Uchard,
la Brésilienne de Paul Meurice et Arnould, les Enfants de
Georges Richard, le Fils de Coralie de M. Albert Delpit,
saupoudrez le tout avec un peu du Club et beaucoup de la
Princesse de Bagdad, agitez fortement et vous aurez Odette : ce
n'est donc point par excès d'originalité que pèche le dernier-né
de M. Sardou. Le père de la Famille Benoiton ne nous trans-
porte pas dans un monde innommé, à la poursuite de types
vierges, à la recherche de situations inédites. Nous savons tout
ce qu'il va nous conter, nous avons éprouvé toutes les sensa-
tions qu'H tâchera de provoquer en nous, et les voies dans les-
quelles nous entrons à sa suite nous les avons maintes fois
parcourues. Quant à la thèse qui gît au fond de la pièce, si
elle est irréfutablement juste, il faut convenir aussi qu'elle est
extraordinairement rebattue. Ainsi, nulle hardiesse, nul point
de vue inexploré, mais une grande habileté dans la facture,
un miroitement irritant l'œil, un mouvement provocant de
miroir aux alouettes, voilà le défaut et la qualité d'Odette.

Et d'abord, est-ce une comédie ? Est-ce un drame? Ni l'une
ni l'autre. C'est un ouvrage à califourchon sur les deux genres,
presque entre deux selles. M. Sardou excelle dans ces compo-
sitions où la vie humaine se reflète avec ses contrastes et avec
ses heurts. Or, écoutez ce qu'il a imaginé dans celle-ci.

Le comte de Clermont-Latour a épousé Odette, dont le nom
de famille est peut-être difficile à établir. Il n'a prêté l'oreille
ni aux objections de son frère, le général, ni aux bruits fâcheux
qui couraient sur la conduite de la mère d'Odette, ni aux
raisonnements tirés de la différence d'âge existant entre sa
femme et lui. Il aimait, il s'est marié, avec un triple bandeau
sur les yeux. Un enfant, une petite fille est née de ce mariage,
et, au moment où la toile se lève, Odette rentre dans son hôtel,
amenant avec elle pour prendre le thé des amis de son mari
qu'elle a rencontrés à l'Opéra. Le comte est a la campagne, où
il surveille la réparation d'un château qui doit servir de rési-
dence d'été. La comtesse, peu attachée à ses devoirs d'épouse
et de mère, sent bouillonner en elle je ne sais quel impur fer-
ment de débauche mondaine : avouons tout, elle a pris pour
amant le jeune Cardaillan à qui elle a remis la clef d'une porte
dérobée qui conduit à son appartement. Pendant la nuit,
M. de Clermont, rappelé à Paris par ses affaires, rentre
inopinément chez lui : à peine arrivé, il entend le grincement
d'une serrure et reconnaît Cardaillan dans l'homme qui va
rejoindre Odette. Il a la preuve de son déshonneur, mais on
s'interpose, on l'empêche de se venger sur l'amant; il ne lui
reste qu'à se venger sur sa femme. La tuer? Non. Il lui laisse
la vie, et la chasse honteusement, comme infâme et adultère,
après avoir préalablement envoyé Bérangère, l'enfant née de
leur union, chez son frère le général. La comtesse est double-
ment et cruellement punie : la mère est frappée en même
temps que l'épouse, et sont, non sans se redresser sous l'insulte,
en criant : « Lâche! » à son mari. Ce prologue, traité d'une
main ferme et résolue, a fait une vive impression sur les spec-

tateurs; il les a saisis par la rapidité et la netteté de son expo-
sition. L'action s'engageait avec les couleurs violentes d'un
drame : Odette succombant avec tout le poids de sa faute, le
comte triomphant, mais sans gloire, avec toute la rigueur
d'une justice inexorable. Le premier acte commence à quinze
ans d'intervalle. Odette a eu le dessous dans le procès qu'elle
a intenté à son mari pour avoir la garde de Bérangère, et non
seulement elle s'est résignée, mais elle a épuisé toutes les
hontes, passant des bras de Cardaillan dans ceux du prince
de Reuss à Vienne, et du lit du vieux comte Ruspoli de
Naples au lit d'un chevalier d'industrie qui répond au nom
fabriqué de vicomte de Frontenac. Partout elle a traîné dans
la boue le blason des Clermont-Latour. D'autre part, Béran-
gère a grandi, elle est en âge de se marier, et précisément un
jeune homme riche, aimable et distingué, M. de Méryan, s'offre
à faire son bonheur, mais comment décider M'™ de Méryan
à donner son consentement? Car les débordements d'Odette
sont connus et font scandale. Seule, Bérangère les ignore :
on lui a persuadé que la comtesse est morte dans une partie
de pêche à Trouville. Par quel moyen rendra-t-on possible le
mariage de Bérangère? Tel est le problème que se pose
M. de Clermont, et, pour lui comme pour le public, tout l'in-
térêt repose sur cette question. Les exigences de M"10 de
Méryan en retardent singulièrement la solution : elle veut
qu'Odette s'engage à ne jamais mettre le pied en France et à
restituer à son mari, comme on restitue une chose volée, le
nom qu'elle porte si indignement. Odette acceptera-t-elle ces
conditions, et, acceptées, les remplira-t-elle?

C'est ici, au second acte, que surgit un incident grave qui
hâte le dénouement. Le hasard fait qu'Odette, le comte, Béran-
gère et M. de Méryan se trouvent à Nice en même temps, pour
les fêtes du carnaval. Dans une soirée chez le docteur Oliva,
médecin-charlatan qui donne à jouer à la société interlope,
Frontenac, l'amant d'Odette, est surpris en Ilagrant délit de
vol au baccarat. Grand émoi. Odette, dans un élan d'indi-
gnation malheureusement trop rare, saisit les cartes biseautés,
les lance à la figure de Frontenac qu'elle traite de voleur et,
écrasée par la honte, fondant en larmes, elle tombe sur un
canapé en s'écriant : « Oh ! qui donc me sortira de cette boue ? »
Une voix répond : « Moi! » C'est celle de M. de Clermont. Le
mari croit le moment bien choisi pour avoir une conversation
décisive avec sa femme, et cette conversation est, au point de
vue du style et du tact dramatique, une des meilleures pages
qu'ait jamais écrites M. Sardou. J'y insiste : il y a peu de mor-
ceaux de cette valeur dans son œuvre pourtant considérable.
C'est une scène qui résume à elle seule tout le caractère
d'Odette et toute la pièce elle-même avec ses prémisses et ses
conséquences. La thèse de M. Sardou (à savoir que la loi qui
sépare les époux de corps et de biens sans les séparer de nom
est une loi inique et absurde) s'y affirme très adroitement sans
embarrasser la marche du drame. Au contraire, elle la facilite,
n Je paye vos dettes, dit le comte à Odette, je double votre
pension, à une condition : vous partez demain, non pour Paris,
mais pour Naples, Rome..., où il vous plaira, hors de France,
et vous cessez de porter mon nom. — Je refuse, réplique
Odette. Je tiens beaucoup à mon nom. Voilà quinze ans que je
le porte. D'où vient que vous prétendez me le reprendre? —
Il s'agit de votre fille... — J'ai donc une fille? — Ah! vous en
êtes là... Mauvaise mère aussi? Comme j'aurais dû vous tuer!
 
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