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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 4)

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Véron, Eugène: Le ministère des arts, [4]
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LE MINISTÈRE DES ARTS1

v

Une autre supériorité de l'art sur l'industrie, c'est la du-
rée des produits. L'industrie ayant pour but la satisfaction des
besoins physiques de l'humanité, ses produits sont pour la
plupart destinés à disparaître plus ou moins rapidement. Cette
rapidité est même une des conditions de la prospérité de l'in-
dustrie. Quand les produits s'accumulent, le travail industriel
est en souffrance.

Les produits de l'art ont une durée beaucoup plus longue,
parce que le genre de jouissance qui leur est propre ne les
dénature ni ne les détériore. On ne peut pas dire qu'ils soient
impérissables, parce que le temps finit toujours par avoir rai-
son des choses. Mais enfin nous avons encore des peintures
de Pompei qui datent de plus de dix-huit cents ans, des sta-
tues de la Grèce, de l'Egypte, etc., dont quelques-unes datent
d'une époque deux ou trois fois plus reculée, des temples plus
ou moins bien conservés qui nous reportent à peu près aux
mômes temps.

La conclusion s'impose donc d'elle-même. Tandis que
l'industrie reste toujours en arrière des besoins que sa fonc-
tion est de satisfaire et que ses produits disparaissent plus ou
moins rapidement dans le courant de la consommation géné-
rale, les produits de l'art, et par conséquent les richesses qu'ils
représentent s'accumulent indéfiniment et accroissent la
fortune publique dans des proportions auxquelles il est impos-
sible d'assigner aucune limite.

On peut dire que l'art constitue une des parts les plus
considérables dans l'héritage que se transmettent les généra-
tions qui se succèdent.

Voilà à quoi ne songent pas les économistes, tout éblouis
des prodiges opérés dans l'outillage industriel par les mer-
veilleuses découvertes de la science moderne. Après les len-
teurs, les tâtonnements, les erreurs auxquels étaient condam-
nés les chercheurs les plus obstinés, jusque dans les derniers
siècles, par l'application des méthodes vicieuses d'une science
qui avait la prétention de chercher le pourquoi des choses, le
monde a été saisi d'admiration en voyant se multiplier coup
sur coup les incroyables résultats d'une méthode plus modeste
qui se contente d'étudier le comment et de mettre ses décou-
vertes au service de l'industrie humaine. On peut dire que,
durant un demi-siècle, ce fait a absorbé la plus grande partie
de l'attention des hommes.

Mais cet étonnement est près de cesser. C'est un effet
nécessaire de la multiplicité même des prodiges opérés dans
Tordre purement industriel, par la puissance des machines,
par la rapidité des transformations, par le bon marché et
l'abondance des produits.

On s'aperçoit peu à peu que la médaille a son revers et
que l'extrême division du travail imposée à l'homme par la
machine a pour résultat d'un côté la mécanisation de l'ouvrier,
de l'autre la vulgarité et l'insignifiance du produit. A mesure
que l'ouvrier se réduit à la « patte », l'oeuvre perd l'âme, la vie,
l'expression, tout ce qui constitue l'art. Quand on compare les
ouvrages du temps présent à ceux du passé, on est obligé de
s'avouer que la géométrie froide et morte envahit rapidement
le domaine de l'activité humaine, et qu'en place de la matière
vivante que façonnait la main de l'homme, la machine produit
surtout des cadavres.

Cette comparaison, qui va s'aeeentuant de jour en jour,

nous devons de pouvoir la faire aux collectionneurs de bibe-
lots, aux curieux tant méprisés des hommes soi-disant pra-
tiques, cette grande et déplaisante famille de M. Prudhomme.
Ce sont les curieux qui, à force de ramasser les morceaux du
passé, nous ont forcés à voir qu'il y avait là quelque chose qui
ne se retrouve plus dans les produits glacés de l'industrie
moderne.

C'est cette constatation qui peu à peu réveille le sentiment
esthétique dans un certain nombre d'esprits. On a commencé
par rassembler sur des étagères, dans des vitrines, les produits
rares et curieux de l'industrie artistique des siècles passés; on
en a fait des collections. Aujourd'hui on commence à se
demander pourquoi les objets d'usage journalier n'auraient pas
eux aussi des formes élégantes, des décorations de bon goût.
Un certain nombre de fabricants se mettent en devoir de
répondre de leur mieux à cette récente exigence de la mode,
qui devient plus impérieuse après chaque Exposition univer-
selle. En Angleterre, en Autriche, en Belgique, l'attention
générale est tournée de ce côté. Les gouvernements, les muni-
cipalités, les individus rivalisent d'ardeur pour préparer leurs
industries diverses à satisfaire ce besoin nouveau qui s'annonce
comme l'aurore d'un grand mouvement de résurrection artis-
tique.

M. A. Naquet, au retour d'un voyage qu'il a fait à Londres
avec M. Lockroy, raconte dans te Voltaire (3o octobre) ce
qu'ont fait les Anglais dès le lendemain même de l'Exposition
de 1855, du premier jour où ils ont pu constater leur infério-
rité.

En France, que faisons-nous pour maintenir notre supé-
riorité? Rien, rien, rien.

Est-ce à dire qu'il n'y ait rien à faire ?

A ceux qui s'en vont répétant que nos craintes sont chimé-
riques, nous conseillons simplement de méditer sur ces quel-
ques lignes que nous empruntons à l'article de M. Naquet :

« En 1855, lors de notre première Exposition de Paris,
les Anglais furent absolument écrasés dans les industries de
luxe où la France occupait, et, il faut le reconnaître, occupe
encore, grâce à son.goût exquis, le premier rang.

« Nos voisins constatèrent le fait, et loin de s'endormir,
ils se promirent de travailler, de nous égaler et peut-être un
jour de nous battre.

o Nous, nous disions simplement que les facultés qui en-
gendrent les industries de luxe sont propres à notre race et
que nous n'avions pas besoin de travailler pour conserver
notre suprématie. Trente années ne se sont pas encore écou-
lées, et, déjà, si elle ne nous a pas complètement atteints,
l'industrie anglaise rivalise avec la nôtre. Encore un peu de
travail là-bas, encore un peu d'apathie chez nous et nous ne
tarderons pas à être dépassés.

« Je me rappelle aussi un temps rapproché de nous où
nous nous considérions comme les premiers soldats du monde,
où nous n'admettions pas qu'une armée pùt lutter avec la
nôtre, où il nous paraissait inutile de maintenir, par le travail
et l'étude, la haute situation militaire que les hommes de
génie et les soldats héroïques de la première République et du
premier empire nous avaient conquise. Nous avons eu en 1870
de cruelles désillusions, et il serait bien à désirer que nous ne
nous préparions pas, sur le champ de bataille de l'industrie,

1. Voir l'Art, T année, tome IV, pages pç), 89 et 114.
 
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