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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 4)

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Heulhard, Arthur: Art dramatique, [4]
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ART DRAMATIQUE

THÉÂTRE DE LA GAITÉ : MONTE-CRISTO

8pPg5%|S a brillante reprise de Monte-Cristo, à la Gaîté, a
?H ilItP tourné pour quelques jours l'attention de la généra-
vfy§=J§à tion actuelle vers le grand romancier, le grand en-
chanteur Alexandre Dumas. Il y a une leçon dans cette
reprise. A l'heure où l'école naturaliste, exagérant ses succès
présents et escomptant ses triomphes futurs, proclame mort le
drame romanesque, le vieux Dumas, celui que nous appelons
familièrement le père Dumas n'a qu'à traverser la scène pour
rétablir le culte des dieux brûlés, la fantaisie animée, l'intrigue
féerique, le rêve d'aventures. Devant nos réalistes à courte
haleine, élevant péniblement sur les ruines d'un roman-feuil-
leton déjà oublié quelque grossier fait-divers dramatique,
une ombre, pleine de vie, se dresse et tordant ses moustaches,
passant les doigts dans sa noire toison : « Me voici, moi,
Dumas père ! J'écrivais sans fatigue un roman composé de
douze volumes à travers lesquels l'intérêt ne faiblissait pas un
instant, où les péripéties naissaient d'elles-mêmes par géné-
ration spontanée, où les personnages, quoique plus grands que
nature, paraissaient vraisemblables à tous grâce à l'artifice du
dialogue et à l'impétuosité du récit; j'ajoute que j'étais prêt à
recommencer le lendemain. De ces douze volumes, j'extrayais
un drame en quatre pièces, vingt actes et trente-sept tableaux;
il fallait deux théâtres et quatre soirées pour le représenter.
Ce drame intitulé Monte-Cristo passionnait, bien qu'il ne
contînt ni assommoir, ni hôpital, ni delirium tremens, et qu'il
ne fût point écrit en argot. Si j'étais encore de ce monde, j'en
composerais de semblables, sans plus de fond ni de forme, en
dépit de vos théories sur le document humain et l'observation
exacte, et vous y viendriez les premiers, messieurs les natura-
listes, comme à un passe-temps certain, comme à un conte
des Mille et une Ntiits pour hommes mûrs. Et tenez ! pour vous
prouver qu'au théâtre le suprême but est de river le spectateur
à son banc, sans s'inquiéter du moyen employé, on va vous
représenter les quatre pièces en question réduites à un seul
drame. Je m'engage à rembourser le prix de son fauteuil d'or-
chestre à quiconque abandonnera la place avant la fin du
spectacle. Adieu, et rappelez-vous plus souvent le vieux Du-
mas, le père Dumas. »

Il en est ainsi. Monte-Cristo passa du roman à la scène par
un pont grandiose qu'il fallut quatre soirées pour franchir.
Cet événement singulier, unique dans l'histoire du théâtre mo-
derne, eut lieu en 1848, ou plutôt commença en 1848 pour
finir en i85i. Alexandre Dumas avait découpé son œuvre en
quatre énormes tranches servies sous trois titres différents
Monte-Cristo, première et seconde soirées, formant ensemble
dix actes et dix-sept tableaux, fut joué au Théâtre-Historique,
sur le boulevard du Temple, le 3 février 1848, et le lendemain,
4 février; le Comte de Morcerf et Villefort, troisième et qua-
trième soirées, formant ensemble dix actes et vingt tableaux,
furent donnés à l'Ambigu, l'un, le i« avril 1851, l'autre, le
3 mai de la même année. Les journaux satiriques du temps
s'amusèrent autant qu'ils purent de la tentative bizarre d'un
homme qui était habitué à faire les choses largement, mais le
public, qui n'épouse pas toujours les querelles des petits contre
les grands, tint généralement pour Alexandre Dumas. Si
j'insiste sur cet arrangement qui viole si hardiment les règles
des trois unités, c'est que, tout bien pesé, il a ses racines dans
nos mystères du moyen âge, et qu'à ce titre seul il mérite qu'on

s'y arrête. Il fait partie de l'héritage national; il est classé
aujourd'hui parmi les successions en déshérence, mais ce n'est
pas tout à fait la faute du genre, c'est celle des usages et des
mœurs. La vérité est qu'il n'y a plus de spectateurs assez
maîtres du temps et de l'heure pour réserver quatre soirées à
l'audition d'un drame. Mais ces spectateurs ont existé quand,
aidés par les habitudes et les coutumes du pays, délaissant
unanimement leurs travaux, ils consacraient une semaine pres-
que entière à suivre les représentations d'un mystère. Je pour-
rais remonter à des précédents plus lointains, aux trilogies
grecques. A quoi bon ? N'avons-nous pas l'exemple tout aussi
frappant de ces jeux religieux des xiv" et xv° siècles qui coïnci-
daient avec les fêtes les plus importantes de l'année et duraient
plusieurs jours comme une noce de campagne? Est-ce que le
Mystère du Vieux Testament n'embrasse pas une période de
quatre mille ans? L'immense Passion de i5o~ n'est-elle pas
divisée en six journées et probablement plus, car elle contient
soixante-dix mille vers, et il est douteux qu'on en ait débité
douze mille par jour? Le Mystère de Saint Martin, par Andrieu
de La Vigne, a également six journées qu'on représentait quel-
quefois en trois jours, à la condition de jouer avant et après
midi. L'histoire de Sainte Barbe avait cinq journées, celle de
Saint Denis deux, celle de Saint Louis, trois; j'en passe, et de
plus compliquées encore. Il y avait parfois jusqu'à cent rôles.
Nous voilà loin de Monte-Cristo en apparence, et réellement
nous en sommes plus près qu'il ne semble. Vu à travers une
lorgnette classique, Monte-Cristo en quatre drames est une
conception aussi monstrueuse que le Saint Martin d'Andrieu
de La Vigne. Aux objections de l'esthétique des trois unités,
action, lieu et temps, Dumas répond : « Vous nous gênez, mes
héros et moi : nous vous brisons et l'opinion publique nous
absout. » Aussi bien j'éprouve le besoin, puisque nous sommes
aujourd'hui de loisir et que nulle actualité ne presse, de vous
mettre sous les yeux une appréciation fort juste qui émane
d'un homme admirablement versé dans les choses de notre
ancien théâtre, M. Petit de Julleville, maître de conférences à
l'École normale. Cette appréciation du plan général des pièces
antiques s'applique à Monte-Cristo comme à tous les drames,
religieux ou non, conçus sur un plan héroïque. « Le théâtre
classique, dit M. Petit de Julleville, noue une action restreinte,
et le théâtre des mystères une action étendue. Dans l'un, les
scènes s'appellent et pour ainsi dire s'engendrent l'une l'autre.
Dans le théâtre du moyen âge, elles se succèdent. Le lien n'est
pas dans le style; il est dans l'événement lui-même, et quel-
quefois il n'est nulle part. En effet, le moyen âge, loin d'être
persuadé, comme on fait aujourd'hui, qu'un enchaînement
logique et naturel doive dégager les uns des autres les événe-
ments qui s'accomplissent sur le théâtre, était plutôt disposé à
les laisser s'y succéder dans l'incohérence où la vie (il faut
l'avouer) nous les offre ou du moins paraît souvent nous les
offrir. Voilà pourquoi il ne s'est jamais soucié de chercher un
plan bien raisonné, bien composé. » C'est cette doctrine du
moyen âge qu'Alexandre Dumas a reprise pour son compte,
avec l'expérience des siècles et le bénéfice de l'art, dans
Monte-Cristo. Malheureusement ou heureusement, comme on
voudra, elle est contraire aux exigences de la vie moderne, et,
jamais, à moins d'un bouleversement social impossible à pré-
voir, les Passions de Notre-Seigneur en cinq journées et le
 
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