FRAGMENTS BIOGRAPHIQUES SUR FRANÇOIS DEL SARTE1
f. fut le () novembre 1811 que
François del Sarte vint pren-
dre sa place dans la tourmente
humanitaire où tant d'êtres sont
appelés et si peu de noms élus.
La famille était nombreuse
et peu fortunée. Le père était
médecin, mais il s'occupait
aussi d'inventions en méca-
:v£r"<. nique, et, comme il arrive
i.eure de G. Mitdii. trop souvent, cette passion
l'appauvrit au lieu de l'enri-
chir. Cette pauvreté relative ne permit pas de donner au jeune
François l'éducation que réclamait son organisation privi-
légiée.
Un missionnaire, qui passait un jour à Solesmes, lui avait
dit en l'écoutant jaser : « Toi, je ne sais pas ce que tu feras,
mais tu seras autre chose que le commun des hommes. »
Malgré cette prévision, dont l'avenir a fait une prédiction,
l'enfant fut mis en apprentissage chez un entrepreneur de
peinture sur porcelaine.
Au malaise qui résulte de toutes facultés comprimées,
s'ajoutait pour l'élève une véritable souffrance : dans cette
maison, la sympathie lui faisait défaut, et la vie matérielle
elle-même était loin du confort. Del Sarte se rappelait avoir
souffert la faim pendant cette période de sa vie. Un de ses
frères, soumis à ce dur régime, mourut à ses côtés, miné par
l'anémie.
L'inhumation de ce frère fut l'occasion d'un fait qui eut
de l'influence sur la destinée de réminent chanteur.
Après la cérémonie, François s'évanouit sur la neige, et
pendant sa défaillance, — causée par le froid, la faim et le
chagrin, — il entendit des sons : « Un concert angélique »,
disait-il, toujours ému à ce souvenir.
Ce fut dès ce moment, parait-il, que se révéla sa véritable
vocation. Il rêvait sans cesse aux moyens de connaître quelque
chose de la musique. 11 écoutait, selon l'occasion, les chants
d'église et les virtuoses du pavé, l'orgue des temples et l'orgue
de Barbarie. 11 allait partout se renseignant : un jour, il inter-
rogea des écoliers de son âge : ils lui apprirent le nom des
notes.
0 Quel bonheur... je sais la musique ! » s'écria le jeune
enthousiaste.
11 ne tarda pas à comprendre dans quelle marche vers
l'infini il venait de s'engager, mais il ne put pressentir jusqu'où
devait l'attirer cet idéal de son esprit et de ses vœux.
Si le sort a des taquineries détestables, il lui plaît, par
moments, d'aplanir les difficultés qui paraissent invincibles.
Qui pouvait prendre à tâche d'arracher le pauvre jeune ouvrier
en porcelaine — car il faisait le métier autant que la peinture —
à l'esclavage de ses travaux manuels ?
Eh bien, ce fut le sort qui favorisa sa rencontre avec un
musicien italien de la vieille souche, que nous appellerons avec
lui « le père Bambini ».
Ces deux êtres étaient faits pour s'entendre, et si un jour
l'élève devait, de bien loin, surpasser le maître, ce dernier eut
une part réelle dans l'ascension merveilleuse de son disciple
vers les plus hauts sommets de l'art. Del Sarte aimait à rendre
cet hommage à celui qui l'avait dirigé vers Gluck, et l'avait pré-
paré à discerner toutes les beautés et toute la grandeur de ce
compositeur immense, alors négligé.
Del Sarte avait aussi voué sa reconnaissance à un autre-
professeur, M. Deshaye : c'était avant son entrée au Conser-
vatoire où, disait-il, on avait compromis sa voix, sans lui rien
enseigner, en échange, des lois fondamentales de l'art.
En sortant de l'école nationale, del Sarte fut reçu à
l'Opéra-Comique. Le théâtre lui était peu sympathique. Son
talent, d'ailleurs, s'y montrait déjà avec sa forme exception-
nelle : il visait plus à la délicatesse et à la profondeur qu'aux
eff ets convenus, aux éclats bruyants de la voix. A bien prendre,
ses admirateurs étaient clair-semés dans l'auditoire. La foule
n'est frappée, en fait d'art, que par les côtés vulgaires ; si le
génie la subjugue parfois, elle se complaît plus souvent encore
aux charmes de la caricature. Si elle sanctionne, en définitive,
ce qui est beau, ce qui est grand, c'est sur des réputations
faites, des œuvres que les juges compétents ont classées. C'est
dans ce sens qu'il faut entendre le proverbe : « La voix du
peuple est la voix de Dieu. »
Quelques esprits d'élite comprirent ce que promettait le
jeune débutant, malgré le manque de sonorité qu'on repro-
chait à sa voix; mais, indépendamment de leur nombre, peu
concluant pour un succès, leur assentiment sympathique
arrivait rarement jusqu'à lui.
François del Sarte quitta le théâtre après deux ans
d'essais; il ouvrit une école de chant et de déclamation.
Cette occupation secondait son penchant à la recherche des
lois de son art, et lui facilitait les observations qui devaient
naturellement l'y conduire. Déjà, au Conservatoire, le hasard
l'avait mis sur cette voie, ainsi qu'il le raconte dans un travail
inédit intitulé Episodes révélateurs. Dans cette nouvelle car-
rière, les épreuves ne lui firent pas défaut. Le seul titre de
novateur n'éveille-t-il pas toutes les susceptibilités de la
concurrence, toutes les révoltes de la routine ? Mais, comme
toujours, le bruit que firent ses contradicteurs renforça la voix
de sa renommée naissante; bien des gens allèrent entendre
le chanteur-artiste, à ses cours, attirés par le scandale des
excentricités qui lui étaient attribuées comme professeur.
On voulait connaître l'homme qui mettait ses élèves entre des
planches (d'autres disaient des matelas), pour leur développez-
la voix.
On prétendait aussi que del Sarte exigeait, pour admettre
un disciple à son enseignement, une profession de foi catho-
lique et un examen sur le catéchisme.
Cela faisait penser à
...cet ermite saint qui remuait les pierres,
Avec le signe de la croix n,
dans la belle légende de Victor Hugo : les Trois Archers.
On venait donc avec une disposition critique, on se retirait
enchanté, séduit par le plus sympathique des chanteurs et par
son enseignement, — non pas burlesque comme on l'avait pu
croire, — mais piquant, original, imprévu.
Del Sarte donnait aussi un concert chaque année, et la
presse, par ses critiques les plus autorisés, lui rendait un
éclatant hommage. C'était : « Le Talma de la musique ; »— « Le
plus grand chanteur de ce bas monde : » — « Un tel homme n'est
pas un artiste, c'est l'art lui-même; » — « Del Sarte est le
premier chanteur que j'aie jamais entendu... c'est un Dieu ! » —
« C'est un artiste à part, exceptionnel, unique peut-être '? »
De telles appréciations étaient signées : Théophile Gau-
tier; Jules Janin; Hervet; Reboul; Zaccone...
Et si nous voulons des juges encore plus accrédités par
1. Une étude complète de M»' Angélique Arnaud, sur François Del Sarte, est en cours de publication chez l'éditeur Ch. Delagrave.
f. fut le () novembre 1811 que
François del Sarte vint pren-
dre sa place dans la tourmente
humanitaire où tant d'êtres sont
appelés et si peu de noms élus.
La famille était nombreuse
et peu fortunée. Le père était
médecin, mais il s'occupait
aussi d'inventions en méca-
:v£r"<. nique, et, comme il arrive
i.eure de G. Mitdii. trop souvent, cette passion
l'appauvrit au lieu de l'enri-
chir. Cette pauvreté relative ne permit pas de donner au jeune
François l'éducation que réclamait son organisation privi-
légiée.
Un missionnaire, qui passait un jour à Solesmes, lui avait
dit en l'écoutant jaser : « Toi, je ne sais pas ce que tu feras,
mais tu seras autre chose que le commun des hommes. »
Malgré cette prévision, dont l'avenir a fait une prédiction,
l'enfant fut mis en apprentissage chez un entrepreneur de
peinture sur porcelaine.
Au malaise qui résulte de toutes facultés comprimées,
s'ajoutait pour l'élève une véritable souffrance : dans cette
maison, la sympathie lui faisait défaut, et la vie matérielle
elle-même était loin du confort. Del Sarte se rappelait avoir
souffert la faim pendant cette période de sa vie. Un de ses
frères, soumis à ce dur régime, mourut à ses côtés, miné par
l'anémie.
L'inhumation de ce frère fut l'occasion d'un fait qui eut
de l'influence sur la destinée de réminent chanteur.
Après la cérémonie, François s'évanouit sur la neige, et
pendant sa défaillance, — causée par le froid, la faim et le
chagrin, — il entendit des sons : « Un concert angélique »,
disait-il, toujours ému à ce souvenir.
Ce fut dès ce moment, parait-il, que se révéla sa véritable
vocation. Il rêvait sans cesse aux moyens de connaître quelque
chose de la musique. 11 écoutait, selon l'occasion, les chants
d'église et les virtuoses du pavé, l'orgue des temples et l'orgue
de Barbarie. 11 allait partout se renseignant : un jour, il inter-
rogea des écoliers de son âge : ils lui apprirent le nom des
notes.
0 Quel bonheur... je sais la musique ! » s'écria le jeune
enthousiaste.
11 ne tarda pas à comprendre dans quelle marche vers
l'infini il venait de s'engager, mais il ne put pressentir jusqu'où
devait l'attirer cet idéal de son esprit et de ses vœux.
Si le sort a des taquineries détestables, il lui plaît, par
moments, d'aplanir les difficultés qui paraissent invincibles.
Qui pouvait prendre à tâche d'arracher le pauvre jeune ouvrier
en porcelaine — car il faisait le métier autant que la peinture —
à l'esclavage de ses travaux manuels ?
Eh bien, ce fut le sort qui favorisa sa rencontre avec un
musicien italien de la vieille souche, que nous appellerons avec
lui « le père Bambini ».
Ces deux êtres étaient faits pour s'entendre, et si un jour
l'élève devait, de bien loin, surpasser le maître, ce dernier eut
une part réelle dans l'ascension merveilleuse de son disciple
vers les plus hauts sommets de l'art. Del Sarte aimait à rendre
cet hommage à celui qui l'avait dirigé vers Gluck, et l'avait pré-
paré à discerner toutes les beautés et toute la grandeur de ce
compositeur immense, alors négligé.
Del Sarte avait aussi voué sa reconnaissance à un autre-
professeur, M. Deshaye : c'était avant son entrée au Conser-
vatoire où, disait-il, on avait compromis sa voix, sans lui rien
enseigner, en échange, des lois fondamentales de l'art.
En sortant de l'école nationale, del Sarte fut reçu à
l'Opéra-Comique. Le théâtre lui était peu sympathique. Son
talent, d'ailleurs, s'y montrait déjà avec sa forme exception-
nelle : il visait plus à la délicatesse et à la profondeur qu'aux
eff ets convenus, aux éclats bruyants de la voix. A bien prendre,
ses admirateurs étaient clair-semés dans l'auditoire. La foule
n'est frappée, en fait d'art, que par les côtés vulgaires ; si le
génie la subjugue parfois, elle se complaît plus souvent encore
aux charmes de la caricature. Si elle sanctionne, en définitive,
ce qui est beau, ce qui est grand, c'est sur des réputations
faites, des œuvres que les juges compétents ont classées. C'est
dans ce sens qu'il faut entendre le proverbe : « La voix du
peuple est la voix de Dieu. »
Quelques esprits d'élite comprirent ce que promettait le
jeune débutant, malgré le manque de sonorité qu'on repro-
chait à sa voix; mais, indépendamment de leur nombre, peu
concluant pour un succès, leur assentiment sympathique
arrivait rarement jusqu'à lui.
François del Sarte quitta le théâtre après deux ans
d'essais; il ouvrit une école de chant et de déclamation.
Cette occupation secondait son penchant à la recherche des
lois de son art, et lui facilitait les observations qui devaient
naturellement l'y conduire. Déjà, au Conservatoire, le hasard
l'avait mis sur cette voie, ainsi qu'il le raconte dans un travail
inédit intitulé Episodes révélateurs. Dans cette nouvelle car-
rière, les épreuves ne lui firent pas défaut. Le seul titre de
novateur n'éveille-t-il pas toutes les susceptibilités de la
concurrence, toutes les révoltes de la routine ? Mais, comme
toujours, le bruit que firent ses contradicteurs renforça la voix
de sa renommée naissante; bien des gens allèrent entendre
le chanteur-artiste, à ses cours, attirés par le scandale des
excentricités qui lui étaient attribuées comme professeur.
On voulait connaître l'homme qui mettait ses élèves entre des
planches (d'autres disaient des matelas), pour leur développez-
la voix.
On prétendait aussi que del Sarte exigeait, pour admettre
un disciple à son enseignement, une profession de foi catho-
lique et un examen sur le catéchisme.
Cela faisait penser à
...cet ermite saint qui remuait les pierres,
Avec le signe de la croix n,
dans la belle légende de Victor Hugo : les Trois Archers.
On venait donc avec une disposition critique, on se retirait
enchanté, séduit par le plus sympathique des chanteurs et par
son enseignement, — non pas burlesque comme on l'avait pu
croire, — mais piquant, original, imprévu.
Del Sarte donnait aussi un concert chaque année, et la
presse, par ses critiques les plus autorisés, lui rendait un
éclatant hommage. C'était : « Le Talma de la musique ; »— « Le
plus grand chanteur de ce bas monde : » — « Un tel homme n'est
pas un artiste, c'est l'art lui-même; » — « Del Sarte est le
premier chanteur que j'aie jamais entendu... c'est un Dieu ! » —
« C'est un artiste à part, exceptionnel, unique peut-être '? »
De telles appréciations étaient signées : Théophile Gau-
tier; Jules Janin; Hervet; Reboul; Zaccone...
Et si nous voulons des juges encore plus accrédités par
1. Une étude complète de M»' Angélique Arnaud, sur François Del Sarte, est en cours de publication chez l'éditeur Ch. Delagrave.