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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 7.1881 (Teil 4)

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Fouqué, Octave: Le drame lyrique et Richard Wagner, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.18880#0083

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LE DRAME LYRIQUE

ET RICHARD WAGNER.

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un jeune souverain envoie chercher le proscrit dans sa re-
traite et l'installe à la tête d'un théâtre merveilleux, dont le
compositeur devait rester maître absolu. C'est là que Wagner
fait représenter Tristan et Iseult. Forcé bientôt après de quit-
ter Munich, il vit de nouveau dans la retraite jusqu'au moment
où, ayant terminé ses Niebelungen, il songea à en poursuivre
l'exécution. Aucun théâtre, en Allemagne ni ailleurs, n'était en
mesure de monter un pareil ouvrage. Ici commence la période
véritablement étonnante de la carrière de Richard Wagner.

Tout d'abord il obtint la concession d'un vaste terrain
situé aux environs de la petite ville de Bayreuth, et là il fit
élever un théâtre construit sur le plan à peine modifié des
anciens théâtres grecs. Dans son excellent livre intitulé le
Draine musical, M. Ed. Schuré décrit ainsi le nouvel édi-
fice :

« Le théâtre de Bayreuth s'élève sur une colline en pente
douce, à vingt minutes de la ville, et de ce monticule domine
toute la contrée. Le principe général qui a présidé à sa cons-
truction a été de conformer l'intérieur de l'édifice aux besoins
esthétiques les plus élevés du spectateur moderne. De ce prin-
cipe découlait une première nécessité, celle de rendre l'or-
chestre invisible. De quoi s'agit-il au théâtre? De disposer
l'œil du spectateur à la vision précise d'une image scénique, et
par conséquent de détourner son attention de tous les objets
réels qui pourraient s'interposer entre lui et cette image. Alors
seulement l'édifice répondra à sa destination et sera, selon la
signification même du mot grec, un theatron, c'est-à-dire une
salle pour voir. Or, tous les théâtres actuels ont l'inconvénient
de détourner le spectateur d'une telle disposition par la vue
de l'orchestre et par la structure de la salle; car ils semblent
plutôt faits pour laisser aux spectateurs le plaisir de se regarder
entre eux que pour concentrer leur attention sur la scène...

« La scène a la forme oblongue d'un secteur de cercle
comprenant environ le sixième de la circonférence. Les gra-
dins s'y élèvent en amphithéâtre à la manière antique, mais
avec une inclinaison plus légère, et se terminent en haut par un
seul rang de loges. Les côtés de la salle sont fermés par une
série de parois parallèles à la scène et terminées chacune par
une colonne décorative. Le spectateur assis en un point quel-
conque de cet amphithéâtre se trouve ainsi comme sous la
colonnade d'un vaste portique qui se rétrécit graduellement et
aboutit au cadre scénique.

« De distance en distance, ces colonnes s'échelonnent à
droite et à gauche le long des gradins. La ligne de leur sou-
bassement correspond à la ligne de la rampe. Pilastres et
colonnes forment donc à la scène une série de cadres succes-
stfs dont la perspective l'isole complètement. De là une illusion
d'optique qui fait paraître la scène plus éloignée et les person-
nages plus grands que nature. Les harmonies qui s'échappent
de l'orchestre invisible bt qui roulent de portique en portique
semblent venir de partout et de nulle part. Sous leurs effluves
pénétrantes l'âme entre dans un état de demi-rêve visionnaire.
Elle pourrait se croire dans un de ces temples antiques où à
certains jours, au dire du peuple, trépieds, colonnes et statues
entraient en vibration et se mettaient à résonner sous un
souille inconnu. Et lorsque enfin la toile se lève, le spectateur
est préparé à la vision des plus merveilleux spectacles1. »

Tel est le lieu sacré où Wagner convoqua, non le peuple
athénien à la fête de Bacchus, mais les dévots de l'art théâtral
a des représentations modèles, dont le nombre était d'avance
fixé à trois.

L'Anneau du Nibelung, fête théâtrale en trois journées,
avec une soirée pour prologue, tel était le titre de l'œuvre colos-
sale et nouvelle. Pour pousser jusqu'au bout son imitation
grecque, le maître aurait pu ajouter à cette immense tragédie
sa comédie des Maîtres chanteurs de Nuremberg, et clore

ainsi par une farce symbolique sa vaste épopée théâtrale. Mais
l'Anneau du Nibelung formait à lui seul une véritable tétra-
logie, où d'ailleurs le bouffon se mêle parfois au sérieux. Le
poème était de la main de Wagner, la musique aussi. C'est lui
qui avait indiqué le plan des décors, combiné les machines,
dirigé le travail des costumes, réglé les jeux de scène, dressé
les acteurs et l'orchestre. Une pensée unique et souveraine
avait présidé à ce travail multiple, et de son souffle ardent
fondu en un seul corps tous les divers éléments du drame.

Quant au sujet de sa tétralogie, Wagner, à l'imitation des
vieux poètes grecs, l'avait été chercher dans les primitives
légendes de sa race. Mais c'est ici, à mon sens, le côté faible
du système de Wagner, et ce qui probablement l'empêchera
de pousser des racines très avant et d'étendre au loin son
influence. Aux temps d'Eschyle et de Sophocle, les Grecs
d'Athènes croyaient à leurs dieux et à leurs mythes. C'est le
jour et en plein soleil que se jouaient les trilogies païennes.
Devant Prométhée enchaîné, devant les yeux crevés d'Œdipe,
le peuple entier frissonnait, admirant la volonté de Zeus cour-
bant la tête sous la crainte de Vanankè aux irrévocables ven-
geances.

Nous ne connaissons plus d'autre fatalité que celle qui
ressort des caractères et des événements; Freia et Wothan ne
sont pour nous que des êtres plus ou moins poétiquement ima-
ginés; notre morale est infiniment supérieure à celle de ces
ancêtres de la civilisation Scandinave.

Aussi le résultat que l'auteur dramatique atteignait autre-
fois par la seule puissance de l'action, Wagner ne peut y arri-
ver qu'à l'aide de mille moyens combinés avec une profonde
habileté. Il dispose d'un orchestre qui, surtout manié par lui,
a une bien autre puissance que n'avait le chœur antique, mais
cela ne lui suffit pas. Il lui faut « produire la plus grande
illusion possible, enlever le spectateur à tout souvenir de la
réalité, provoquer en lui un état d'âme favorable à la vision
des choses idéales, jeter enfin son esprit dans cet état de
rêve qui le porte bientôt jusqu'à la pleine clairvoyance où il
découvre un nouvel enchaînement des phénomènes du monde
que ses yeux ne pouvaient apercevoir dans l'état de veille
ordinaire ».

On a vu la disposition du théâtre; au moment où la toile
se lève, les lumières s'éteignent dans la salle, et le spectateur
reste plongé dans une nuit profonde. Au milieu de ces ténè-
bres remplies des mille sonorités de l'orchestre invisible, le
cadre scénique s'illumine. Forcément l'œil est attiré, puis peu
à peu fasciné par ce point brillant. Les chanteurs sont les
premiers de l'Allemagne. Disciplinés par une volonté despo-
tique, ils ne songent nullement à leur métier de chanteurs.
Toute idée de virtuosité est éteinte dans leur âme; pour rien
au monde ils ne voudraient faire valoir les artifices de leur
gosier ou gagner par des tours de force vocaux le bravo des
dilettantes. Leur unique et constante préoccupation est d'en-
trer dans l'idée du poème, et de représenter dignement le per-
sonnage dont ils portent le costume. Les hommes ont la taille
des héros, les lemmes sont belles; gestes, attitudes, silences,
ils ont tout appris du maître et traduisent fidèlement, conscien-
cieusement la physionomie qui pour une soirée devient leur
être véritable. Ce n'est pas herr Niemann, ou herr Schlosser,
ce n'est pas frau Materna ou frau Wekerlin, c'est Siegfried,
Hagen et les Walkures. La scène est machinée avec art, elle
a su utiliser toutes les inventions de la science moderne, les
prodiges s'y succèdent, toujours commentés par cet orchestre
qui enveloppe la représentation d'une sonorité magique. Le
phénomène s'accomplit, et dans l'état de demi-rêve où tout ce
magnétisme l'a jeté, l'esprit du spectateur, acceptant sans la
moindre résistance les obscurités, les naïvetés, parfois les
monstruosités de la légende, est violemment tiré hors de lui-

'• Ed. Sclmré, te Drame musical, 2' volume, page 394.
 
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